A la fin du 18e siècle et au début du 19e, le savant Dimitrie Ralet qualifiait les Roumains de sédentaires
"Il paraît que le Roumain a hérité des Daces (ses ancêtres), le don d'être arrimé à son pays", affirmait Dimitrie Ralet. Pourtant, dans les années 1800, un nombre croissant de boyards jeunes et même moins jeunes sont partis à la découverte, d'abord, de l'ouest de l'Europe et ensuite du monde entier. Certains d'entre eux ont fait publier leurs souvenirs et impressions de voyage, mais le premier à se faire connaître du grand public a été Dinicu Golescu, grâce à ses « Notes de mes voyages faits en 1824, 1825, 1826 ». Son circuit a débuté en Transylvanie, pour enchaîner par la suite la Hongrie, l'Autriche, l'Italie, l'Allemagne et la Suisse. Le savant Gheorghe Asachi a été le premier jeune boyard roumain à faire des études d'abord à Vienne et ensuite à Rome, en 1807. Les deux hommes ouvrent en fait un riche chapitre de littérature de voyage, dont les protagonistes sont des personnages intéressants, bien que peu connus.
Le professeur des universités Mircea Anghelescu a rassemblé plusieurs de ces textes, dans une anthologie intitulée « Voyageurs roumains et leurs périples au 19e siècle » : « Le 19e est, pour nous, un siècle qui a resserré un certain nombre de choses que d'autres peuples ont égrené sur deux ou trois siècles. Nous avons eu plein de réalisations, de nombreux voyageurs célèbres ont dit des choses importantes auxquelles on pense presque sans plus réfléchir. Il y en a aussi certains moins connus, mais extrêmement intéressants. Je vous donne l'exemple d'une dame, Otilia Cosmuţa, dont la vie a été plutôt agitée. Fille d'un pope roumain du nord de la Transylvanie, elle a épousé, autour de l'année 1900, un fonctionnaire de l'empire austro-hongrois. Mais elle avait des penchants artistiques qui l'ont poussée à partir en Allemagne, pour étudier la peinture, et là, elle a fait une passion pour le Japon. Elle y va, grâce à une bourse gouvernementale qui l'oblige à envoyer des correspondances, très intéressantes d'ailleurs, sur la vie et la culture des Japonais. Elle a aussi envoyé des correspondances depuis Paris, où elle aurait rencontré Constantin Brâncuşi ».
Ce désir de récupérer les décalages s'est prolongé jusqu'à l'approche de la Grande Guerre. Après des débuts assez timides, la seconde moitié du 19e siècle et surtout la première du siècle suivant ont vu de nombreux Roumains réaliser des voyages autour ou au bout du monde, pour se détendre, pour rencontrer l'aventure ou pour contribuer au développement de la science. Dimitrie Ghika-Comâneşti a voyagé en Afrique, Basil Assan a fait le tour du monde, Emil Racoviţă a fait des recherches en Antarctique. Parmi autant de noms connus, il y en a, pourtant, qui le sont moins, mais dont les contributions sont également importantes, affirme Mircea Anghelescu : « Certains sont tout simplement des aventuriers qui apparaissent et disparaissent sans explication. C'est le cas, par exemple, de soldats de la Légion étrangère qui se trouvaient en Afrique, vers l'an 1900, et qui s'y ennuyaient, probablement. Ils ont envoyés plusieurs lettres au pays et puis ils ont tout simplement disparu. Leur métier supposait pas mal de risques. Vers 1903-1904, un journaliste de gauche de la ville de Galaţi est parti en Afrique après la faillite de son journal. Il comptait y faire fortune grâce à l'agriculture. Au bout de quelques années, il a échoué lamentablement dans son entreprise, mais ce fut aussi une expérience à raconter aux autres. Pour quelqu'un qui ne lit pas souvent de la littérature de voyage, il est intéressant de voir que les Roumains, réputés, fin 18e et début 19e, pour être « arrimés à leur pays », se transforment, en l'espace de quelques dizaines d'années, en véritables aventuriers des mers et des terres ».
Si la découverte de l'Occident pousse nos voyageurs à se regarder d'un œil critique, avec le temps, les Roumains ont aussi découvert autre chose, affirme Mircea Anghelescu: « Au 19e siècle, nous avons dès le début réussi un positionnement européen. Nous nous sommes rendu compte que nous étions, en fait, des Européens et nous avons adopté sciemment une conscience européenne. C'est toujours grâce aux voyages que débute l'identification des ressemblances et des zones de civilisation qu'il fallait remplir de matière européenne ». Mais pour ce faire, il a fallu créer, à travers les voyages, un choc qui nous aide à prendre conscience de notre retard et du fait que la modernisation ou l'européanisation était à notre portée. Car les Roumains appartenaient plus à l'Occident qu'à l'Orient, malgré des siècles de rapprochement avec celui-ci. Et c'est toujours au 19e siècle et à ses voyageurs que nous devons la récupération rapides des décalages par rapport à l'Europe occidentale.
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