Dolly, la brebis la plus célèbre de l’histoire
Ce n’est qu’après 276 tentatives infructueuses réalisées durant l'été 1996, que celle qui allait devenir la brebis la plus célèbre de l’histoire, Dolly, voyait le jour en Ecosse. L’exploit d’exception ne sera cependant révélé qu'au mois de février de l'année suivante. Sa naissance, ou plutôt sa création, a d’emblée divisé l'humanité en deux camps irréductiblement opposés. En effet, d’aucuns se sont inquiétés de voir les chercheurs de l'Institut Roslin jouer à Dieu, craignant le clonage prochain des humains. D'autres en revanche ont perçu l’indéniable exploit scientifique comme un grand pas en avant pour l'humanité tout entière, grâce auquel des espèces menacées pourraient ainsi être sauvées. Mais quel que soit le camp, le moment de l’apparition de Dolly marque un tournant. Mircea Iliescu, docteur en évolution et génétique humaine à l'Institut de formation continue de l'Université de Cambridge, revient sur ce moment particulier de l’évolution du génie génétique :
« L’inédit de la manipulation est que Dolly a été le premier mammifère cloné de l'histoire à partir d'un noyau de cellule somatique. Jusqu'alors, le clonage était pratiqué, par exemple sur des grenouilles et des moutons, à partir de cellules embryonnaires, c'est-à-dire de cellules encore indifférenciées. Mais dans ce cas, le principe que l’équipe de Ian Wilmut avait appliqué, en utilisant une technique très difficile à maîtriser à l'époque, a été celui de prendre un noyau cellulaire de la glande mammaire d'un mouton adulte et de le transplanter dans l'ovule énucléé d'une autre brebis. L’objectif de l’expérience était d’arriver à reprogrammer une cellule adulte, en utilisant des informations, extraites d'une cellule adulte, qui allaient être insérées dans un ovule, ce dernier introduit ensuite dans une mère porteuse, plutôt que d’utiliser un spermatozoïde et un ovule, comme cela avait déjà été fait. C'était pour la première fois que du matériel génétique était prélevé sur une cellule adulte pour en faire un nouvel organisme, c'était cela la grande découverte. »
La création du premier mammifère jamais cloné à partir de la cellule d'un exemplaire adulte a provoqué, comme on pouvait s’y attendre, un large débat, portant, d'une part, sur l'intérêt évident de potentielles applications ouvertes par cette prouesse scientifique, alors que, d'autre part, beaucoup tiraient la sonnette d’alarme sur les questions d’éthique que cette procédure ne manque pas de soulever. Le champ du clonage, l’avenir du vivant et de l'humanité, ce que l'on peut faire grâce aux nouvelles techniques biologiques, la manipulation de l'ADN, des embryons, toutes ces questions devenaient tout d’un coup d’actualité, nous explique Mircea Iliescu. Et lui de rappeler que, 25 ans plus tard, ce débat est toujours d’actualité, alors que l’on parle d’édition génomique. Mircea Iliescu :
« Par clonage l’on entend cette technique qui permet de prendre du matériel génétique de quelqu'un, pour le reproduire ensuite, c'est-à-dire créer un nouvel organisme, qui soit identique au premier. L'édition génomique regroupe un ensemble de techniques de manipulation du génome visant à modifier du matériel, et donc de l'information, génétique. L'édition génomique signifie que nous pouvons intervenir dans ce matériel génétique et le modifier selon certains critères. Vous pouvez désormais modifier des zones très spécifiques d'un génome. Éditer veut dire modifier. Par exemple, face à un ovule fécondé, nous pourrions intervenir et modifier de manière très spécifique certaines parties de l'ADN qui constituent la source de certaines maladies. Ces choses sont devenues aujourd’hui possibles d’un point de vue technique. Et l’on peut encore aborder techniquement l'édition génomique aussi chez l'adulte, pour combattre pas mal de maladies. »
Le génie génétique, soit la manipulation directe de l'ADN par l'homme, s’est développé dès les années 1970, mais la technologie CRISPR (l’acronyme anglais de « courtes répétitions en palindrome regroupées et régulièrement espacées »), apparue il y a seulement 10 ans et déjà récompensée par le prix Nobel de chimie en 2020, a fondamentalement changé la donne. En effet, cette technologie permet de modifier plusieurs gènes en une seule intervention. Cette technique peut modifier facilement et à moindre coût le génome de tout organisme, des plantes aux animaux, en passant par les humains. Son impact potentiel dans le domaine médical est forcément énorme. La CRISPR constitue un outil précieux pour identifier des marqueurs biologiques, en évaluant les changements qui ont lieu dans le tissu tumoral. Ses autres applications sont également liées à l'investigation et au traitement des maladies génétiques, des maladies infectieuses, ou encore des maladies immunologiques. La technologie a déjà été largement utilisée pour créer des modèles cellulaires liés à la dystrophie musculaire, à l'athérosclérose, à l'obésité, au diabète et à la maladie d'Alzheimer. En plus du domaine médical, la CRISPR a également un grand potentiel dans la production alimentaire, pour améliorer la qualité des cultures et obtenir une résistance accrue face aux maladies et aux herbicides. Il offre également la possibilité de traiter les allergies alimentaires en réécrivant les régions du gène qui provoquent une réaction allergique. Utilisée chez les animaux, la technologie CRISPR peut conduire à une meilleure résistance aux maladies, améliorant de la sorte la productivité des élevages.
Cependant, cette technologie n'est pas sans risques, qui relèvent de la maîtrise des techniques, les chercheurs mettant en exergue le risque que peuvent constituer des modifications indésirables dues à des interventions involontaires sur certaines parties du génome. D'autres risquent prennent en considération la réponse de l’organisme, en particulier de son système immunitaire, face aux virus porteurs. Enfin, ce genre d’interventions soulève toujours des questions d’éthique. Rappelons à cet égard des expériences controversées, telle que celle réalisée par un biophysicien chinois, qui a tenté sans succès d'utiliser la technologie pour modifier des embryons humains et de les rendre résistants au virus du SIDA. Largement blâmé par la communauté scientifique, il a fini par être condamné en Chine, pays qui est devenu un chef de file dans la recherche sur l'édition génomique. (Trad. Ionuţ Jugureanu)
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