La faculté ouvrière

la faculté ouvrière Un établissement scolaire bizarre, expression de l’idéologie communiste censé contrer l’Université classique, jugée comme une forme de manifestation de l’exploitation capitaliste...

Le 6 mars 1945, le Parti communiste s’emparait du pouvoir en Roumanie avec l’aide de l’URSS. Peu de temps après démarrait la transformation de la société selon le modèle soviétique. En 1948, la réforme de l’enseignement rendait possible l’apparition d’un établissement scolaire bizarre, baptisé « faculté ouvrière », car l’idéologie communiste considérait l’Université comme une forme de manifestation de l’exploitation capitaliste. L’ouvrier étant devenu l’emblème du régime communiste, cette institution avait pour mission de former les gens de sorte à en faire des « hommes nouveaux ». Son second rôle consistait à servir au régime d’instrument de contrôle de la jeunesse étudiante.

 

Le journaliste de radio et de télévision Andrei Banc était étudiant vers le milieu des années 1950, lorsque cette faculté avait atteint son apogée. Dans une interview accordée en 2002 au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Banc décrivait succinctement comment se déroulait l’admission des jeunes à la faculté ouvrière : « En ’55, quand j’ai été admis à la faculté, le régime communiste comptait à peine une dizaine d’années, 9 plus exactement, si l’on prend pour point de départ les élections de 1946. Dans ce laps de temps, on avait mis en place tout un appareil d’Etat. Bien des ouvriers, donc des gens très peu instruits, mais issus d’une couche sociale jugée saine, ont accédé à des postes de direction. Ils ont suivi à la va-vite les cours de lycée et puis deux années dans cette faculté créée à leur intention. En fait, cette faculté d’une durée de deux ans équivalait à des études secondaires car ces jeunes n’avaient fréquenté que l’école primaire. Moi aussi j’avais achevé le lycée en 2 ans, selon le modèle soviétique. Plus d’un tiers de mes collègues, beaucoup plus âgés que moi, étaient diplômés de cette faculté ouvrière. Comme ils étaient tous membres du parti communiste, ils exerçaient l’encadrement d’un point de vue politique de jeunes étudiants, qui n’avaient pas plus de 16 à 17 ans. »

 

Les étudiants de la faculté ouvrière étaient donc des gens mûrs,  adeptes de l’idéologie prônée par le régime et résolus à la défendre. Ils avaient également pour tâche d’orienter la jeunesse, de veiller à sa formation éducationnelle et intellectuelle. Andrei Banc : « Si de nos jours, les frais émoulus des lycées ont 19 à 20 ans, à cette époque-là, la plupart de mes collègues ayant ce même âge étaient mariées et certaines d’entre elles avaient déjà un enfant. Elles épousaient des hommes domiciliés à Bucarest pour trouver un emploi dans la capitale, après la faculté. Une bonne partie de mes collègues de faculté avaient presque le double de mon âge. Cela faisait une drôle d’impression. C’était comme si un quadragénaire considérait un octogénaire. Ces gens dont je vous parle étaient mariés, avec enfants. Dans la majeure partie des cas, ils travaillaient parallèlement à leurs études. Ils avaient donc certaines responsabilités et ne pouvaient donc pas se permettre les folies auxquelles nous autres, les jeunes, nous adonnions en ces temps-là. Ils vivaient sous la pression, sous la contrainte de leur qualité de membres du parti communiste, de leur origine ouvrière. En plus, ils étaient conscients du fait que la moindre erreur leur aurait coûté l’emploi, le carnet de membre du parti, la qualité d’étudiant. Or, comme ils avaient tous des familles à entretenir, les choses n’étaient pas du tout simples. »

 

Par ailleurs, les leaders des organisations étudiantes provenaient sans exception de la faculté ouvrière. Andrei Banc : « Ils formaient, pour ainsi dire, le détachement appelé à encadrer les jeunes étudiants en philosophie et en droit. Chaque année d’études avait son secrétaire de parti. Le nôtre était quelqu’un de bien. C’est dire que tous ces individus n’étaient pas abrutis. Cette personne-là, qui avait exactement le double de mon âge, était journaliste au quotidien « Munca » (Le Travail). Le bureau de l’Union de la jeunesse ouvrière était formé de jeunes élus sur des critères parfaitement démocratiques, alors que le secrétaire de parti, plus âgé et issu de la faculté ouvrière, était nommé à ces fonctions. Il y avait aussi une troisième catégorie, regroupant ceux qui avaient été admis à la faculté ouvrière, mais qui ne fréquentaient pas les cours car occupant des postes beaucoup trop importants. Ils se présentaient directement aux examens. Ce fut le cas de Dumitru Aninoiu aussi. Nous autres, jeunes étudiants appliqués, dont moi-même, nous aidions ces étudiants de la faculté ouvrière, qui peinaient à apprendre. Le nommé Aninoiu était directeur dans le domaine de la presse, même si sa formation ne le qualifiait pas pour un tel poste. De nos jours, les choses semblent être plus compliquées. Bref, il y avait deux groupes distincts: celui des jeunes folâtres et un autre, le détachement de la classe ouvrière formé de gens très sérieux. »

 

La faculté ouvrière a fait figure à part dans l’enseignement supérieur de Roumanie. A commencer par 1960, cette véritable pépinière de cadres allait servir de base à l’enseignement supérieur consacré à l’idéologie du parti. (trad.: Mariana Tudose)


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Publicat: 2016-08-01 13:33:00
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