L’écrivain Alexandru Odobescu
Le 10 novembre 1895, un des premiers écrivains modernes de la littérature roumaine, Alexandru Obodescu, se suicidait par overdose de morphine. De nos jours, il est surtout connu comme auteur de récits historiques, ainsi que du premier livre d’essais de notre littérature : « Pseudokinegeticos ou Faux traité de chasse ». A l’époque de sa mort, les détails sentimentaux de son acte suicidaire ont éclipsé son activité en tant que savant, professeur et homme politique. Il faut d’ailleurs préciser que son suicide n’a pas été exclusivement lié à son aventure avec une femme plus jeune que lui de 30 ans, à savoir Hortensia Racoviță, professeur de géographie et, à son tour, écrivaine. Né en juin 1834 dans une famille de boyards, Alexandru Obodescu était un être talentueux. Ses contributions à l’histoire et à l’archéologie roumaine sont extrêmement importantes. Alexandru Odobescu a été une personnalité complexe qu’il ne faut pas traiter à la légère en raison de son suicide, estime Andi Mihalache, chercheur à l’Institut d’Histoire A.D. Xenopol.
Christine Leșcu, 29.11.2020, 11:01
L’histoire s’est toujours trouvée au centre de son activité, surtout l’archéologie, dont il a d’ailleurs été un des pionniers en Roumanie. Son nom est notamment lié au cours d’archéologie qu’il a tenu à l’Université de Bucarest. Pour ce cours, il souhaitait réaliser, dans un but didactique, un musée des moulages, réunissant des copies de sculptures célèbres du monde gréco-romain. Ce rêve allait avoir des conséquences néfastes pour Odobescu, menant à un épisode dramatique de sa vie, car un soutien financier ne pouvait lui arriver que des autorités, qui étaient à l’époque tantôt d’orientation libérale, tantôt d’orientation conservatrice, en fonction des partis qui se succédaient au pouvoir. Initialement proche du Parti Libéral, Alexandru Odobescu s’en est éloigné à cause des tensions nées entre lui et certains membres du parti – dont, notamment, Dimitrie Alexandru Sturdza. Il s’est ensuite rapproché des conservateurs réunis autour de l’organisation Junimea. Ses hésitations politiques ainsi que ses relations avec les différends gouvernements qui se sont succédés au pouvoir ont contribué aux malheurs qui ont marqué la fin de sa vie. Andi Mihalache.
Le premier épisode malheureux est lié à la participation de la Roumanie à l’Exposition internationale de Paris, en 1867, où Alexandru Odobescu avait amené le fameux trésor de Pietroasa. Ce trésor a capté son attention toute sa vie et il lui a d’ailleurs dédié une ample monographie en français. Or, il a été accusé d’avoir emprunté le trésor au musée South Kensington de Londres, dans l’intention cachée d’en vendre plusieurs pièces aux Anglais. Odobescu s’est disculpé, ce qui n’a pas effacé l’animosité que cet événement avait suscité. Au fil des années, Odobescu a occupé plusieurs fonctions gouvernementales, entre autres celle de ministre des Cultes et de l’Instruction publique pendant le règne d’Alexandru Ioan Cuza. Il éprouve toutefois le sentiment d’un manque de réalisation personnelle et de reconnaissance de la part de ses contemporains, vu qu’il ne se considérait pas qu’un écrivain de récits, il était aussi archéologue, esthéticien, folkloriste, écrivain de contes littéraires et auteur de manuels.
Alexandru Odobescu était donc une personnalité complexe, dont on peut découvrir l’envergure en lisant attentivement sa correspondance avec sa femme, Sașa Prejbeanu. Cette correspondance a la valeur d’un journal intime, enregistrant dans les moindres détails ses états d’âme, souvent contradictoires. C’est là aussi que se trouve la clé de sa décision de mettre fin à ses jours. Ce suicide a été expliqué par une affaire sentimentale, qui y a contribué, peut-être, mais sa vie compliquée y est aussi pour beaucoup. Sa vie a été involontairement politisée, alors qu’il n’était pas, à proprement parler, un homme politique, oscillant entre les sphères d’influence libérale et conservatrice. Le suicide d’Alexandru Odobescu a été le résultat d’une dépression aggravée par le sentiment de l’échec professionnel, plutôt que sentimental. Des pressions financières s’y sont ajoutées – estime Andi Mihalache. Il était perçu comme un gaspilleur, qui passait facilement de l’élégance à l’extravagance, qui dépensait plus qu’il ne pouvait se permettre, qui a gaspillé la fortune de sa femme et qui, ignorant les questions financières, a engagé l’Etat roumain dans deux projets qu’à partir d’un certain moment les autorités de Bucarest n’ont plus accepté de financer. Le premier était la publication en France de la monographie consacrée au Trésor de Pietroasa. Le nombre de pages de la monographie ne cessait d’augmenter, Odobescu y ajoutant de nouveaux textes, et les coûts de sa publication, hérités d’un gouvernement à l’autre, augmentaient aussi. Le second projet était celui du musée des modelages, qui a joué un rôle décisif dans son suicide.
Au moment où son rival, Dimitrie Alexandru Sturdza, fut nommé à la tête du gouvernement, Odobescu s’est rendu compte que tout était compromis. Il commence à recevoir des sommations. On lui demandait de justifier cette dépense de l’argent public pour acheter des moulages au musée du Louvre. Dans ce contexte, Odobescu a envoyé à un autre savant une lettre où il reconnaissait qu’il ne pouvait pas justifier la somme due et qu’il entendait la payer de sa propre poche, pour anticiper, ensuite, le geste qu’il allait faire le 10 novembre 1895. Il a légué à la postérité une œuvre littéraire intéressante, ainsi qu’une contribution importante au développement de l’archéologie roumaine. Andi Mihalache. Possédant une vaste culture et ayant beaucoup voyagé en Occident, Odobescu a essayé d’attirer l’attention de ses contemporains sur le niveau que l’archéologie et l’esthétique avaient atteint en Europe Occidentale et surtout de les persuader que l’étude du passé ne commençait pas par l’Antiquité greco-romaine, mais par l’histoire primitive de l’humanité. En résumant sa contribution, on pourrait dire qu’il a éveillé une certaine sensibilité vis-à-vis de la méthode de travail, tâchant d’imposer certaines exigences et de combattre l’amateurisme des premiers passionnés d’archéologie. Il n’a pourtant pas réussi franchir le pas vers une archéologie professionnelle, comme Vasile Pârvan allait le faire, au début du 20e siècle.(Trad. : Dominique)