Souvenirs de l'époque de Bibi

souvenirs de l'époque de bibi Le roman d'Andrei Cornea, paru aux Editions Humanitas

Essayiste, historien de l'art, publiciste et philosophe, Andrei Cornea a lancé, aux Editions Humanitas, son roman intitulé « Souvenirs de l'époque de Bibi ». Le nom du titre renvoie à « 1984 », une des œuvres de référence de l'écrivain britannique George Orwell, dans laquelle un monde placé sous le signe du totalitarisme était dirigé par le personnage symbolique appelé Big Brother.


        L'historien Ioan Stanomir accueillait avec ces mots le lancement du livre « Souvenirs de l'époque de Bibi » à la Librairie Humanitas Cişmigiu de Bucarest : « Je commencerais par dire que c'est un des livres les plus ambitieux parus dernièrement. Andrei Cornea tente d'entrer en dialogue avec une tradition illustre, celle de la dystopie, et imagine un dialogue avec un des livres les plus inquiétants du XXe siècle, « 1984 » de George Orwell, sous l'angle d'une sensibilité inquiétante du XXIe siècle. C'est un livre préoccupant et inquiétant parce que c'est une méditation sur la capacité des gens de s'accommoder et sur l'incapacité des gens de préserver un culte de la mémoire et un devoir de vérité. »


        Le même Ioan Stanomir affirme que, même si de prime abord, le texte d'Andrei Cornea semble être plus lumineux que « 1984 », le célèbre ouvrage avec lequel il entre en dialogue, le roman « Souvenirs de l'époque de Bibi » documente une dégradation morale et un pervertissement de la mémoire qui ne font qu'approfondir « le sentiment de pessimisme ontologique ». Le roman récemment lancé d'Andrei Cornea devient ainsi un instrument utile pour le lecteur d'aujourd'hui, passionné ou non d'intertextualité, considère Ioan Stanomir : « Je pense qu'en ces moments, un tel livre peut parler à un auditoire composé de plusieurs strates. Il peut s'adresser à ceux qui sont passionnés par la nature humaine et qui peuvent découvrir les réflexions d'un pessimiste modéré sur la manière dont la nature humaine est corrompue de manière quasiment irrémédiable par la dictature. On peut également y trouver des réflexions sur la réinvention de la dictature en tant que démocratie contrôlée. Et enfin, il peut s'adresser à ceux qui considèrent la littérature comme une somme d'échos de textes écrits avant celui-ci. »


Le critique littéraire Cosmin Ciotloş a également participé au lancement du livre d'Andrei Cornea ; il a attiré l'attention sur la démarche littéraire sans précédent, celle de dialoguer avec une des dystopies du siècle dernier ayant la plus grande valeur: « Du point de vue littéraire, nous avons affaire à un des livres les plus téméraires, parmi les plus courageux, qui non seulement s'attaque à un genre difficile, le genre dystopique, mais attaque un des livres fondateurs, essentiels, du XXe siècle. Comment ? En reconstituant l'ensemble de son contexte, en réinventant son contexte, faisant un type de docu-fiction de la meilleure qualité, et ce justement avec le roman « 1984 » de George Orwell. »


        Dans « Souvenirs de l'époque de Bibi », Andrei Cornea reprend le personnage de George Orwell et l'imagine vivant après la chute du régime totalitaire figuré par « Big Brother ». Le comportement des autres personnages autour de ce Winston Smith représente, pour Cosmin Ciotloş, le point d'intérêt maximum du roman d'Andrei Cornea : « La grande surprise dans ce livre vient de quelques questions que chacun de nous est tenu de se poser dès lors qu'il voit ce qui se passe ici. L'une d'entre elles, c'est « A quel point notre mémoire affective et idéologique fonctionne-t-elle mal ? Comment est-il possible que le monde entier, rencontrant ce Winston Smith, prenne ses mémoires pour un roman ? Comment est-il possible que tous ceux qui sont là, avec de vagues exceptions discutables, disent que le manuscrit qu'il remet à la maison d'édition fait preuve d'une imagination incroyable, « une imagination dérangée », selon les mots d'un éditeur, et que de telles trouvailles se vendront à coup sûr ? » Ce ne sont pas des trouvailles, c'est une réalité que cet homme a vécue. Etant critique littéraire, j'ai été choqué par le détail que beaucoup de ces personnages amnésiques jouent bien. Ils lisent le manuscrit comme des critiques littéraires, ils l'aiment, spéculent savoureusement autour de lui, et de façon très intelligente, mais d'une manière qui n'est pas correcte. L'intelligence de la spéculation, ce n'est pas de la vérité. »


        Andrei Cornea parle de l'appel à la mémoire, mais aussi de la liberté qu'il a offerte aux personnages de « Souvenirs de l'époque de Bibi » : « La question de la mémoire, qui est un thème dans mon roman, doit être considérée avec un peu de relativisme. Il est vrai qu'il y a l'amnésie de beaucoup qui ne se souviennent que de bagatelles et de choses plutôt amusantes et de petits ennuis du temps de la dictature, comme le font aujourd'hui encore tant de gens qui disent que ce n'était pas si mal du temps de Ceauşescu. Je ne veux pas les condamner, du moins pas dans le roman, je les laisse vivre eux aussi. Les amnésiques ou ceux qui sont relativement amnésiques ont le sentiment que Winston Smith, mon personnage emprunté à Orwell, exagère, qu'il est un radical. Peut-être ont-ils aussi un peu raison, en quelque sorte. Je ne veux pas en être sûr, c'est le privilège du roman sur l'essai. Il ne faut pas décider, mais laisser vos personnages représenter des points de vue différents. On n'est pas obligé d'être tout le temps en cohérence avec soi-même. »


        « En fin de compte, c'est le destin du mot : se muer en fait. Quelle est la responsabilité de l'auteur du mot pour les faits de la postérité ? Je ne sais pas exactement. Et parce que je ne sais pas, je pratique cette petite lâcheté - la fiction -, laissant les choses évoluer presque d'elles-mêmes. Après, je n'ai pas de solution », notait encore Andrei Cornea. (Trad. : Ligia Mihăiescu)



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Publicat: 2019-07-06 11:59:00
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