« Influences », une exposition par Alex Manea
Le projet artistique d’Alex Manea est une démarche complexe dont le point de départ est l’idée que l’ouverture à l’influence des œuvres d’autres constitue un véritable noyau de la création artistique. "Influences".

Ion Puican, 31.05.2025, 10:07
Alex Manea explore la filiation artistique à travers l’exposition « Influences »
Fin avril, le Musée technique national « prof. eng. Dimitrie Leonida » de Bucarest a accueilli une exposition singulière : « Influences », du plasticien Alex Manea. Ce projet artistique, aux ambitions conceptuelles fortes, interroge les racines mêmes de la création contemporaine.
Pour Alex Manea, l’acte de création ne s’opère jamais dans un vide : il s’inscrit dans une continuité, un dialogue tacite avec les œuvres du passé et du présent. C’est ce réseau d’échos et de réappropriations que l’artiste a souhaité mettre en lumière, comme il l’a expliqué au micro de RRI :
« L’exposition était basée sur l’idée de transmettre un message qui est souvent intentionnellement omis ou éludé, à savoir que l’art provient d’autres arts. Toute création est, dans une certaine mesure, influencée par d’autres œuvres. Les artistes s’inspirent d’autres artistes et créent de nouvelles œuvres à partir de ces influences. J’ai voulu exposer précisément ce sujet tabou, dont on ne parle pas souvent, parce que les artistes ne veulent pas reconnaître et présenter leurs sources d’inspiration et montrer ainsi au public cette facette qui peut rarement être observée et analysée. »
Des influences visibles ou dissimulées
La série d’œuvres présentée dans l’exposition « Influences » constitue une sélection resserrée d’un corpus plus vaste, soigneusement choisi pour équilibrer les références visuelles explicites et les sources conceptuelles plus subtiles. Alex Manea :
« Il y a environ trois fois plus d’œuvres dans la série que dans l’exposition, j’ai donc dû faire une sélection. J’ai essayé de choisir des œuvres inspirées par des artistes plus connus et de maintenir un équilibre entre les influences visuelles et conceptuelles. »
Certaines inspirations sont immédiatement reconnaissables, quand d’autres se dévoilent dans les détails, ou se nichent dans les intentions. Alex Manea revendique une part d’ambiguïté volontaire dans son approche, laissant au spectateur le soin d’interroger ce qu’il voit, et ce qu’il croit reconnaître.
« Certaines sources d’inspiration sont faciles à identifier, d’autres sont plus difficiles à reconnaître. Je n’ai pas essayé de le faire de manière contrôlée. Je me suis simplement sentie inspirée par certaines d’entre elles et j’ai voulu transmettre le côté visuel à d’autres. J’ai choisi d’utiliser davantage le côté conceptuel des œuvres sources. J’ai ensuite voulu que le public se pose ses propres questions et réponde à ces aspects. Bien qu’il s’agisse d’une exposition qui donne toutes les cartes en main, il fallait tout de même garder une dose de mystère, et pour cela, j’ai également utilisé des œuvres plus anciennes, où j’ai plus tard associé mon travail à une autre œuvre, elles ont toujours des éléments en commun, juste pour souligner que ces associations se produisent, qu’elles soient réelles ou non. »
Un dialogue entre science, introspection et réception publique
Présenter ce type de réflexion dans un monde de l’art encore souvent dominé par le mythe de l’originalité absolue relevait d’un pari audacieux. L’accueil, pourtant, fut au rendez-vous, comme le raconte Alex Manea :
« Dans un contexte artistique où l’originalité est souvent considérée comme un critère essentiel, ce discours que j’ai remis en question, qui affirme la nature dérivée de l’art, je pense qu’il a été étonnamment bien reçu. »
Les réactions du public ont confirmé la pertinence du propos. L’exposition a ouvert un espace de réflexion, tant pour les amateurs d’art que pour les artistes eux-mêmes, parfois contraints de revisiter leurs propres influences. Alex Manea nous explique :
« Le public a été très intéressé par ces informations, par la façon dont nous les avons présentées et par la manière dont nous avons abordé et présenté ce sujet. Les réactions provoquées chez les visiteurs ont été très diverses. Certains m’ont félicité d’avoir abordé un sujet, comme je le disais, considéré comme tabou par une grande partie du monde de l’art. D’autres m’ont dit que l’exposition les avait fait réfléchir sur leurs propres influences, ce qu’ils n’avaient jamais fait auparavant. »
Le choix du lieu, enfin, n’était pas anodin. L’écrin inattendu du Musée technique national offrait un contrepoint symbolique aux œuvres exposées, en articulant visible et invisible, mécanique et émotion, comme le décrit Alex Manea :
« L’exposition s’est tenue au Musée technique national, ce qui a créé une association intéressante entre la science et l’introspection artistique. L’espace habituellement dédié aux objets fonctionnels offrait un contraste intéressant pour mon travail, qui propose une exposition et une analyse des influences. C’était comme si je plaçais un processus invisible dans un cadre qui célèbre le visible et le concret. Je pense que ce contraste a donné une force supplémentaire aux œuvres. »
Une exposition qui questionne, relie et révèle
En revisitant avec lucidité et audace le rôle des influences dans la création artistique, Alex Manea propose avec Influences une mise à nu salutaire des dynamiques cachées de l’art. Loin d’y voir une faiblesse ou une dépendance, Alex Manea en fait un moteur de renouvellement, un terrain fertile de réflexion et d’innovation :
« En analysant l’exposition à la fin, les réactions ont été encourageantes. Nous avons reçu des commentaires sincères et positifs de la part des visiteurs, dont certains sont même revenus plusieurs fois. L’exposition a réussi à ouvrir une véritable conversation non seulement avec le spectateur, mais aussi entre les spectateurs. »
En effet, « Influences » n’est donc pas une exposition sur l’art, mais une exposition sur ce qui fait l’art : la transmission, la mémoire, l’héritage et la transformation. (trad. Charlotte Fromenteaud)