La Conférence de paix de Paris, qui s'est déroulée entre le 29 juillet et le 15 octobre 1946, entendait mettre fin à l'innommable carnage de la Seconde guerre mondiale, s'essayant par ailleurs de jeter les bases de ce qu'on peut appeler une paix durable. C'était le 10 février 1947 qu'allaient être signés les traités de paix avec les alliés européens de l'Allemagne nazie, soit l'Italie, la Roumanie, la Hongrie, la Bulgarie et la Finlande. Une chose est sûre : en dépit des efforts de leurs diplomates, tous ces Etats, à la seule exception notable de la Bulgarie, allait y laisser des plumes, forcés d'abandonner des pans entiers de leurs territoires et se voyant condamner à des lourdes réparations de guerre.
La délégation roumaine à la Conférence de Paris avait été nommée par le gouvernement de Bucarest, contrôlé par les communistes, et imposé au roi par l'occupant soviétique. Le lobby de la diaspora roumaine et les techniciens de la délégation officielle avaient malgré tout tenté de défendre les intérêts de pays.
Gheorghe Apostol, vieux leader communiste, met en exergue le rôle joué par les membres communistes de la délégation à la Conférence de paix, lors d'une interview passée en 1995, pour le Centre d'histoire orale de la Radiodiffusion roumaine.
Gheorghe Apostol : « Lucreţiu Pătrăşcanu faisait partie de notre délégation, autant en sa qualité de ministre de Justice, qu'en tant que leader communiste reconnu. Mais le chef de la délégation était Gheorghe Tătărescu, vice-premier ministre et chef de la diplomatie roumaine, diplomate reconnu à l'étranger. C'est lui qui avait dirigé les travaux de notre délégation. Une fois le traité de paix signé, la délégation avait été accueillie avec enthousiasme au retour à Bucarest, car elle était parvenue à convaincre les Alliés du bien-fondé de la position roumaine au sujet de la Transylvanie. Un succès d'importance, mais obtenu avec beaucoup de peine. »
Gheorghe Barbul, chef de Cabinet du maréchal Ion Antonescu, l'ancien leader pro-allemand de la Roumanie de 1940 à 1944, avait été chargé de rédiger deux rapports, le premier au sujet du différend territorial roumano-hongrois, le second sur la question juive.
Gheorghe Barbul : « Une commission avait été chargée, déjà avant la Conférence de paix, de préparer et de mettre à la disposition de notre délégation les documents techniques, que cette dernière désirait présenter à la Conférence. La présidente de ladite commission n'était personne d'autre qu'Ana Pauker, la dirigeante de la branche moscovite du parti communiste roumain. Rédiger le premier document, sur le différend territorial avec la Hongrie, cela ne m'avait pas posé de problèmes. Sur la question juive en revanche, j'étais mis devant un problème de conscience. Parce que j'avais été collaborateur du maréchal Ion Antonescu durant la guerre, et puis aussi de son adjoint, Mihai Antonescu. Et il m'était difficile d'écrire ce que l'on attendait de ma part à l'époque. Et si même je l'avais fait, c'est que j'aurais trahi ma conscience. Mais j'ai eu de la chance, une chance inespérée. Parce que c'est juste à ce moment-là que je reçois la documentation rédigée par une organisation internationale juive prestigieuse, l'American Jewish Joint Distribution Committee. Et dans ces documents, lorsqu'on parlait de la Roumanie, il était attesté le nombre de Juifs demeurés à l'intérieur des frontières roumaines, une fois que les provinces de Bessarabie, du Nord de la Transylvanie, de Bucovine et du Quadrilatère ont été dépecées du territoire national, en 1940, avant la guerre. À cette époque, après le dépeçage, il n'y avait plus que près de 400 mille Juifs sur les territoires qui se trouvaient sous la responsabilité de l'Etat roumain, fin 1940. Et selon ces données, la situation des Juifs roumains, à l'issue de la guerre, le nombre des Juifs survivants, montrait que leur sort avait été bien meilleur que dans nul autre pays occupé par l'Allemagne. J'avais rédigé mon rapport sur cette base, je l'avais montré à Ana Pauker, qui était juive par ailleurs, et à mon grand étonnement elle l'avait approuvé sans réserve. »
Paul Niculescu-Mizil, dignitaire communiste d'envergure à l'époque, estimait quant à lui, dans une interview de 1997, que la Roumanie aurait dû bénéficier du statut de cobelligérant à la Conférence de paix de Paris de 1946.
Paul Niculescu-Mizil : « C'était une question ardue. Nous avons appuyé cette thèse de toutes nos forces. Mais les Alliés s'y sont refusés. Ils sont allés jusqu'à modifier la date d'entrée de la Roumanie en guerre du côté allié et contre l'Allemagne nazie, alors que cette date était mentionnée même dans le document d'armistice, signé à Moscou, entre la Roumanie et l'Union Soviétique. Mais dans le traité de paix on en fait fi. Au lieu de la date du 23 ou 24 août 1944, l'on fait mention de la date du 12 septembre. C'est mystifier la réalité ! C'est que diminuer les mérites des Roumains arrangeait tout le monde, les Russes, tout comme les Américains. Les Soviétiques se pavanaient de la sorte d'avoir libéré Bucarest, alors que les Allemands y avaient été chassés bien avant, par l'Armée roumaine. J'avais raconté l'épisode suivant, qui en dit long, dans l'un de mes articles. Vous savez, en 1959, le maréchal soviétique Konev nous rend visite, pour nous remettre en grande pompe le drapeau d'un régiment soviétique qui avait, soi-disant, libéré Bucarest. Et alors, moi, j'avais préparé à l'intention de Bodnăraş, qui était à l'époque notre ministre de la Défense, une collection des journaux du 29, 30 et 31 août 44. C'était au moment où les troupes soviétiques faisaient leur entrée dans la capitale, dans une capitale libérée de longue date, où ils avaient été reçus avec des bouquets de fleurs, et point avec des balles. Cela mettait à mal le récit officiel des soi-disant libérateurs soviétiques. Les troupes soviétiques avaient été saluées par les communistes roumains depuis leurs balcons. Ces troupes soviétiques avaient défilé à Bucarest, ils n'avaient rien fait pour le libérer. »
Quoi qu'il en soit, il y a 75 ans, les Traités de paix de Paris allaient être signés par les anciens alliés européens de l'Allemagne nazie. Pour ces pays, les traités mettaient un point, au plan juridique, à la Deuxième Guerre mondiale. Les États vaincus allaient avoir des fortunes diverses. Certains, telles l'Italie et la Finlande, allaient pouvoir jouir d'une longue période de démocratie et de prospérité économique. D'autres, tels que la Roumanie, la Hongrie et la Bulgarie, allaient se retrouver derrière le rideau de fer, condamnés à une longue période de tyrannie et de pauvreté, que les régimes communistes installés par les Soviétiques dans ces pays n'allaient pas manquer de leur faire subir. (Trad. Ionut Jugureanu)