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Étienne le Grand et la bataille de Codrii Cosminului

L’historien roumain Liviu Câmpeanu découvrait à
Berlin, en 2012, dans les Archives d’État secrètes de l’héritage culturel
prussien, le journal manuscrit de Liborius Nacker, secrétaire général de
l’Ordre Teutonique. Datant de la fin du XVème siècle, ce document – dont les
historiens étaient déjà au courant de son existence – se réfère à la
contribution des chevaliers Teutoniques, proches du roi polonais Jean Ier
Albert Jagellon, à la campagne militaire menée par celui-ci contre le prince de
Moldavie, Étienne le Grand.

Étienne le Grand et la bataille de Codrii Cosminului
Étienne le Grand et la bataille de Codrii Cosminului

, 17.06.2023, 10:00

L’historien roumain Liviu Câmpeanu découvrait à
Berlin, en 2012, dans les Archives d’État secrètes de l’héritage culturel
prussien, le journal manuscrit de Liborius Nacker, secrétaire général de
l’Ordre Teutonique. Datant de la fin du XVème siècle, ce document – dont les
historiens étaient déjà au courant de son existence – se réfère à la
contribution des chevaliers Teutoniques, proches du roi polonais Jean Ier
Albert Jagellon, à la campagne militaire menée par celui-ci contre le prince de
Moldavie, Étienne le Grand.

Les documents, mis au jour par Liviu Câmpeanu,
apportent des nouvelles nuances à la campagne soldée par la célèbre défaite des
Polonais lors de la bataille de Codrii Cosminului (la forêt de Cosmin). Ils
furent aussi une source d’inspiration pour l’historien qui s’en est servi pour
écrire l’ouvrage « Cruciada contra
lui Ștefan cel Mare. Codrii Cosminului
1497/La Croisade contre Étienne le Grand. La forêt de Cosmin 1497 »,
paru aux éditions Humanitas. Le livre rend aussi une image plus complexe et
plus minutieuse du voïvode moldave. Sujet d’une intense mythification dans
l’historiographie communiste, canonisé déjà par l’Église orthodoxe roumaine sous le nom d’Étienne le Grand et
le Saint, le prince moldave et son très long
règne (1457 – 1504) font l’objet d’une analyse plus complète et plus objective
dans le livre de Liviu Câmpeanu, qui ne met pas en question ses réalisations
remarquables.

Un exemple en serait l’attitude d’Étienne le Grand envers la Sublime
Porte, le voïvode étant généralement considéré comme un ennemi irréductible et
de longue date des Ottomans. Liviu Câmpeanu ajoute d’autres nuances à cette
image: Pour les historiens, ce ne sont pas des choses nouvelles, mais le grand
public, habitué à l’image de croisé d’Étienne le Grand, construite
systématiquement depuis une trentaine d’années, est probablement choqué
d’apprendre que le prince avait été en fait un allié du sultan. Sur ses 47 années
de règne, Étienne le Grand avait fait la guerre contre les Turcs pendant 13 ans,
dont seulement trois avaient été ponctuées par des campagnes militaires massives ou
des invasions ottomanes massives, déroulées deux mois par an en moyenne. Tout
compte fait, il s’était réellement et ouvertement battu contre l’empire Ottoman
pendant 6 mois, tandis que l’état de guerre avait durée environ 13 ans. Durant les autres années jusqu’à 47, Étienne le Grand avait été un allié du sultan.



