Qui contrôle l’activité des agences de recrutement et de placement des travailleurs étrangers ?
En l’absence d’un cadre législatif cohérent censé réglementer les processus de recrutement de travailleurs étrangers, les abus, la corruption et les fraudes fleurissent
Iulia Hau, 08.10.2025, 11:00
En Roumanie, l’activité de recrutement et de placement de la main d’œuvre étrangère fonctionne aux termes du décret gouvernemental 25/2014, ultérieurement modifié et complété. Un texte législatif qui ne répond pourtant pas à tous les besoins actuels des agents et agences en charge des travailleurs étrangers de Roumanie.
Conformément aux chiffres de l’Office national du registre du Commerce, en août 2025, quelque 7 073 agences prenaient en charge des activités de placement de la main d’œuvre, contre 5074 5 ans auparavant, en 2020.
Pourtant, plusieurs enquêtes journalistiques récentes ont dévoilé que de nombreuses autres entreprises menaient des activités similaires sans détenir les certifications nécessaires. A présent, toute personne sans aucune formation, compétence ou éthique peut s’occuper de l’obtention de visas de travail pour les travailleurs étrangers, qui disposent, eux, d’un délai assez bref pour signer un contrat de travail. Par exemple, pour ceux qui sont nouvellement arrivés en Roumanie, le délai est de 15 jours ouvrables, alors qu’en cas de changement d’employeur, il est de 90 jours à compter de la fin du dernier contrat. C’est en exploitant ces dates butoir et en mettant la pression sur les étrangers afin qu’ils ne restent pas dans l’illégalité, que les agences ou les intermédiaires qui déposent leurs dossiers auprès de l’Inspection générale de l’immigration arrivent à percevoir des taxes exagérées pour produire des contrats très peu favorables aux travailleurs étrangers. En l’absence d’un cadre législatif cohérent censé réglementer de tels processus bureaucratiques, essentiels pour la situation des travailleurs immigrés en Roumanie, les abus, la corruption et les fraudes fleurissent.
Silvia Tăbușcă, experte du trafic de la traite humaine, constate qu’après l’adhésion de la Roumanie à l’espace Schengen, les tarifs perçus par ces agences ont explosé :
« Il faut d’abord préciser que les agences de recrutement ne doivent pas percevoir d’argent de la part des employés, selon les normes internationales. Donc, seul l’employeur peut payer une agence de recrutement, et en aucun cas ceux qui se font recruter. Voici la première infraction : l’agence de recrutement de Roumanie coopère et partage l’argent avec l’agence de recrutement du pays d’origine, qui perçoit un certain montant, souvent assez élevé parce que les travailleurs vont même jusqu’à payer des pots-de-vin pour s’assurer un emploi dans l’Union européenne ».
L’experte affirme que ces agences sont les principales responsables de la situation de séjour illégal des étrangers :
« Selon moi, la classe politique comme ces agences de placement sont responsables de la situation déplorable dans laquelle se trouvent de nombreux travailleurs étrangers, et sur le dos desquels ils se font tous de l’argent. De leur côté, ces derniers finissent par perdre leur logement, tout ce qu’ils se sont appliqué à construire ici, et se retrouvent même parfois en grande détresse psychologique à cause des fausses promesses que leur ont fait miroiter ces agences de recrutement véreuses. Ce sont elles les vrais coupables. Sans oublier les employeurs. J’ai examiné de nombreux cas : les patrons sont conseillés par ces agences de recrutement, qui leur expliquent comment agir, parfois même, pour laisser les travailleurs dans l’illégalité, justement pour payer des salaires plus bas que les sommes initialement négociées avant l’embauche».
La transparence, un besoin crucial
Selon notre experte, le fait que les travailleurs étrangers se retrouvent en situation irrégulière en Roumanie est une aubaine pour les agences de recrutement, puisque ce contingent-là finit son parcours et qu’elles peuvent ainsi en faire venir un autre, soit des nouveaux travailleurs auxquels elles peuvent réclamer de nouvelles sommes d’argent. Selon Silvia Tăbușcă, il est nécessaire d’avoir davantage de transparence dans le processus de recrutement, étant donné que des suspicions de corruption existent tant au niveau des autorités, qu’au niveau des agences, de Roumanie et des pays d’origine en égale mesure. Tel qu’il fonctionne à l’heure actuelle, ce processus favorise la corruption et la violation des droits de l’homme, estime encore notre invitée, qui précise :
« Moi, je milite pour la transparence de l’ensemble du système, de sorte que le travailleur étranger se voie attribuer un numéro d’enregistrement et qu’il puisse suivre, selon le numéro, les documents déposés par l’employeur. Comme ça, il saura si l’employeur a – oui ou non – déposé tous les documents nécessaires dans le délai de 30 jours qui lui est imparti. Si au bout des 30 jours, le travailleur constate que les documents n’ont pas été déposés, il peut faire une contestation ou prendre d’autres mesures : écrire au Service Immigrations, par exemple, pour dire : « mes documents n’ont pas été déposés par l’employeur, même s’il a promis de le faire, donc il n’y a pas de raison de prolonger mon contrat de travail, je n’ai pas été informé dans ce sens, on m’a menti ». Bref, il faut maintenir un dialogue permanent ».
Le rôle essentiel des autorités
Plusieurs experts sont d’accord : la Roumanie a avancé de nombreuses décisions de retour (au pays d’origine) pour prouver qu’elle s’occupe de la migration illégale et qu’elle remplit les conditions pour intégrer et pour rester au sein de l’espace Schengen. Entre temps, les travailleurs étrangers payent pour les services d’embauche et pour obtenir les avis nécessaires et finissent par se retrouver dans l’illégalité ou dans des conditions de travail qui ne correspondent pas à la législation roumaine en matière d’emploi, par exemple : des horaires de travail de 12-13 heures par jour, travail de nuit qui n’est pas rémunéré de manière adéquate, travail au noir et sans permis de séjour. Souvent, ils ne sont même pas au courant de tous ces aspects, ils travaillent sans savoir qu’ils ont signé un contrat ou que leur contrat n’a même pas été prolongé.
Par conséquent, il est grand temps de fixer des normes claires dans le domaine du recrutement, affirment les experts. Il est grand temps que l’activité de ces agents et agences soit contrôlée et réglementée, d’autant plus que les victimes de toutes ces irrégularités, les travailleurs étrangers, se heurtent aussi à la barrière de langue et de la compréhension du cadre législatif.
De son côté, l’Inspection générale pour les immigrations (IGI) explique qu’un ressortissant étranger doit savoir que sa principale obligation est de rester sur le territoire roumain tant que son visa ou son permis de séjour délivré par les autorités le lui permet. Aux termes de la loi roumaine, c’est l’employeur qui doit déposer la demande pour obtenir le permis d’embauche.
Il est tout aussi important que les employeurs traitent avec sérieux les relations régies par un contrat, ajoute l’Inspection. Ses représentants nient toute action non-conforme et illégale, précisant que lorsque la situation l’a exigé, les procureurs ont été informés des possibles infractions de corruption ou assimilées à la corruption ou à la traite de migrants. Six saisines de ce type ont été déposées entre 2022 et 2024. « La direction de l’Inspection générale pour les immigrations et les officiers du Parquet anticorruption ont mené en permanence des actions visant à conseiller et à prévenir les faits de corruption, au niveau de toutes les structures subordonnées », précise encore l’Inspection.
(trad. Alex Diaconescu, Valentina Beleavski)