Encore aujourd'hui, les personnes atteintes de surdité peinent à se faire entendre et à faire respecter leurs droits en Roumanie.
En Roumanie environs 30 000 personnes sont atteintes de surdité, des personnes qui ont le droit d'être dignement intégrées à la société, aussi bien à l'école qu'au travail ou dans la vie sociale. Elles vivent sans jamais se faire remarquer, parce qu'elles ne « font pas de bruit ». Impossible pour elles d'exprimer à haute et intelligible voix leurs volontés ou leur mécontentement.
Certains, comme Florica Iuhas, soutiennent leur cause avec ferveur. Professeure à l'université au sein de la Faculté de journalisme et des sciences de la communication de Bucarest, elle nous explique pourquoi, par exemple, seul 1 % des élèves atteints de surdité obtiennent leur baccalauréat à l'épreuve de langue et de littérature roumaine.
« L'un des principaux problèmes réside dans le fait que le système scolaire n'a pas été adapté à leurs besoins. Ils pensent et rêvent en langue des signes mais doivent néanmoins passer le bac en langue roumaine. Or, une personne atteinte de surdité n'utilise pas de préposition, de temps différents pour les verbes, de conjonctions. Jamais elle ne pourra comprendre, par exemple, la différence entre le présent et le plus-que-parfait. La langue des signes fonctionne différemment, elle est plus visuelle, c'est une toute autre approche. Un aspect qui, pour le moment, semble échapper au Ministère. Jamais une personne atteinte de surdité ne va maîtriser les règles de grammaire du roumain, car la construction syntaxique d'une phrase en langue des signes diffère complètement de celle d'une phrase en roumain. Elle dira « Je vu fille jolie », là où nous dirons « j'ai vu une jolie fille ». Elle dira « je vais marché acheter persil », et ajoutera éventuellement « aujourd'hui », « hier » ou « demain » à la fin de la phrase pour l'inscrire dans une temporalité. Il faudrait en fait que la langue des signes roumaine prime au moment des examens. Les élèves atteints de surdité apprennent par cœur les cours de géographie, d'histoire, et s'en sortent avec les épreuves théoriques (comme les mathématiques par exemple, certains deviennent d'excellents informaticiens ) mais en langue et en littérature roumaine c'est une autre affaire. Pourquoi ? Parce que leur esprit et leur mode d'expression ne sont pas structurés selon la grammaire roumaine que nous utilisons nous. »
En d'autres mots, la loi en vigueur actuellement ne distingue pas les « entendants » des « sourds » qui sont censés, comme tous les autres, être soumis aux mêmes exigences en termes d'examen. Selon Florica Iuhas, il faudrait que les élèves atteints de surdité puissent passer les épreuves de littérature et de langue roumaine dans leur langue maternelle, à savoir la langue des signes, avec un niveau de difficulté moindre. Il faudrait aussi former les professeurs en langue des signes afin qu'ils soient en mesure de faire passer ce type d'examens. Comme pour toutes les autres langues, beaucoup ne la connaissent pas et ne sont pas capable de l'enseigner.
Par ailleurs, lorsqu'elles se rendent au guichet, à l'hôpital ou au tribunal, les personnes atteintes de surdité ne peuvent pas se faire comprendre. C'est pour cette raison qu'en 2020, le gouvernement roumain a adopté la loi Săftoiu, du nom de la députée Adriana Săftoiu, qui l'a rédigée et défendue au parlement. Florica Iuhas nous explique en deux mots ce dont parle cette loi :
« La loi Săftoiu stipule que toutes les institutions de l'Etat roumain doivent mettre à disposition des personnes atteintes de surdité un interprète en langue des signes. Cette loi reconnaît du même coup la langue des signes comme langue maternelle des sourds. Dans les régions de Covasna et Harghita, un magyar qui se rend dans une institution peut communiquer avec un autre interlocuteur dans sa langue. Ce n'est pas le cas des personnes atteintes de surdité, car il n'existe pas d'interprète pour cette langue dans les institutions d'état. »
L'Etat a disposé de deux ans après l'entrée en vigueur de la loi pour prendre toutes les mesures nécessaires pour qu'en avril 2022, toute personne atteinte de surdité qui entre dans une institution puisse y trouver un interprète. Or, à l'heure actuelle, en Roumanie il y a très peu d'interprètes de langue des signes. Pourquoi ? Explication avec Florica Iuhas:
« Parce qu'ils sont découragés par l'incapacité des institutions de les rémunérer ou de conclure des contrats de collaboration ou d'emploi. Donc, aucun pas n'a été fait dans la bonne direction. Je vous encourage à regarder la télévision : le président du pays qui a signé cette loi n'est pas accompagné dans ses discours d'un interprète, ce qui n'est pas normal. Dans tout Etat moderne, lorsqu'un président s'exprime devant la nation, il est accompgné par un interprète, parce que le président d'un pays est le président de tous les citoyens. Et que peut faire un sourd ? Lire sur les lèvres du président ? La loi dit que l'institution de la présidence doit disposer d'un interprète, et pas uniquement la télévision publique. »
Les télévisions sont elles aussi confrontées au même problème - le nombre restreint d'interprètes. Floria Iuhas est elle-même interprète en langue des signes. Elle a décidé d'enseigner à la Faculté de Journalisme un cours destiné à toutes les personnes intéressées. C'est l'unique cours de ce genre dans toute la Roumanie :
« J'ai été par exemple appelée par le service d'urgences SMUR pour m'a demandé de les accompagner parce que les secouristes devaient venir en aide à des familles qui avaient besoin de mes services. Sans moi, il leur était impossible de communiquer. Et c'est alors que j'ai eu l'idée de faire ce cours qui est ouvert à tous, pas seulement aux Etudiants de l'Université de Bucarest, justement parce qu'il existe un vrai besoin pour les sourds de se faire entendre. »
C'est une injustice en Roumanie. Une injustice qui dure depuis des années, alors que 48 Etats ont reconnu depuis des dizaines d'années la langue des signes comme langue maternelle de leurs citoyens atteints de surdité - déclarait l'ex députée Adriana Săftoiu. La langue est en évolution, la langue des signes roumaine a seulement 8 mille signes alors que le français en a 38 mille, et l'allemand 50 mille. Malheureusement, la Roumanie ne se préoccupe pas de développer ce langage, de l'enrichir. Il n'y a pas d'institut ou de département consacré à l'étude des signes de la langue roumaine.
« Mais les personnes atteintes de surdité existent et ont besoin de communiquer, de développer ce langage. J'aspire à ce que la Roumanie comprenne l'importance de l'intégration de ces personnes à la société, et fasse les efforts nécessaires pour parvenir à remplir ces deux objectifs » a conclu Florica Iuhas, professeure à la Faculté de Journalisme et des Sciences de la Communication de l'Université de Bucarest, une voix pour les sourds de Roumanie.
(Tradu : Charlotte Fromenteaud, Alex Diaconescu)
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