La répression communiste. Le tortionnaire.

la répression communiste. le tortionnaire. La prison de Piteşti, lieu de détention connu pour les expériences de lavage de cerveau et de rééducation par la torture inspirées des pratiques soviétiques a été l'un des meilleurs exemples qui ont vu des victimes se muer en bourreaux.

Récemment, la presse roumaine a remis au goût du jour un terme aux résonances sinistres: le tortionnaire. Alors que le terme est revenu dans l'actualité à la faveur des premiers procès qui ont mis sur le banc des accusés les derniers survivants parmi les dirigeants des prisons politiques des années '50, l'usage immodéré du terme frôle l'inflation. En effet, force est de constater la tendance des médias roumains de coller l'appellatif de tortionnaire à tous ceux qui ont travaillé dans le système de justice ou le système pénitentiaire de l'époque communiste. 


La réalité demeure pourtant plus nuancée. Car ce que la presse d'aujourd'hui appelle tortionnaire est tout à la fois victime et bourreau. Victime, car certains de ceux que l'on désigne aujourd'hui comme tels n'étaient au fond à l'origine que de pauvres victimes forcées à endosser l'habit du bourreau pour améliorer leur sort. 

 

La prison de Piteşti, lieu de détention connu pour les expériences de lavage de cerveau et de rééducation par la torture inspirées des pratiques soviétiques a été l'un des meilleurs exemples qui ont vu des victimes se muer en bourreaux. Le but de cette expérience sinistre, menée de 1949 à 1952 à l'échelle d'une prison tout entière, était d'utiliser la torture en continu pour obtenir un changement de personnalité, un effacement des valeurs et des principes dont les détenus politiques étaient porteurs, pour les remplacer par les principes communistes. La rééducation de Pitesti n'était en fait qu'un projet pilote, un modèle de « bonnes pratiques » censé être ultérieurement étendu à tout le goulag roumain. D'évidence, les partisans de la première heure de l'expérience de Pitesti sont, pour sûr, de véritables tortionnaires. Parmi ces derniers, une place à part est réservée à Eugen Ţurcanu.


Les archives du Centre d'histoire orale de la Radiodiffusion roumaine abritent les enregistrements des interviews réalisées avec plusieurs des survivants de l'expérience de rééducation par la torture effectuée dans la prison de Pitesti. 


Le détenu Sorin Bottez, interrogé en 2001, remémorait, 50 ans après les événements, avec beaucoup de difficulté, de son expérience à Pitesti : « Il s'agit d'un sujet pénible, car cela dépasse l'entendement. Je suis l'un de ceux qui sont parvenus à résister, qui ne sont pas devenus des tortionnaires à leur tour, pendant cette période de rééducation terrible. Mais même ainsi, j'hésite à jeter l'anathème. J'hésite, car je sais comment c'était. A l'exception de ceux qui sont devenus des tortionnaires de leur plein gré, de leur propre chef, sans avoir à subir la torture. Ceux-là, je les condamne, ils mériteraient d'être cloués au pilori. Ce qui n'arrivera jamais, pourtant. Mais il faut quand même faire la distinction entre ceux qui sont tombés, ceux qui sont devenus des bourreaux parce qu'ils avaient tout simplement cédé à la torture, parce que la capacité de résistance du cerveau a ses limites, et puis les autres, ceux qui ont été leurrés, qui ont cédé par faiblesse, sans qu'on les touche. Aux derniers, je ne puis trouver d'excuses. La plupart d'entre eux ont par la suite payé les faits à leur juste prix. Car ils ont été jugés et exécutés par ceux-là même qu'ils avaient servis et vénérés, par les communistes. Malheureusement, certains y ont échappé. » 


L'on imagine rarement le mal en chair et en os. Et lorsqu'on l'imagine malgré tout, il nous apparaît sous des traits effrayants, terribles, des traits sous lesquels on puisse l'identifier facilement. Pourtant, ce n'est pas ainsi qu'il est en réalité. Ses traits sont ceux de M. tout le monde. Aristide Lefa a eu affaire au célèbre Eugen Ţurcanu, détenu politique, devenu le meneur des tortionnaires racolés parmi les détenus. Car ce qui a été terrible dans l'expérience de rééducation de Pitesti, c'était que les tortionnaires étaient des détenus, ils vivaient avec les autres détenus 24h/24, 7j/7, la panoplie des humiliations, des violences et des brimades mises en œuvre étant aussi étendue que l'imagination humaine. 


En 2000, Aristide Lefa remémorait le personnage d'Eugen Turcanu : « Ţurcanu était un chef suprême en quelque sorte. Même le directeur de la prison le craignait. Il déambulait librement dans la prison, il avait les clés des cellules, évidemment avec l'aval du ministère de l'Intérieur, le ministère de tutelle. Dumitrescu, le directeur, le craignait, il fallait qu'il collabore avec Turcanu. Ce dernier mettait au point tous les détails des tortures, des dérouillés qui avaient lieu, mutait les prisonniers d'une cellule à l'autre. Le soir où j'ai quitté Pitesti, il y avait 50 prisonniers qui devaient partir au sanatorium. Sur les 50, seuls 18 y sont parvenus. Nous étions là avec nos bagages, on devait partir pour la gare et, à un moment donné, l'on voit Turcanu venir du bureau du directeur, avec le visage tordu carrément, par la furie probablement. Je ne suis pas sûr, mais je revois son visage, son rictus. Il nous a jeté un regard qui semblait dire : « Ceux-là m'ont échappé, les salauds ! ». Et il s'est éloigné. Ce fut la dernière fois que je l'ai vu. »  

  
En 2000 toujours, Ion Fuică remémore les scènes de torture mises en scène par Turcanu et auxquelles il avait assisté : « Ses hommes de main entraient, et ils vous prenaient de force. Ils vous emmenaient dans la cellule 4 de l'hôpital, là où Turcanu organisait ses séances de torture. Turcanu était assis à une table, il y avait dans la pièce un poêle à bois, et je me souviens de l'odeur des bûches. Cela me rappelait la maison. Et là, il fallait reconnaître tout ce qui leur passait par la tête, ce dont vous n'aviez jamais pensé faire. Vous deviez écrire votre déposition. Et puis Turcanu lisait ce que vous veniez de coucher sur papier et criait : «Tu penses que ça, c'est une déposition ? Tu te crois à l'enquête ? ». Comme si l'enquête subie dans les locaux de la Securitate, de la police politique, c'était de la tarte. Et il fallait « reconnaître » qu'on avait eu des relations sexuelles avec sa propre mère, par exemple. Si vous refusiez, ils vous tapaient. Un autre, je l'ai vu de mes yeux, a été forcé de boire son urine. C'est des choses connues, mais je suis témoin que cela se passait ainsi, car je l'ai vu de mes yeux, ce ne sont pas des histoires à dormir debout ». 

En l'absence de ces témoignages, qu'ils soient oraux ou écrits, on pourrait être tenté de penser que de telles horreurs ne sont que le fruit d'une imagination malade. Malheureusement, ce fut le vécu réel de beaucoup de victimes du système concentrationnaire communiste. Un vécu qui, souvent, dépassa de loin la fiction. (Trad. Ionut Jugureanu)
 


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Publicat: 2019-07-29 13:09:00
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