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Ana Pauker

Il fut un temps où le simple fait d’évoquer le nom de Ana Pauker faisait frissonner l’interlocuteur. Dans l’histoire du régime communiste roumain, cette femme de poigne, militante de la première heure, membre du premier gouvernement rouge installé à Bucarest, occupe une place certainement à part.   

pe Aeroportul Băneasa înainte de plecare la Conferinţa de Pace de la Paris, întreţinându-se cu Ana Pauker şi Florica Bagdasar.
pe Aeroportul Băneasa înainte de plecare la Conferinţa de Pace de la Paris, întreţinându-se cu Ana Pauker şi Florica Bagdasar.

, 30.09.2024, 10:22

Il fut un temps où le simple fait d’évoquer le nom de Ana Pauker faisait frissonner l’interlocuteur. Dans l’histoire du régime communiste roumain, cette femme de poigne, militante de la première heure, membre du premier gouvernement rouge installé à Bucarest, occupe une place certainement à part.

 

Ses origines et son parcours politique

 

Née en 1893 dans le département de Vaslui, situé à l’est de la Roumanie, au sein d’une famille juive orthodoxe, comptant un grand-père rabbin, Hana Rabinsohn, mieux connue sous le nom d’Ana Pauker, rencontre en France celui qui deviendra son mari et le père de leurs trois enfants, Marcel Pauker, juif né à Bucarest et communiste radical, engagé au sein de l’Internationale communiste.

 

Devenue agent soviétique, arrêtée et condamnée d’abord en 1922, puis en 1935, elle sera libérée, puis expulsée en 1941 en l’URSS à la suite d’un échange de prisonniers. Durant sa détention, son époux, Marcel Pauker, avait été exécuté, en 1938, à Moscou, lors des purges staliniennes, accusé d’espionnage à la solde de l’Occident. Pendant la guerre, Ana Pauker prendra la tête du groupe des militants communistes roumains réfugiés à Moscou, connus sous la dénomination de « faction moscovite » du parti communiste roumain.

 

Son portrait dressé par les Soviétiques

 

C’est en 1994 que le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine invite à son micro le docteur Gheorghe Brătescu, gendre d’Ana Pauker, qui fait revivre le temps d’une interview la personnalité contrastée de sa belle-mère.

 

Gheorghe Brătescu commence par citer une caractérisation réalisée par les Soviétiques :

« Dans ce document, rédigé en 1946, les Soviétiques soulignent que la « camarade Pauker est une idéologue chevronnée, bénéficiant d’une grande influence au sein du parti communiste roumain. Que c’est elle qui dirige dans les faits les travaux du comité central du parti. Que son image jouit aussi d’une notoriété importante au sein des Roumains, grâce à sa longue période de militantisme communiste déroulé dans des périodes hostiles. Qu’elle dirige par ailleurs le groupe parlementaire des communistes au sein du parlement roumain, tout en assurant les liens entre les communistes roumains et les autres partis membres de la coalition au pouvoir à Bucarest. Le document soviétique met également en exergue sa place de premier ordre au sein de la Fédération Démocratique Internationale des Femmes. Mais ce même document se montre plus critique à son égard, estimant qu’Ana Pauker ne fait pas assez pour raffermir le parti communiste roumain sur le plan idéologique et du point de vue organisationnel ».    

 

Le sort tragique d’Ana Pauker

 

La fin de la Seconde Guerre mondiale et l’occupation de la Roumanie par l’Armée rouge ouvre un boulevard aux communistes. Elue secrétaire du Comité central du parti communiste roumain, Ana Pauker deviendra la première femme ministre des Affaires étrangères de la Roumanie après l’abdication contrainte du roi Michel, le 30 décembre 1947.

 

Pourtant, au début des années 1950, la lutte intestine au sein du parti communiste roumain, à l’instar des autres partis communistes du bloc soviétique, fait rage. En 1952, le secrétaire-général du parti, Gheorghe Gheorghiu-Dej, tentant d’éliminer les concurrents potentiels, démarre une vague d’épurations à la tête du parti. Ana Pauker et Vasile Luca, autre membre de premier plan de la faction moscovite du parti, seront les premiers visés. Accusés de déviationnisme et de sabotage, les deux anciens caciques communistes seront emprisonnés. Lucrețiu Pătrășcanu, autre communiste marquant et autre possible contre candidat de Dej à la tête du parti, sera lui exécuté.

 

En 1953, Ana Pauker sera pourtant libérée mais contrainte de garder son domicile. L’année suivante, elle se verra exclue du parti. Vers la fin de sa vie, survenue en 1960, elle travaillera comme traductrice de français et d’allemand pour la maison d’édition officielle du parti. Elle fera partie de l’équipe de traducteurs chargés de la première édition parue en langue roumaine des œuvres complètes de Karl Marx et Friedrich Engels.

 

Le changement de régime n’aide pas à la réhabilitation de son image

 

L’arrivée au pouvoir de Nicolae Ceausescu en 1965 a été marquée par la volonté du nouveau leader de réhabiliter la mémoire de certains communistes de la première heure déchus par son prédécesseur, Gheorghiu-Dej. Ce ne fut pourtant pas le cas d’Ana Pauker, qui demeura encore le paria du régime à l’avènement duquel elle avait tout donné.

 

Gheorghe Brătescu :

« L’on n’a jamais tenté sa réhabilitation politique. Même le poste auquel on l’avait reléguée, son travail de traductrice se déroulait dans des conditions indignes. Elle vivait comme une pestiférée. Tant qu’il avait été en vie, l’ancien secrétaire-général du parti, Gheorghiu-Dej, la craignait. Elle était potentiellement sa principale concurrente politique. Ce n’est qu’après 1968 que l’on a timidement commencé à mentionner son nom. Pour l’anecdote, en 1961, soit un an après sa mort, on lui a retiré tous les titres et les décorations reçus. C’est dire combien fut-ce sa mémoire était crainte par ses anciens camarades ».   

 

Une femme isolée à la fin de sa vie

 

Peu de ses anciens amis osaient encore la contacter dans la période 1953-1960. L’un de ces rares amis a été l’avocat Radu Olteanu, un des défenseurs des communistes lors des procès des années 1930, l’autre, une ancienne collègue de cellule.

 

Gheorghe Brătescu :

« Cette camarade de prison, Maria Andreescu, une ouvrière, était la seule qui osait lui rendre encore visite sans réserve. Les autres maintenaient des relations plus distantes. A ses obsèques furent pourtant présents quelques-uns de ses anciens camarades, dont le premier secrétaire-général du parti communiste roumain, un traître opportuniste, Gheorghe Cristescu. Mais il se devait être présent, représentant l’ancien mouvement socialiste qui donna naissance au parti communiste roumain ».

 

Aveuglée par les idéaux d’une société de justice sociale, sourde devant la terreur par laquelle cette dernière entendait s’instaurer, Ana Pauker fut un de ces enfants dévorés sans pitié par la révolution qu’elle avait pourtant appelée de tous ces vœux.  (Trad Ionut Jugureanu)

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