Le défilé des « Juni » à Brasov
Chaque année, le premier dimanche après la Pâque orthodoxe, dans le quartier de Șchei de Brasov, touristes et habitants de la ville participent à un événement traditionnel unique qui réunit des rituels pré-chrétiens et des cérémonies religieuses, célébrant le printemps et le renouveau de la nature ainsi que les traditions ancestrales. Résultat : un défilé équestre unique à travers la ville.

Ana-Maria Cononovici, 06.05.2025, 14:00
Un superbe défilé équestre à travers la ville
La fanfare ouvre la colonne. Les « Junii Tineri », les « Junii Bătrâni », les « Curcani », les « Dorobanți », les « Brașovecheni », les « Roșiori » et les « Albiori » suivent. Il s’agit de l’événement traditionnel le plus connu des « Juni » – Les Jeunes Hommes de Brașov, appelé « La Journée à cheval » ou « La Descente dans la Citadelle », comme l’on appelle aussi le défilé équestre des groupes de « juni » à travers le quartier de Șchei, mais également dans les rues de la citadelle de la ville. Cette fête est unique dans l’espace de la romanité. Chaque groupe est mené par un « vătaf » (sorte de chef de bataillon), suivi par le porte-drapeau, encadré des deux « armași » qui dirigent l’artillerie. Le « vătaf » porte un grand ruban rouge en soie sur la poitrine (similaire à ceux portés par les rois, les dignitaires ou les personnes décorées lors de cérémonies), tandis que les deux « armași » portent des rubans jaune et bleu, formant ainsi le tricolore, tel qu’il était arboré à une époque où il était interdit.
Une coutume ancienne avec un programme très stricte
Mihai Moraru, président de la Société « Junii Brașovecheni » , nous parle de cette coutume, dont la première attestation documentaire daterait de 1728.
« De très nombreux folkloristes, ethnologues et ethnographes ont fait des recherches sur cette tradition. Elle a lieu pendant la Semaine Lumineuse, qui suit les Pâques. Même sous le régime communiste, elle a été perçue comme une fête de la renaissance de la nature et du printemps. Elle a été finalement autorisée, après avoir été interdite pendant vingt ans, de 1948 (après l’abdication du roi) jusqu’à 1968, année où la coutume a été relancée sous le nom que je viens de mentionner. D’habitude, cette coutume est respectée pendant la Semaine Lumineuse. Aujourd’hui, nous comptons sept groupes de juni/ jeunes hommes : six viennent du quartier roumain de Șcheii Brașovului, et le septième – du quartier roumain de Brașovul Vechi (Le Brasov Ancien). A la base de la tradition, on trouve toujours les Junii Tineri (les Jeunes hommes), avec leur propre groupe, qui ne forment pas une association car la majorité d’entre eux ont entre 14 et 18-20 ans, jusqu’au mariage. Les six autres groupes sont constitués de Junii Bătrâni, c’est-à-dire des hommes mariés, qui font des « troiţe », soit des croix aux carrefours, certaines très anciennes, datant peut-être du XVIIIe siècle, autour desquelles se déroulent les rituels. Aujourd’hui nous chantons le Tropaire de la Résurrection en passant par toutes ces croix lors de cette journée de parade équestre. Ce n’est qu’après cela que nous nous rassemblons sur la Place de l’Union et la Place du Conseil, et que nous suivons tout l’itinéraire en direction des Rochers de Solomon, en passant par la Porte de Șchei, marquant ainsi l’appartenance de la citadelle de Brașov aux Roumains, car elle a été autrefois une ville Un saxonne. »
Mihai Moraru, président de la Société « Junii Brașovecheni », nous a décrit le programme habituel de cet événement :
« L’événement a une certaine cyclicité annuelle. Le facteur le plus variable, on pourrait dire, est la météo. Le programme est principalement le même : à 11h00, après avoir visité toutes les croix et chanté le « Tropaire de la Résurrection », chaque groupe de Juni se donne rendez-vous sur la place de l’Union, où, devant la croix du capitaine Ilie Birt, ils chantent chacun le « Tropaire de la Résurrection ». Ensuite, nous entamons cette descente vers la citadelle, puis nous revenons vers les zones montagneuses, aux Rochers de Solomon, où chaque groupe de juni possède son propre kiosque, un lieu où nous descendons de cheval, où nous formons la Ronde des Juni et où nous lançons et rattrapons « la masse d’armes », selon la tradition. Après cela, nous faisons la fête jusqu’à tard dans la soirée, célébrant cette fête spécifique à la ville de Brașov. »
Lancer la masse, un rituel ancien
Mihai Moraru a expliqué l’idée de lancer et rattraper la masse :
« Il s’agit probablement d’une coutume ancestrale, qui remonte peut-être même au paganisme, aux Daces, au culte de Zalmoxis. Mais au fil du temps, elle a acquis un rôle cérémoniel. Avec la christianisation, voilà que nous nous saluons en disant « Le Christ est ressuscité ». Bien sûr, nous lançons et rattrapons la masse d’armes trois fois, ce qui symbolise la Sainte Trinité. Cette coutume, que nous considérons comme très ancienne, s’est parfaitement intégrée dans la foi chrétienne, et vous le voyez bien, elle est encore pratiquée aujourd’hui, nous la perpétuons avec solennité chaque année. »
Une coutume unique, difficile à préserver. Mihai Moraru explique pourquoi :
« Chacun d’entre nous doit louer un cheval, avoir des harnais, porter des vêtements traditionnels qui doivent être entretenus. Ensuite il y a des programmes artistiques spécifiques à chaque groupe. Il faut mettre au point le programme artistique pour qu’il s’accorde aux traditions locales. Bref cet événement a trois grandes dimensions : l’une semi-militaire, car chaque groupe de chevaliers a un « vătaf », un chef, des sous-officiers, soit les « armași », un centurion, son propre drapeau tel un drapeau de combat d’une unité militaire. Ensuite, l’ordre du défilé tant de la cavalcade que des civils est planifié et coordonné par le vătaf tout le long de l’année. Une autre dimension des Juni est celle religieuse. La plupart des fêtes du calendrier religieux ont un événement associé aux juni, qui est d’ailleurs le plus connu, mais il y a aussi des jeux ancestraux, organisés jusqu’au 1er décembre : par exemple, pour la Saint-Pierre, la Dormition de la Vierge, la Pentecôte. A l’occasion de chaque grande fête, il y a donc un événement organisé par les juni, qu’ils soient de Șchei ou de la vieille ville de Brașov. La troisième dimension, bien sûr, est celle folklorique. Nous ne portons pas d’uniforme militaire, mais nous portons nos vêtements traditionnels de la région, qui sont d’une rare beauté. »
Un événement unique qui a inspiré même Mihai Eminescu, le poète national qui lui a dédié son célèbre poème « Les voïvodes ressusciteront ». (trad. Andra Juganaru)