Le pèlerinage dans la Roumanie du 21e siècle

le pèlerinage dans la roumanie du 21e siècle La pandémie a bouleversé le déroulement des pèlerinages. Retour sur ce phénomène social et religieux de grande ampleur, auquel participent des dizaines, voire des centaines de milliers de pèlerins.

Du Bouddhisme au Judaïsme en passant par l'Islam et l'Hindouisme, à chaque religion son haut lieu de pèlerinage. Le Christianisme n'échappe pas à la règle. Jérusalem, Rome, Saint Jacques de Compostelle, Lourdes, le monastère des Météores en Grèce, les îles d'Eghina et d'Evia, Nea Makri, ou le mont Athos, sont autant d'exemples de lieux de pèlerinage du monde chrétien.


En Roumanie, pays majoritairement orthodoxe, la saison des pèlerinages les plus importants est maintenant terminée. C'est l'occasion pour nous de revenir sur ce phénomène social et religieux de grande ampleur, auquel participent des dizaines, voire des centaines de milliers de pèlerins.


Nous sommes en compagnie de Mirel Bănică, chercheur en socioantropologie des religions à l'Académie Roumaine, à qui nous avons demandé brièvement de passer en revue les principaux lieux de pèlerinages roumains : « Chaque pèlerin a son lieu de pèlerinage de prédilection. Il n'y a aucun mal à l'avouer, nous ne sommes pas théologiens, et chacun a le droit d'avoir son Saint préféré, avec lequel il a le plus d'affinités. Je vais tout de même tenter un petit classement. Les deux plus grands pèlerinages sont ceux de Iasi et Bucarest, qui, avant le Covid, attiraient des dizaines, voire des centaines de milliers de pèlerins. Vient ensuite le monastère de Nicula, le plus important de Transylvanie. Il existe aussi des pèlerinages plus locaux, mais qui n'en demeurent pas moins très connus. C'est le cas par exemple du monastère de Cernica (pour Saint Calinic) et celui au monastère de Curtea de Argeş (pour rendre hommage à Sainte Filofteia). Enfin, un dernier pèlerinage est récemment apparu sur la carte de Roumanie, il y a maintenant une dizaine d'années. C'est celui de Prislop, où se trouve la tombe du père Arsenie Boca. »


Dans le cadre d'un pèlerinage catholique, l'hommage qu'un pèlerin rend au sacré est d'ordre géographique. Il doit en effet beaucoup marcher pour se rendre sur le lieu sacré. C'est le cas par exemple du chemin de Saint Jacques de Compostelle. 


Chez les orthodoxes c'est différent. Chaque pèlerinage est unique, même si Mirel Bănică estime qu'ils partagent quelques points communs : « Ce qui fait la spécificité du pèlerinage orthodoxe, c'est la situation d'attente dans laquelle se met le pèlerin. Cela peut être court ou parfois très long. Pour ma part, c'est en 2015-2016 à Iasi, que j'ai le plus attendu. J'ai dû patienter près de 20 heures. Comme tout bon pèlerin qui se respecte, j'ai ma fierté. Les pèlerins ont toujours aimé se vanter un peu. Ils ne devraient pas, mais ils adorent raconter leurs exploits ! Une deuxième caractéristique typique de la religion orthodoxe et peut-être typique des pèlerinages en Roumanie, c'est le contact intime et très direct avec le sacré par le biais des saints ou des icônes, comme celle de Nicula ou la tombe du Père Arsenie Boca, à Prislop. Cette intimité avec le sacré, le fait que le pèlerin orthodoxe ait tendance à toucher, à s'approcher, à entrer en contact direct avec l'objet sacré, a généré de nombreux problèmes pendant la pandémie. En effet, pendant cette période singulière, le contact direct entre les hommes ou avec les objets sacrés a été fortement critiqué et à de nombreuses reprises. »


La pandémie a bouleversé le déroulement des pèlerinages. En temps « normal », on voit déborder des églises une marée humaine, un flot de gardes de sécurité et de forces de l'ordre, une kyrielle de stands où sont vendus des objets de culte. Le tout sur fond de prières et de chants byzantins diffusés par des haut-parleurs... sous le regard scrutateur de la presse.


