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Quelle place pour les femmes sur le marché roumain de l’emploi ?

Les statistiques le confirment : il y a trop peu femmes sur le marché roumain du travail. Elles sont beaucoup moins nombreuses que les hommes et beaucoup moins rémunérées que les hommes. En fait, la Roumanie se retrouve en queue du peloton européen. Pourquoi si peu de femmes travaillent en Roumanie ? Et pourquoi si peu d’entre elles ont accès à des postes de direction ? Enquête.

Foto: Vitolda Klein / unsplash.com
Foto: Vitolda Klein / unsplash.com

, 18.09.2024, 10:46

La Roumanie, en queue de peloton

 

De tous les pays européens, la Roumanie est celui qui présente le plus faible taux d’emploi des femmes. En effet, seul 45,4 % d’entre elles ont un emploi alors que c’est le cas de 62,7 % des hommes. A titre de comparaison, selon les données Eurostat pour 2022, aux Pays-Bas 68,1 % des femmes travaillent, en Estonie 67%, en Suède 65,9 % et au Danemark 65 %. Comment expliquer cet écart entre les différents pays ? Selon l’Institut européen pour l’Égalité des genres, il faut en chercher la cause dans la répartition du travail domestique. Or en Roumanie ce sont bel et bien les femmes qui tiennent la maison. Nous nous sommes entretenus avec Octavian Moldovan, lecteur au département d’Administration et de management public de l’Université de Cluj Napoca et expert en ressources humaines et discriminations fondées sur le genre.

 

Pourquoi cette situation ?

 

Octavian Moldovan décrypte pour nous la situation roumaine.

« Je pense qu’il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer qu’en Roumanie le taux d’emploi des femmes soit beaucoup plus faible que celui des hommes, d’environ 20%. En premier lieu, il faut pointer du doigt le travail domestique. Le fait que les femmes sont beaucoup plus impliquées dans le travail lié à a maison que les hommes. Et ici il est question à la fois des travaux ménagers, la cuisine, la lessive, la vaisselle, le ménage etc mais aussi du soin apporté aux éventuelles personnes âgées et aux enfants. Ce sont en général les femmes qui remplissent ces tâches. Et là, il faut parler du manque d’alternative disponible pour prendre en charge les enfants ou d’éventuelles personnes âgées. En effet, bien souvent les familles n’ont pas d’autre choix que de s’en occuper elles-mêmes. Il s’agit ici d’un transfert de responsabilité de l’Etat vers les familles et dans les faits, vers les femmes. Il y a aussi des problèmes liés au marché de l’emploi, notamment en termes de localisation des lieux de travail. La plupart des opportunités d’emploi se trouvent dans les grandes villes, les villes moyennes et les petites villes, très peu à la campagne. Donc, si quelqu’un veut un emploi bien rémunéré ou même un emploi en général, cette personne doit habiter en ville ou avoir la possibilité de faire la navette quotidiennement entre son domicile et un centre urbain. Or, les femmes ayant la charge de la maison, elles ont d’autant moins de chances de pouvoir effectuer cette navette. Toujours en ce qui concerne le marché du travail, on peut noter l’échec ou tout simplement le manque de politiques publiques de réintégration sur le marché du travail après une maternité, après un congé parental ou toute autre situation familiale qui entraîne une perte d’emploi. Ici, ce sont de nouveau les femmes qui sont le plus touchées. Le manque d’emploi flexibles est un autre facteur qui creuse les inégalités femmes-hommes. Il y a en Roumanie trop peu de possibilités de travailler à mi-temps, ou encore de travailler depuis la maison, ces formes de travail sont rarement acceptées et bien vues alors qu’elles seraient plus favorables aux femmes qu’aux hommes ».

 

Des discrimination acceptées

 

Les discriminations s’apprennent pendant l’enfance. Nous les acceptons passivement avant de les reproduire à notre tour comme l’explique Octavian Moldovan.

« L’accès des femmes à l’emploi est influencé par diverses normes culturelles et sociales qui entraînent des discriminations multiples sur le marché du travail. On peut parler d’une part de discrimination horizontale, à savoir d’une discrimination qui relève du fait que certains domaines, certains types d’activités sont dominés par l’un des genres. Par exemple, l’éducation, la santé, l’assistance sociale et en général la base des organisations sont assurées principalement par des personnes de genre féminin. Alors que la police, l’armée, certains secteurs privés recrutent surtout des individus de genre masculin. Il existe d’autre part, une discrimination verticale, qui désigne le fait que les positions de dirigeants, le niveau décisionnel est fermé ou en tout cas son accès en est limité aux femmes, et ce dans de très nombreux domaines et même dans ceux où les positions subalternes sont majoritairement occupées par des femmes ».

 

Éduquer les nouvelles générations

 

Pour Octavian Moldovan, il faut remonter aux normes inculquées aux enfants par la société dans son ensemble pour expliquer cette situation.

 « Tant la discrimination verticale que la discrimination horizontale proviennent des types de jeux et du rôle dans les jeux que l’on attribue socialement aux filles et aux garçons. Les petits garçons jouent aux petites voitures, aux policiers, ils jouent des rôles d’autorité, ils doivent s’imposer. Les filles quant à elles doivent manifester de la délicatesse, de la sensibilité, elles doivent être conciliantes, elles jouent à la poupée, elles s’en occupent comme d’un bébé, jouent à la dinette et d’une manière ou d’une autre, même dans le jeu elles s’investissent dans le soin des autres. De là dérive tout ce qu’on a dit sur les différences d’implications des femmes et des hommes dans le travail domestique et la carrière professionnelle. Nous attendons des hommes qu’ils fassent carrière et des femmes qu’elles s’occupent de la maison et des autres ».

 

Des lois plutôt inefficaces 

 

Il existe en Roumanie des lois et des politiques publiques orientées vers la réduction des inégalités de genre. Cependant, pour Octavian Moldovan, elles manquent cruellement d’efficacité.

 » A première vue, en regardant ce qui est fait en termes de politiques publiques et de mesures législatives, on dirait que tout va très bien en Roumanie. Nous avons des organisations consacrées à ces questions, un ministère de la Famille, de la jeunesse et de l’égalité des chances, mais aussi une Agence nationale pour l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. Il y a les cadres législatifs européen et national attachés à l’égalité des genres et des chances sur le marché de l’emploi, il y a également des références indirectes, tant dans le Code du travail que dans la Constitution ou dans d’autres lois qui visent à l’égalité femme-homme dans le domaine du travail. Mais force est de constater que l’efficacité des lois et des institutions censées les porter reste très discutable. Si on regarde les différences salariales entre femmes et hommes, la situation semble bonne en Roumanie. Il n’y a pas de décalage salarial important. Cependant, il ne faut pas oublier les différences de taux d’emploi d’une part et le plafond de verre qui touche les femmes d’autre part. Pourquoi ces différences ? Pourquoi ces inégalités d’accès au travail demeurent-elles ? On peut penser que dans ce domaine comme dans d’autres, les lois sont mal appliquées. Nous avons les lois nécessaires mais nous n’avons pas encore d’institutions capables de les mettre correctement en œuvre. Par ailleurs, les discriminations de genre dans le domaine du travail se perpétuent car il s’agit bien souvent d’un phénomène informel, d’un phénomène qu’on ne peut pas déceler à première vue. C’est quelque chose qui se déroule derrière les portes closes, en deçà des normes et règles institutionnelles ».

 

 

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