Quand art et histoire s’entrechoquent
Le projet « Nordic Insights : addressing cancelled culture in public spaces through artistic dialogue and cultural innovation » se déroulera jusqu'au 31 janvier 2026 et réunit des experts du Danemark, de la Suède et de la Lettonie avec des spécialistes de Roumanie et de la République de Moldova.

Ana-Maria Cononovici, 10.06.2025, 11:00
La Plateforme roumaine de formation culturelle a annoncé le lancement du projet « Nordic Insights : addressing cancelled culture in public spaces through artistic dialogue and cultural innovation » (aborder la cancel culture dans les espaces publics par le dialogue artistique et l’innovation culturelle), un projet transnational visant à aborder les récits historiques controversés dans les espaces publics en Roumanie et en République de Moldova. Le projet se déroulera jusqu’au 31 janvier 2026 et réunit des experts du Danemark, de la Suède et de la Lettonie avec des spécialistes de Roumanie et de la République de Moldova. Oana Năsui, chercheuse culturelle et cheffe de projet de Nordic Insights, nous a expliqué pourquoi elle a ressenti le besoin de mener un tel projet :
« Depuis plusieurs années, je m’intéresse personnellement à ce concept de « cancel culture», ces méthodes par lesquelles les gens choisissent de « cancel», ce qui consiste à effacer de l’espace public certaines personnes en raison de leurs propos controversés, un phénomène observé essentiellement sur les réseaux sociaux. On parle ici de réactions agressives, comme nous l’avons vu ces dernières années sur Internet. Nous avons ensuite mené une étude sur ce sujet et nous avons participé à un Festival d’histoire en Roumanie. Après quoi, à partir de discussions menées avec des historiens et des collaborateurs avec lesquels nous travaillons dans le cadre de la plateforme Postmodernism Museum, nous avons esquissé plusieurs idées sur l’art dans l’espace public et les réactions qu’il suscite de la part des citoyens, des réactions qui sont parfois tout à fait inattendues. »
De l’importance de l’inconscient collectif
Oana Năsui, cheffe de projet de Nordic Insights, revient sur un évènement marquant, point de départ d’une réflexion plus large sur les relations des citoyens à l’histoire, et les réactions que peut parfois provoquer l’art, des années voire des siècles plus tard :
« J’aimerais vous donner un exemple qui nous a vraiment marqués : en 2021, une sculpture de Samuel Von Brukenthal a été inaugurée sur la Grande Place de Sibiu. Cette statue est figurative et représente Von Brukenthal, elle n’a rien de symbolique. Après l’inauguration, beaucoup ont réagi en s’interrogeant sur la pertinence de cette sculpture dans l’espace public. Quelque temps après, la statue a été « vandalisée » : quelqu’un l’a aspergée de peinture. J’utilise ici des guillemets, car oui, la statue a bien été aspergée de peinture et le responsable a écopé d’une amende, mais nous cherchons surtout à comprendre ce que geste implique dans un sens plus large. Pour nous, il s’agit surtout d’un signal envoyé par la société civile. Et il semble que le problème que pose la présence de cette statue dans l’espace public réside dans le lien direct entre Samuel Von Brukenthal et la mort de Horea, Cloșca et Crișan (trois leaders d’une révolte populaire en Transylvanie du 18ème siècle ndlr). Il aurait été directement impliqué dans leur capture et leur mort. Pourquoi les gens réagissent-ils ainsi aujourd’hui encore, si longtemps après, et pourquoi semblent-ils si fermés d’esprit ? Car, n’oublions pas que Brukenthal a laissé en héritage une collection d’art impressionnante et un palais qui aujourd’hui le musée le plus ancien de Roumanie. On constate que des préjugés historiques se sont transmis et existent encore dans l’inconscient collectif. Ces récits sont parfois ravivés par certains événements. Cela ne devrait-il pas, au contraire, nous permettre d’ouvrir des discussions sur les raisons qui poussent les gens à agir de la sorte aujourd’hui ?»
Un projet multidimensionnel et collaboratif
L’activité principale du projet consiste à mener une vaste enquête sur les controverses liées aux monuments publics doublée d’un échange d’expérience avec des experts des pays scandinaves autour de trois tables rondes. Oana Năsui détaille :
« On a organisé des tables rondes en ligne, des interviews et des enquêtes nous seront fournies par des experts du domaine, des études que nous allons ensuite inclure dans un Ebook. Nous avons trouvé intéressant de compléter notre projet par un plan d’actions. Puisque l’idée de ces tables rondes, études et interview est de recueillir des informations de qualité tant de la part des professionnels que du public, car tout le monde est invité à participer et à s’exprimer. Donc nous avons lancé un appel à l’expertise, en Roumanie et en République de Moldova, puisque nous partageons une histoire commune. Et nous avons trouvé intéressant de partager les résultats de notre projet avec nos collègues moldaves ».
Mais quels sont les résultats que Oana Nasui attend de ce projet ? Notre invité répond :
« Nous avons invité aux tables rondes un expert scandinave, un autre Roumain et un dernier Moldave. Ces deux derniers sont des historiens, spécialistes de l’art dans l’espace public. Puis, une autre rencontre sera consacrée à la société civile et aux politiques publiques. Tous ces débats seront enregistrés pour être ensuite distribués au large public. Un autre résultat sera ce livre réunissant plusieurs études sur la « cancel culture » dans les espaces publics, que nous souhaitons distribuer en format numérique en Roumanie et partout dans le monde ».
Enfin, ce projet devrait aboutir sur un plan d’actions pour tous ceux qui s’intéressent au sort de l’espace public, au développement de leur communauté ou à l’urbanisme et souhaitent y contribuer en mettant sur pied des projets. (Trad. Charlotte Fromenteaud & Valentina Beleavschi)