La pandémie a aussi bouleversé le recrutement des pèlerins. Personne ne voulait ou ne pouvait plus voyager aussi facilement ou aussi loin qu'avant. Mais qui participe à ces pèlerinages ? Le pèlerin roumain est, souvent de façon péjorative, associé à une femme d'âge mûr, issue de milieu rural et, dans le meilleur des cas, ayant terminé l'école primaire.


Qui Mirel Bănică a-t-il croisé en faisant la queue pendant 20 heures ? Il raconte :  « Le temps passe impitoyablement vite. Cinq ou six ans ont déjà passé depuis la publication de mon livre, « Besoin d'un miracle ! le phénomène des pèlerinages dans la Roumanie contemporaine », écrit en 2014-2015 et paru aux éditions Polirom, et réédité depuis. A l'époque, je me posais déjà la question « peut-on dresser un portrait-robot du pèlerin ? est-ce possible ? peut-on affirmer, tiens, lui c'est un pèlerin ? ». Cela en surprendra plus d'un, et j'épargnerais ici les détails à ceux qui n'aiment pas les pèlerinages pour des raisons diverses, mais il existe plusieurs profils de pèlerins. J'ai croisé sur mon chemin le stéréotype du pèlerin de la campagne, portant encore sa nourriture dans sa besace et mangeant avec délice un morceau de polenta avec de l'oignon cru ! Je n'exagère pas ! J'ai aussi croisé, et j'en ai déjà parlé dans mon livre, mais je le répète ici, des pèlerins très sophistiqués et très bien équipés : meilleur équipement de trek, meilleur vêtement de pluie, meilleur coupe-vent. Ils arrivaient en file indienne, comme s'ils voulaient gravir l'Himalaya, comme s'il s'agissait pour eux d'un exercice de développement personnel. Cela reflète la sécularisation de notre époque ! »


Pour certains spectateurs, restés en marge de ce phénomène, les pèlerinages constituent un anachronisme de l'époque post-moderne dans laquelle nous vivons. De tout temps les pèlerins ont été stigmatisés, mais ce phénomène n'a pas été inventé en Roumanie, et pas à notre époque. C'est ce qu'affirme le chercheur de l'Académie Roumaine, Mirel Bănică : « C'est une étape, le signe évident d'une sécularisation. Elle se manifeste aussi de manière chaque jour plus flagrante dans notre société sécularisée. C'est-à-dire dans laquelle l'idée de société religieuse, d'esprit religieux et de religiosité s'estompent progressivement.Et c'est tout à fait normal, car 30 ans ont passé depuis la chute du communisme. Notre population vieillit, l'Europe tout entière vieillit, et nous rejoignons lentement mais sûrement le chemin de la sécularisation de l'Europe occidentale. Tous ces jeunes qui crient « nous voulons des hôpitaux, pas des églises » ont en partie raison. A quoi fais-je référence ici ? Ils incarnent la première génération étique dans l'histoire de la Roumanie. Et par génération étique, j'entends élevée dans un esprit de travail, dans le culte de l'efficacité, du professionnalisme. Une génération qui n'envisage pas l'intervention divine dans la destinée de l'Homme, qui ne considère pas que ces pratiques, telles que les pèlerinages, leur apportent une vie meilleure. Il ne faut pas oublier, et je pense qu'il est important de le rappeler, surtout aux plus jeunes, que les pèlerinages prenant la forme d'une longue file d'attente comme nous les connaissons aujourd'hui, sont une pratique relativement récente, apparue dans les années 90. Ils existaient déjà, mais restaient très localisés et de petite envergure. Ce n'est pas un hasard s'ils sont apparus après la chute du communisme. Les gens ont eu besoin de remplacer le système qui s'était effondré par quelque chose qui donnait un sens à leur existence. Et je pense que depuis, les pèlerinages accomplissent cette mission avec succès, pour bon nombre de citoyens roumains. »


Pour beaucoup de Roumains, les pèlerinages sont un médicament spirituel, surtout en période de crise sanitaire. Quand retrouverons-nous les pèlerinages d'avant ? Pour le chercheur Mirel Bănică, une solution consiste à effectuer un pèlerinage intérieur. Une démarche bien plus difficile, qui nécessite d'être discipliné et rigoureux. (Trad : Charlotte Fromenteaud)



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Publicat: 2021-11-24 11:31:00
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