Une nouvelle politique de l’Etat vise à doubler la consommation de livres d’ici 2020
Le projet de loi adopté en novembre dernier comporte plusieurs mesures législatives censées encourager les Roumains à lire davantage. « Le Pacte du livre » est une initiative sans précédent en Roumanie. Luana Stroe, rédactrice au Musée national de la littérature roumaine, présente la situation sur le marché roumain du livre. « A mon avis, c’est un moment très propice pour une initiative de ce genre, car le marché éditorial de Roumanie ne cesse de se diversifier. Nous avons assisté, ces dernières semaines, à une véritable avalanche d’informations parues dans la presse et sur nos sites culturels : rétrospectives, classements des livres, bilans de fin d’année, qui présentaient l’année éditoriale 2018. Et, effectivement, un grand nombre de bons livres sont parus l’année dernière. Nous avons d’excellents écrivains, d’excellents traducteurs. On peut parler d’une abondance de livres de la littérature roumaine. De nombreuses collections de littérature contemporaine sont sorties en 2018, des collections bien conçues et bien réalisées. Tout ce qu’il faut, c’est que le public accueille cette littérature avec plus de constance. »
Selon le critique littéraire Alex Ştefănescu, l’initiative adoptée par le Parlement roumain peut être un succès si la société roumaine reçoit un coup de pouce afin de surmonter ses difficultés financières. Alex Ştefănescu déclarait pour Roumanie Actualités que des problèmes existent y compris au niveau de la distribution des livres. « Cette initiative a des chances d’avoir du succès si d’autres mesures viennent la compléter. Le premier problème est d’ordre financier. Par exemple, j’ai eu une maison d’édition privée, gérée par mon épouse, Domniţa Ştefănescu. Et nous travaillions à perte, car, lors des foires du livre, en voyant les jeunes regarder avidement les livres qu’ils n’avaient pas d’argent pour acheter, nous leurs en faisions cadeau. Ensuite, nous devions payer les impôts pour ces livres, comme si nous les avions vendus. Le marché du livre a chuté à cause des revenus trop bas de la population, les gens dépensent la majeure partie de l’argent qu’ils gagnent pour acheter des aliments. Enfin, il y a aussi une cause moins évidente : la mauvaise distribution des livres, qui n’arrivent pas à ceux qui les attendent. La poste ne fait pas son devoir, les livres envoyés par colis postal n’arrivent pas à destination ou arrivent avec beaucoup de retard. »
2019 est l’Année du Livre en Roumanie. La mesure législative la plus importante du projet consacré à la lecture est peut-être celle visant à rapprocher les collégiens et les lycéens de la littérature classique et contemporaine. Luana Stroe explique : « Ce projet comporte un volet appelé « La Roumanie s’adonne à la lecture » dont le but est de promouvoir la lecture dans les écoles. Rien de plus approprié. Je n’ai pas beaucoup d’occasions d’entrer en contact avec les élèves, mais lorsque cela arrive, mes entretiens avec eux aboutissent presque toujours à la littérature contemporaine. Et c’est quelque chose de tout à fait nouveau pour eux. Souvent, je leur lis de la poésie contemporaine. Je leur ai lu, un jour, un poème des « Chansons excessives » de Dan Sociu et ils ont été émerveillés. Finalement, je pense que c’est là une clé : leur offrir au moins un échantillon de ce que l’on écrit de nos jours, je pense que cela les rapprocherait d’une autre façon de la lecture. Et accorder, en même temps, plus de crédit aux auteurs classiques. Je pense que la littérature contemporaine pourrait calmer l’inquiétude des lycéens qui doivent passer l’épreuve de roumain au bac. »
Bien que le « Pacte du livre » soit censé soutenir les diffuseurs de livres, Alex Ştefănescu estime qu’en fait, ce sont les éditeurs qui se confrontent aux plus grandes difficultés. « Je constate avec étonnement que l’on encourage surtout les librairies. J’ai beaucoup de sympathie pour mes amis, les libraires. Pourtant, en ce moment on est confronté à l’insatiabilité des diffuseurs, qui empochent 40% à 50% du montant des ventes et ils ne font pas leur devoir. Certes, il y a aussi des libraires qui ont une véritable vocation pour ce métier, mais ce n’est pas toujours le cas. Si un livre coûte 100 lei, par exemple, le libraire touche 40 à 50 lei, l’auteur 10 lei et l’éditeur 10 lei. Le reste est divisé entre l’imprimerie et l’impôt à l’Etat. Le libraire, qui touche une somme si importante, n’assume aucune responsabilité. Il vous paie l’argent après la vente de votre livre – en supposant qu’il se vend. Il ne fait rien pour qu’il se vende, parfois il oublie même de l’exposer et à la fin il vous le restitue, avec beaucoup de retard et dans un mauvais état. C’est une bonne chose de soutenir les libraires, mais c’est les éditeurs qu’il faut soutenir avant tout. »
La société roumaine a peut-être plus que jamais besoin de livres. Que ce soit des livres classiques, au format papier ou des livres électroniques, Luana Stroe estime que cette « Année du livre » rapprochera davantage les Roumains de l’idée de lecture. « Je pense que les livres numériques sont de plus en plus recherchés, les livres audio aussi. Il y a beaucoup de livres de très bonne qualité qui sortent et qui attirent notamment le public jeune. Bien que ce type de livre ait un grand impact, à mon avis, le livre papier restera le favori des lecteurs. Cette Année du livre 2019 me fait penser à un livre d’Umberto Eco et de Jean-Claude Carrière, « N’espérez pas vous débarrasser des livres ». Je trouve que ce serait un très bon slogan pour ce projet. Moi, je garde mon enthousiasme et j’espère que les choses iront bien. Puisque le marché du livre est fort et productif, nous avons toutes les chances de former un public plus solide et plus stable. »
Selon une analyse comparative réalisée par Eurostat, en 2018, seulement un quart des Roumains de plus de 20 ans lisaient plus de 5 livres par an. C’est le niveau est le plus bas enregistré dans la région et largement inférieur à celui des pays nordiques. ( Trad. : Dominique)
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