Pendant le communisme, la presse était entièrement assujettie en Roumanie,
Ce n'était pas un secret : le régime communiste et ses apparatchiks ne supportaient pas les critiques. Si en Roumanie la presse était entièrement assujettie, la presse libre occidentale condamnait ses politiques. Radio Free Europe était le fer de lance de la presse anticommuniste occidentale. Nombre des journalistes de la section roumaine de cette châine de radio ont été intimidés et certaines voix ont même affirmé que la mort de certains de ces journalistes avait été ordonnée par le régime de Bucarest.
Etablie en France, à la fin des années 1940, la journaliste, historienne et critique littérature Monica Lovinescu réalisait aux côtés de son époux Virgil Ierunca l'émission « Teze si antiteze la Paris » / « Thèses et antithèses à Paris », que Radio Free Europe diffusait. Dans leurs commentaires, les deux attaquaient ouvertement le régime communiste de Bucarest. Dans un enregistrement de 1998, réalisé par le Centre d'histoire orale de la radiodiffusion roumaine,
Monica Lovinescu se rappelait la mort suspecte des directeurs du service roumain de Radio Free Europe de Munich : « Les directeurs ont été Ghita Ionescu, Nöel Bernard, Mihai Cismarescu, Vlad Georgescu et enfin Nicolae Stroescu. Le meilleur a été Noël Bernard. A mon sens il a été un chef de section de radio unique. Il n'y a pas un deuxième comme lui. Très actif dans son métier, il était passionné par ce qu'il faisait ; sa manière de penser, de réfléchir était unique. Il a été directeur jusqu'à sa mort, quand il fut suivi par Mihai Cismarescu, essayiste, un homme d'une grande finesse. Et du coup, tous les directeurs de Radio Free Europe ont commencé à mourir l'un après l'autre. Noël Bernard croyait avoir été irradié, tout comme Mihai Cismarescu et Vlad Georgescu, qui était un historien de valeur. Un des directeurs adjoints, Preda Bunescu, est lui aussi décédé d'une manière suspecte. Il était complètement allergique aux œufs, donc il ne mangeait jamais d'œufs, ni des gâteaux qui avaient des œufs dans leur composition. Après trois jours de week-end, il fut trouvé mort dans son appartement. Ses collègues se sont inquiétés parce qu'il n'était pas venu au travail. A l'autopsie, on a découvert que son sang était plein de protéines d'œufs. Sa mort était jugée suspecte vu que les autorités de type américain sont très circonspectes dans de telles situations. »
Les autorités communistes ont utilisé plusieurs méthodes pour faire taire Monica Lovinescu. La première a été la calomnie : «Même avant l'apparition de Radio Free Europe, ils ont commencé par nous attaquer dans la presse, par déclencher des attaques tout simplement violentes contre nous, contre Virgil. Au début, ils ont publié des attaques provenant de Bucarest et dont les auteurs étaient le critique littéraire George Calinescu et l'écrivain Zaharia Stancu. Ensuite, plusieurs publications s'étaient spécialisées dans des attaques dont nous étions la cible. Il s'agissait de « Glasul patriei »/ « La Voix de la Patrie » et « Saptamana »/ « La Semaine » de l'écrivain Eugen Barbu. Le groupe de Paris dont nous étions les membres a été la cible d'attaques dans la presse pendant pas moins de trois ans. La Securitate avait une certaine technique, ou tactique plutôt, qu'elle jugeait intelligente. Elle envoyait toute sorte de comment dirai-je « écrivains » ou « intellectuels » au siège de Radio Free Europe pour dire que le programme de Munich serait meilleur sans l'émission réalisée par ces fous de Paris, c'est-à-dire moi-même et Virgil. Ils ont commencé à dénigrer ces émissions parisiennes comme ils le pouvaient, par toute sorte d'intrigues».
Suite à son refus de se taire, le régime communiste a fait monter les enjeux. Ils sont passés aux corrections physiques. Monica Lovinescu : « Quand ils se sont rendu compte que rien ne marchait, surtout que j'avais consacré presque toutes les émissions de l'année 1977 au mouvement dissident né autour de l'écrivain Paul Goma, ils ont choisi de passer aux attaques directes, c'est-à-dire physiques. En novembre 1977, à la veille de l'arrivée de Paul Goma à Paris le 18 novembre, deux Palestiniens m'attendaient devant ma maison. J'ai appris plus tard en lisant le livre du chef des renseignements extérieurs communistes Ion Mihai Pacepa qu'ils étaient Palestiniens. A mon sens, c'étaient des mecs basanés et c'est tout. Et les deux m'ont demandé d'entrer dans ma maison parce qu'ils avaient un message pour moi. Ce qui m'a paru suspect, ce fut le fait qu'ils m'ont parlé avec les mots « madame Monica » et ici on n'utilise pas « madame » avant le prénom. C'est ainsi que je me suis rendu compte de ce qui se passait et je ne les ai pas laissés entrer. Quand ils ont vu cela, ils ont commencé à me frapper à la tête. Je suis tombée et je me suis évanouie mais pas avant de crier. Quelqu'un de la rue est venu m'aider. Eux, ils ont commencé à courir. La personne qui est intervenue a couru après les deux hommes, mais il n'a pas pu les rattraper. J'étais tombée par terre, avec du sang sur mon visage. J'ai été envoyée à l'hôpital. Je me suis réveillée quelques heures après lorsque les médecins me faisaient une radiographie. J'ai été hospitalisée seulement cinq jours parce que je voulais absolument participer à la conférence de presse de Paul Goma, où on a dit toutes ces choses-là. Certes, ce n'était pas la faute à Paul Goma, mais le moment a été spécialement choisi par la Securitate. « Tu verras un signe à Paris au moment de ton arrivée comme quoi le bras de la révolution est long » avait dit le général Plesita à Paul Goma juste avant son départ pour la France. Enfin, j'ai échappé avec un nez cassé et avec le visage et le bras tuméfiés. Puis, en 1983, ils ont envoyé un agent qui se présentait comme Bistran, dont j'ignorais le nom, afin de tuer Virgil. C'est la police française qui est intervenue, mise en garde par la police allemande et c'est ainsi que ce monsieur Bistran s'est finalement rendu aux forces de l'ordre. »
L'intimidation de la presse a été une pratique largement utilisée par les régimes totalitaires afin de réduire au silence leurs opposants. Quand la presse libre est persécutée, il est sûr que le régime en question a un gros problème avec les opinions qu'elle présente. (Trad. Alex Diaconescu, Ligia Mihaiescu)
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