Trois Français avaient pris la décision de s'engager contre le nouveau régime pro nazi de la Roumanie de l'époque. Des gens qui avaient commencé à faire de l'espionnage au profit de la France libre, au profit des Anglais aussi.
La Roumanie entre dans la Deuxième guerre mondiale à l'été 1941, après avoir souffert une triple amputation territoriale l'année précédente. C'était, en effet, au mois de juin 1940 que l'Union soviétique avait annexé la partie est de la Moldavie, soit la Bessarabie, et la Bucovine de Nord. Au mois d'août de la même année, c'était le tour de la Hongrie d'annexer la partie nord de la Transylvanie, ainsi que la province historique du Maramureș. Enfin, au mois de septembre 1940, la Bulgarie occupait la Dobroudja et le Quadrilatère. La crise profonde, qui en résultat, s'acheva par l'abdication du roi Charles II, au profit de son fils, Michel I, puis par l'instauration de l'Etat national-légionnaire, qui amènera la Roumanie dans le giron de l'Allemagne nazie, puis dans la guerre que cette dernière déclenche contre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Union soviétique.
La destruction de l'équilibre qui avait prévalu à la fin de la Première guerre mondiale n'avait pourtant pas pu être achevée avant que la France, principal artisan de la paix signée à Versailles, ne soit mise hors-jeu, à la suite de sa défaite du mois de juin 1940. La chute de la France allait jeter l'Europe dans la guerre la plus meurtrière que le monde eut connue, une guerre soldée par des dizaines de millions de victimes, ainsi que par des pertes matérielles incalculables. Après la débâcle française, l'Europe entre sous la férule allemande, et il faudra aux Alliés près de 5 années de guerre pour mettre à genoux l'Allemagne nazie et ses alliés.
Ces années ont pourtant été marquées par l'héroïsme, encore trop souvent méconnu, des petites gens, qui avaient décidé, au péril de leur vie, de s'engager dans la lutte contre le nazisme. C'est aussi l'histoire de ces trois Français, résidents en Roumanie, que nous contera Oana Demetriade, du Conseil national pour l'étude des archives de la Securitate, l'ancienne police politique roumaine de l'époque communiste. Ecoutons-la : « C'est l'histoire d'un petit groupe de Français qui avaient pris la décision de s'engager contre le nouveau régime pro nazi de la Roumanie de l'époque. Des gens qui avaient commencé à faire de l'espionnage au profit de la France libre, au profit des Anglais aussi. Et dans le centre de notre histoire se trouve une Française, Henriette Sümpt, établie en Roumanie en 1928, qui avait acquis la nationalité roumaine par le mariage. Au moment où elle s'engage dans la Résistance, la France était déjà défaite. Pourtant, elle trouve le moyen d'établir un contact avec l'agence britannique, la Special Operations Executive, basée à Istanbul. C'est à partir de ce moment-là qu'Henriette Sümpt commence à transmettre des informations précieuses aux Anglais, sans se douter que le Service spécial d'informations, soit le contre-espionnage roumain, l'avait repérée. »
Henriette Sümpt travaillait comme secrétaire dans les bureaux de la célébré agence française de presse Havas. En 1940 déjà, soit avant le début du conflit, elle utilise les bases de données de l'agence de presse pour fournir les premières informations aux Français et aux Anglais. Elle commence par transmettre les mouvements des troupes allemandes en Roumanie: corps d'armées, numéros d'immatriculation des véhicules militaires, armement utilisé, trajets empruntés par ces troupes, leur nombre, tout y passe. Henriette Sümpt faisait ses promenades dans le quartier de Floreasca, à Bucarest, d'où elle pouvait suivre sans encombre les mouvements de l'aviation allemande, basée à l'aéroport de Băneasa, situé à proximité. Mais elle se déplace aussi dans d'autres endroits de Roumanie pour dénicher les informations qu'elle cherche réunir. L'on suit ainsi sa trace à Galați, Râmnicu Sărat, Focșani, Bacău, Iași, Botoșani, toutes ces villes qui bordaient la frontière est de la Roumanie, celle avec l'URSS. Oana Demetriade : « C'est toujours elle qui, avec un journaliste français, Maurice Nègre, arrive à monter un petit réseau d'espionnage. Ensemble, ils envoient de drôles de dessins, qui ne voulaient rien dire à un non initié. Leurs dessins représentaient des feuilles, des biches, un chien ou un serpent. Mais chaque dessin représentait en fait un type bien précis d'unité militaire allemande, des unités qui se déplaçaient à travers la Roumanie, pour se déployer dans les Balkans ou se concentrer à la frontière soviétique. »
En dépit des précautions prises, le réseau finira par tomber et Henriette Sümpt sera arrêtée. Oana Demetriade : « Le réseau a été découvert et ses membres arrêtés, sous la pression des Allemands. Henriette a été arrêtée la première. Les agents du contre-espionnage roumain découvrent du matériel informatif lors des perquisitions de sa maison. L'agent qui l'arrête lui brosse le portrait : une femme belle, très intelligente, à l'esprit vif, douée en dessin, sachant se maîtriser et ne laissant rien paraître lors de l'arrestation. Le procès est mené tambour battant, à la suite duquel Maurice Négre, condamné, sera libéré après seulement quelques mois passés en prison, à la suite de l'intervention des autorités françaises. Henriette, elle, condamnée à 10 années de travaux forcés, demeurera en prison plus longtemps, passant le plus clair de cette période dans le centre pénitentiaire pour femmes de Mislea. Ses ex-époux, car elle avait été mariée à deux reprises, ne l'avaient pourtant pas abandonnée. Ils vont l'aider à rédiger ses mémoires en grâce, qu'elle va adresser au roi Michel. Elle sera finalement libérée le 22 août 1944. Le lendemain, le roi Michel déposera le maréchal Antonescu, pro nazi, et la Roumanie passera dans le camp des Alliés. »
Après la guerre, Henriette Sümpt devient sœur de charité, puis masseuse, travaillant pour des centres médico-sportifs. Ses moindres faits et gestes seront épiés par la police politique communiste, la Securitate, mais il semble qu'elle se soit départie de ses activités d'espionne, car les notes informatives rédigées par les agents de la Securitate ne font état d'aucun agissement suspect. En 1959, elle sera rapatriée en France, grâce à l'intervention de son troisième mari. Aux côtés d'Henriette Sümpt et de Maurice Négre, rappelons encore la présence du journaliste Jean Paul Lenseigne, qui avait à son tour rejoint les deux premiers résistants, dans leurs actions courageuses menées pour défendre aussi bien la France libre que leurs convictions personnelles. (Trad Ionut Jugureanu)
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