On constate une augmentation massive de l'incidence des symptômes d'anxiété et de dépression.
Bien que la pandémie de Covid-19 se trouve aujourd'hui sur une tendance décroissante, elle n'a pas manqué de marquer de son empreinte le quotidien de chacun d'entre nous depuis plus de deux ans. Et ses effets ne se calculent pas juste en nombre de décès, ni par baisse du PIB, mais comprennent encore les effets psychologiques à long terme sur la population générale, des effets qui ont conduit, entre autres, à une augmentation massive de l'incidence des symptômes d'anxiété et de dépression.
En effet, les professionnels de la santé font état d'une augmentation de 25% de ces cas, et cela uniquement après la première année de pandémie. Ce qui laisse présager le pire pour la suite. La situation est par ailleurs confirmée par une analyse des politiques en matière d'évolution des maladies neurologiques en Roumanie, et correspond en cela aux données recueillies par l'OMS, qui estime à plus de 40 millions les citoyens européens souffrant de dépression, soit l'équivalent de 4,3 % de la population de l'Union européenne. Les médecins croient savoir que la pandémie a touché des patients dont la pathologie psychiatrique avait débuté à la suite de l'infection de COVID-19, touchant moins les patients déjà affectés par un trouble mental, ou qui étaient sujets à une dépression chronique. L'absence d'informations fiables, crédibles et facilement accessibles au grand public, qui devaient accompagner la gestion de la pandémie par les pouvoirs publics et les mesures prises par ces derniers pour l'enrayer, a paraît-il largement contribué à cette situation.
En effet, d'aucuns, effrayés par le risque d'attraper le virus, se sont vu mourir. La peur d'une mort imminente avait d'ailleurs particulièrement touché les malades hospitalisés des suites de la Covid-19. L'explosion de l'infox a représenté une autre source d'angoisses incontrôlables pour une bonne partie de la population.
Enfin, l'absence de toute prévisibilité, l'impossibilité de bâtir des plans d'avenir s'est avérée également dommageable pour l'état d'esprit d'une bonne partie d'entre nous.
La doctoresse Ioana Stăncel, spécialiste en politiques de santé, rappelle combien l'homme demeure un être social, qui n'est pas habitué aux situations d'isolement, à l'absence de la communication directe, avec son médecin par exemple, et qui est dominé par l'incompréhension devant cette situation nouvelle, aux contours flous. Par ailleurs, le système de santé s'avéra lent à réagir face à la détresse des personnes touchées par les effets psychologiques de l'isolement, les praticiens mettant encore trop souvent l'accent sur le traitement des seuls symptômes visibles, affirme la médecin Ioana Stăncel.
Ioana Stăncel : « Ces effets ne peuvent être observés que sur le long terme. Ce n'est que maintenant que l'on arrive à poser des diagnostiques. Soit parce que l'on observe des symptomatologies associées, soit parce que l'on arrive à diagnostiquer correctement des symptomatologies caractérisées. L'on se confronte à de nombreux patients atteints de ce syndrome de fatigue chronique, et que peu de praticiens arrivaient à diagnostiquer correctement comme effet de la forme longue de Covid. Fatigues chroniques, fatigues rebelles, besoin irrépressible de repos, demandes de traitements spécifiques, c'est le lot de beaucoup de généralistes. Mais je crois que c'est seulement désormais que nous prenons la mesure des conséquences sociales de ces manifestations à travers la diminution de la capacité de travailler, d'apprendre, de retrouver ses comportements sociétaux d'avant la maladie. »
Après deux années extrêmement rudes et déstabilisantes, nous nous voyons aujourd'hui confrontés à une nouvelle source majeure de stress, représentée par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui ne fait qu'augmenter le niveau d'inquiétude et d'angoisse de la population générale. Une source d'angoisse qui peut facilement se traduire aussi par l'augmentation du niveau d'agressivité individuelle, déjà manifesté par certaines personnes dans le contexte de la situation pandémique, comme nous l'explique dans son analyse la même Ioana Stăncel.
Ioana Stăncel : « Durant la pandémie, la réalité a été interprétée selon différentes grilles de lecture. Chaque individu s'est créé ses propres scénarios, en fonction desquels il se voyait parfois comme un sauveur, une sorte de super héros. D'un autre côté, le degré de tolérance envers les autres, parfois envers ses proches, envers les droits d'autrui de penser différemment, a considérablement diminué. Des poches de « détenteurs de vérité » ont fait leur apparition. Au regard du conflit actuel, la pandémie a vraisemblablement exacerbé la lutte pour l'accès aux ressources matérielles ou naturelles, et cela n'a fait qu'exacerber le sentiment d'être en danger. Il est probable que les puissances en présence n'ont pas su gérer correctement leurs sentiments d'angoisse, la perception des risques supposés, un sentiment qui a été exacerbé, sans être nécessairement fondé sur une réalité objective, et qu'elles n'ont pas su parvenir à une désescalade. Dans cette région élargie, formée par la Roumanie, la République de Moldova et l'Ukraine, l'on avait mené plusieurs études, et j'avais d'ailleurs pris part à certaines d'entre elles, pour évaluer le sentiment de sécurité sociétale, au sens défini par les concepts des études de sécurité, soit la perception des risques sur soi, exprimés par les menaces, réelles, ou plutôt ressenties comme telles, de la part d'autres groupes. Et même s'il est probable que ce sentiment collectif d'insécurité ne repose aucunement sur des éléments concrets, la perception erronée des risques a amené chacun des groupes concernés à exacerber ses gesticulations guerrières, les manifestations de force, de telle sorte que l'on est arrivé à des situations difficiles à gérer, à des situations inextricables, et finalement à la guerre. En même temps, la pandémie a conduit à certaines restrictions des libertés démocratiques, des libertés individuelles, ce qui n'a fait qu'empirer la donne. »
Le sens de l'humour est, dans le contexte, une des armes privilégiées pour lutter contre la dépression et l'anxiété, affirment les experts. Ces mêmes experts nous conseillent à faire des projets sur le court terme, des projets à l'issue rapide, à nous fixer des objectifs positifs et réalistes, à nous concentrer sur de belles choses, à socialiser davantage, à rencontrer des amis, écouter de la musique, marcher, prendre un animal de compagnie, rester à l'écart des pseudo sources d'information, et à ne pas trop penser à l'avenir, du moins tant qu'il nous parait trop incertain. En même temps, estime la doctoresse Ioana Stăncel, en cas de besoin, il ne faut pas hésiter à s'appuyer sur les deux béquilles : la recherche spirituelle, parfois en faisant appel à un guide spirituel, et le support que les professionnels de la santé mentale s'avèrent capables d'apporter. (Trad. Ionuţ Jugureanu)
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