Après la révolution anticommuniste de décembre 1989, les Roumains ont vécu la renaissance d'une vie politique démocratique. Bilan, 30 ans plus tard.
Au mois de décembre 1989, une fois recouverts les autres droits et libertés civiles, les Roumains ont aussi gagné le droit à une vie politique démocratique. Les premiers mois de l'année 1990 ont été les témoins de la réapparition du multipartisme, après une longue et noire parenthèse de 45 années de dictature communiste. Avec cela, et à l'instar des autres peuples d'Europe centrale et orientale, les Roumains venaient d'ouvrir une nouvelle page de l'histoire de leur participation à la vie politique de leur pays.
Le politologue Ioan Stanomir, professeur à l'Université de Bucarest, nous rappelle le profil de ces partis politiques, nouveaux ou des avatars des partis historiques, actifs déjà avant l'instauration du régime communiste : « Dès la fin du mois de décembre 1989 et le début du mois de janvier 1990, nous assistons à un phénomène sans précédent et en rupture totale avec les décennies de plomb du régime communiste. Il s'agit de l'essor du multipartisme, de la renaissance du pluralisme politique. Pour ce qui est de la situation roumaine, elle a sans doute ses particularités. On voit tout d'abord l'émergence d'un parti à vocation hégémonique, un parti qui, dès son apparition, tente de capturer l'Etat, c'est Front du salut national. Et puis, de l'autre côté, on voit renaître les anciens partis de la Roumanie d'avant le communisme, les partis historiques comme on les a appelés, et dont les membres avaient enduré les persécutions du régime communiste. Là, il s'agit du Parti national paysan chrétien démocrate, du Parti national libéral et du Parti social-démocrate. »
Parallèlement à la rennaissance de ces partis politiques, on assiste à l'apparition de la société civile, des associations civiques et de l'esprit démocratique au sens large. Mais de l'essor des associations tels le Groupe pour le dialogue social et, plus tard, de l'Alliance civique, Ioan Stanomir identifie un élément qui va marquer l'échiquier politique de l'époque, soit l'éclatement de l'offre électorale : « Cet éclatement prend sa source dans le cadre normatif instauré juste après la Révolution, qui, lui, est le résultat d'une volonté assumée. L'on disait à l'époque que l'on pourrait fonder un parti politique avec ses quelques voisins d'immeuble. Et ce n'était pas loin de la réalité. L'éclatement de l'offre politique servaiet en fait les desseins du Front du salut national. De la sorte, l'opposition se voyait éclatée en des myriades de partis politiques, et la confusion s'instaurait dans les rangs de l'électorat. »
En dépit de la richesse d'une offre électorale naissante, les analystes politiques mettent en exergue le fossé qui séparait ces formations politiques nouvellement constituées. L'éloignement des points de vue devenait flagrant, notamment lors des réunions du Conseil provisoire d'union nationale, le premier ersatz de parlement post communiste. Ioan Stanomir : « Il y avait un fossé entre les partis politiques perçus par leurs fondateurs tels des véhicules de leur ascension personnelle, puis les autres, des partis politiques mûs par des desiderata éthiques et politiques. Et si l'on regarde de près, cette dynamique politique aura des conséquences dès la constitution de ce premier parlement, le Conseil provisoire d'union nationale. Parce que la clé de la répartition des sièges qui a été adoptée a été celle de la parité des mandats entre, d'une part, le Front du salut national et des formations satellites et, d'autre part, les autres partis politiques. De fait, l'on avait donné ainsi une majorité de voix au Front. Car du côté des partis politiques, pour chaque parti d'opposition véritable, l'on a vu apparaître des partis qui mimaient l'idéologie du parti qu'ils avaient cloné, mais qui étaient de facto inféodé au Front du salut national. Chaque parti historique s'est vu opposer une, deux ou trois clones. Prenez le cas du Parti national paysan chrétien démocrate. Pour le contenir, l'on voit apparaître le Parti national agraire, dirigé à l'époque par Victor Surdu, entre autres. Il s'agissait d'un parti qui défendait pour de vrai les intérêts de la nomenklatura rurale, des anciens dirigeants de fermes d'Etat communistes. Le Parti national libéral se voit talonner par la soi-disante Union libérale, dirigée par un personnage pitoresque, un Bratianu surnommé la Patate, car il faisait toujours son entrée dans les studios de télévision en tenant une pomme de terre dans la main. De fait, le Front du salut national avait sorti des tiroirs une vieille stratégie communiste, déjà utilisée dans les années 1944/47 contre les mêmes partis historiques : celle des partis fantoches, des marionnettes qui jouaient la partiture écrite par leurs maîtres, les communistes. »
30 années plus tard, de l'eau est passée sous les ponts. La vie politique balbutiante de ces débuts a laissé la place à un processus de professionalisation du monde politique. Malgré tout, certains héritages malencontreux d'avant 1989 arrivent à survivre, considère Ioan Stanomir : « Aussi bien la professionalisation du monde politique que l'apparition d'une élite politique sans lien biologique avec l'élite communiste sont des réalités indéniables. Néanmoins, la survivance de certaines pratiques héritées de l'époque communiste et des premières années de la période post communiste est aussi bien réelle. Prenez le seul exemple du clientélisme, que tout le monde comprendra. Car, souvent, trop souvent, les partis politiques constituent des outils mis au service de cette pratique. Ils récompensent en cela la fidélité au détriment de la compétence. Et j'estime que certains partis politiques, le Parti social démocrate en premier, ont dans leurs gènes cet héritage du Front du salut national. »
Quoi qu'il en soit, les partis politiques roumains continuent d'évoluer en suivant le changement de paradigme subi par la société roumaine dans son ensemble. (Trad Ionuţ Jugureanu)
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