L’alliance avec l’empire Ottoman, ainsi que l’état
de belligérance dépendaient beaucoup de conjonctures bien précises et du besoin
d’entraide de tous les États médiévaux de l’époque. La paix extrêmement
volatile et l’atmosphère guerrière quasi permanente modifiaient les rapports de
vassalité en fonction des intérêts et des dangers immédiats. Or la Moldavie
d’Étienne le Grand ne faisait pas exception à cette règle en Europe Orientale
et Centrale. Liviu Câmpeanu précise : J’essaie de présenter au public un
résultat que j’ai obtenu grâce aux documents découverts en 2012 dans les
archives de l’Ordre Teutonique, gardées actuellement à Berlin : la principauté de Moldavie avait commencé à payer un tribut à l’empire
Ottoman une vingtaine d’années avant la date généralement acceptée. Donc,
l’historiographie avait retenu 1455 ou 1456 comme année de début de ce payement.
Les documents, que j’ai découverts, en indiquent l’année 1432. Donc Étienne le
Grand avait respecté cette tradition, en payant pratiquement le tribut durant
trois décennies de son glorieux règne. Peu de monde sait que même les Habsbourg
avaient payé un tribut à l’empire Ottoman au XVIème siècle et que dans la
seconde moitié du XVIème siècle, le roi François II de France avait été l’allié
du sultan Soliman le Magnifique. Donc, de tels traités de paix et d’aide
mutuelle étaient parfaitement normaux à l’époque et le voïvode moldave n’y a
pas fait exception. Le tribut lui assurait la paix avec la Sublime Porte et
l’aide de celle-ci dans les campagnes militaires et confrontations armées avec
ses voisins : la Hongrie du roi Mathias Corvin, la Pologne de Casimir IV, ou
la Valachie, déchirée par la guerre intestine que se livraient les boyards
Drăculești et Dănești, dans la seconde moitié
du XV siècle. Dans ce conflit intérieur, Étienne le Grand est intervenu
plusieurs fois, parfois aussi avec le soutien ottoman.



L’époque où Étienne le Grand affrontait l’empire
Ottoman sur les champs de bataille a retenu une de ses victoires les plus
remarquées, celle de janvier 1475, lorsqu’il a battu Soliman Pacha à Vaslui. Cette
victoire lui a valu le surnom de « Champion du Christ », qu’il doit
au Pape Sixte IV. Ultérieurement, entre 1486 et 1504, année de sa mort, le
prince de Moldavie a suivi la politique de la Sublime Porte. Plus encore,
l’empire Ottoman a été son allié dans le conflit qui l’a opposé au roi polonais
Jean Ier Albert Jagellon. L’armée moldave est sortie victorieuse de la bataille
de Codrii Cosminului (la forêt de Cosmin) en septembre 1497. Deux grands
systèmes d’alliance s’y sont affrontés: l’Union Polono-Lituanienne et ses
vassaux – le duché de Mazovie et l’ordre Teutonique – d’une part, la
principauté de Moldavie et ses alliés – le royaume de Hongrie, l’empire Ottoman
et le khanat de Crimée – de l’autre. Comment ce conflit est-il né, malgré le
traité de Colomée, signé par Étienne le Grand en 1485, qui acceptait ainsi le
statut de vassal de la Pologne ? Liviu Câmpeanu décrit le contexte historique: Le conflit est né justement de cette vassalité et des obligations
assumées par Étienne le Grand et le roi polonais Casimir IV à Colomée, en 1485.
Au fait, en 1484, le prince moldave avait perdu les forteresses de Chilia et de Cetatea
Albă, passées entre les mains des Turcs. Il a ensuite essayé de les récupérer
tout seul, mais il lui a été impossible. Alors il s’est tourné vers le roi de
Pologne, qui a accepté de l’aider à condition de devenir son suzerain. La
prestation de serment de vassalité a eu lieu en septembre 1485. Mais l’aide
militaire fournie par Casimir IV a été insuffisante et largement inférieure aux
attentes d’Étienne le Grand. Ensuite, en 1487, le pape a lancé une croisade
contre les Ottomans, la Pologne étant le point de rassemblement des croisées.
Pourtant, cette armée n’est pas partie aider Étienne le Grand, comme le
stipulait le traité de Colomée ; le prince, à l’époque, Jean Albert, commandant suprême
des croisés, a détourné la croisade vers la Podolie. C’est le point de rupture
entre le voïvode moldave et les rois polonais. Après une série de conflits
mineurs d’un côté ou de l’autre de la frontière commune, un conflit majeur a éclaté en 1497.



La fin indécise de la campagne
militaire du roi Jean Ier Albert Jagellon contre Étienne le Grand, les
alliances compliquées entre les Etats de l’époque, les victoires militaires
obtenues par le prince moldave et ses relations avec les autres monarques font
d’Etienne le Grand un des acteurs politiques le plus importants de son temps en Europe Centrale et Orientale. (Trad. Ileana Ţăroi)

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