Horia Creangă est un des architectes modernistes roumains les plus réputés du XXe siècle
Parmi les architectes dits modernistes, deux noms se détachent du lot : celui de Marcel Iancu/Janco, artiste plasticien avant-gardiste qui a fait sa carrière en Israël, après avoir imaginé plusieurs hôtels particuliers à Bucarest ; et puis, celui de Horia Creangă, auteur de bâtiments – repères, érigés sur les principales artères de la capitale de la Roumanie. Apparenté au grand auteur de prose classique roumaine, Ion Creangă, l’architecte Horia Creangă a réussi à moderniser un important boulevard, ainsi que la banlieue industrielle de la capitale, à l’entre-deux-guerres.
Ana-Maria Zahariade, professeure à l’Université d’architecture de Bucarest et co-autrice de l’ouvrage « Horia Creangă. Une monographie », résume la biographie du maître. «Né en 1892, il a été le petit-fils de l’écrivain Ion Creangă. Sa famille, qui n’était pas aisée, faisait partie de la petite bourgeoisie bucarestoise. C’est ce qui l’a poussé, à la fin de la Grande Guerre, à exposer, à l’Athénée roumain, plusieurs aquarelles, qu’il a vendues afin de payer des études à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, un établissement plébiscité par les jeunes architectes roumains de l’époque. De nombreux jeunes choisissaient de parachever leurs connaissances professionnelles à Paris, malgré l’ouverture, en 1892, de la première école roumaine d’architecture. A la fin des études, Horia Creangă se fait embaucher au cabinet d’architecture de son professeur de l’Université. Dans la capitale française, il est accompagné par son épouse, Lucia Dumbrăveanu-Creangă, une des premières femmes-architectes roumaines. Ensemble, ils ouvriront leur propre cabinet, en Roumanie, que rejoint aussi l’architecte Ion Creangă, le frère de Horia. Le cabinet finit par avoir du succès, Horia Creangă ayant l’occasion de rencontrer beaucoup de gens à la Direction des Nouveaux travaux de la Mairie de Bucarest, où il travaille aussi ; ces personnes vont devenir ses clients. »
De nature réservée, Horia Creangă n’aimait pas parler de sa vie privée, mais son travail d’architecte est bien connu et un bon nombre de ses ouvrages sont toujours debout. Un de ses premiers projets a été la maison construite dans la ville de Deva (centre-ouest de la Roumanie) pour l’homme politique Petru Groza, devenu, après 1945, premier ministre et ensuite haut fonctionnaire du régime communiste. Au début des années 1920, Horia Creangă construit pour sa famille une villa de style cubiste et commence ensuite à collaborer avec de grandes compagnies privées et des industriels, qui ont été les bénéficiaires de la plupart de ses projets bucarestois, souligne Ana-Maria Zahariade. « Son premier grand projet, d’une importance et d’une beauté exceptionnelles, a eu un énorme écho aussi à l’étranger, puisqu’il a été publié dans la revue parisienne « L’Architecture ». Il s’agit de l’immeuble ARO. L’histoire a commencé lors de la réunion avec les membres de la société ARO, qui allaient lui faire confiance longtemps après 1929, quand Horia Creangă gagnait un concours organisé par eux. Le bâtiment ARO, appelé Patria à l’époque communiste, mais aussi post-communiste et affichant, aujourd’hui, un état de dégradation honteux, ce bâtiment donc a été le premier de style moderniste érigé sur le nouveau tronçon, en travaux à l’époque, du boulevard appelé alors « Brătianu », l’actuel « Magheru ». On a parlé longuement de cette construction considérée comme une sorte de gratte-ciel qui choquait les contemporains. Elle a continué de les choquer, mais les habitants de la capitale ont fini par l’aimer. On y trouvait aussi une magnifique salle de cinéma, un bar et un restaurant. A l’entre-deux-guerres, la salle de cinéma avait accueilli des spectacles exceptionnels, donnés par de grands artistes, tels le violoniste Yehudi Menuhin ou la chanteuse roumaine Maria Tănase. C’était un lieu représentatif de la société roumaine moderne et progressiste d’après la Grande Guerre. Plus tard, Horia Creangă a construit, sur le même boulevard, un autre immeuble, appelé « Malaxa-Burileanu » et qui est aussi debout, mais quasi méconnaissable. Le projet initial, à l’architecture très élégante, a lui aussi été présenté dans une importante revue étrangère. Aujourd’hui, nous savons que l’architecte Horia Creangă a imaginé 78 projets, dont la plupart ont été construits. »
La liste de ses projets inclut le bâtiment du Théâtre Giulești, qui abrite à présent l’Opéra-comique pour enfants, les usines Malaxa, rebaptisées « Le 23 Août », dans la banlieue est de la capitale, et les Halles Obor. Dans les années 1920-30, tous ces bâtiments constituaient des nouveautés innovantes aussi bien en Roumanie qu’en Europe. Horia Creangă a été attiré par la simplicité et l’élégance des lignes du courant moderniste. Il avait le don d’extraire l’essentiel des choses et d’atteindre ainsi ce sommet de l’élégance qu’il cherchait et aimait, qui était son idéal professionnel, considère Ana-Maria Zahariade, qui résume le dernier chapitre de la vie de l’architecte Horia Creangă, mort en 1943. « Il a eu droit à une reconnaissance rapide de la part de la profession, mais cela est peut-être difficile à prouver. La principale revue spécialisée de l’époque, la revue « Arhitectura », publiée par la Société des architectes, ne soutenait pas le modernisme, dont les projets n’y étaient pas tellement présents. Horia Creangă est tout de même reconnu, puisque son cabinet d’architecture s’est développé et recevait des commandes. De nombreux jeunes très doués y ont commencé de belles carrières, comme ce fut le cas de Haralamb Georgescu, très apprécié ensuite aux Etats-Unis. La renommée de Horia Creangă est presqu’entièrement due à ses projets, car il n’a pas enseigné, son cabinet étant une école parallèle à l’école officielle. D’ailleurs, la faculté privilégiait le style appelé national ou néo-roumain. Horia Creangă a rencontré le succès en travaillant surtout pour des clients particuliers. Par exemple, la société ARO était une entité privée. Il obtient aussi l’appréciation des autorités, étant impliqué dans des projets pour la municipalité de Bucarest. En tant que directeur du département des expositions, il participe à l’organisation des expositions nationales de la fin des années 1930. Il a donc travaillé sur des projets à financement public, preuve de cette appréciation officielle acquise par le style moderniste, avec le temps. »
Sis dans le périmètre central de Bucarest et à présent abandonné, le bâtiment ARO-Patria, l’ouvrage le plus connu, probablement, de l’architecte Horia Creangă, se dégrade avec chaque jour qui passe, ayant un besoin urgent de travaux de consolidation. (Trad. : Ileana Ţăroi)
Liens utiles
Copyright © . All rights reserved