Juifs et majoritaires dans le Banat roumain

Le Banat est perçu par beaucoup comme un modèle de coexistence ethnique pacifique en Roumanie. Les Juifs du Banat ont vécu des siècles dans la tolérance avec la majorité et les autres minorités ethniques. Même pendant les sombres années des persécutions antisémites, ils ont trouvé assez de raison chez les autres pour garder leur foi dans l’humanité et la tolérance face à l’altérité.

Steliu Lambru, 16.06.2025, 10:16

Le Banat, une histoire complexe

Située entre le fleuve Danube, les rivières de Mureș et Tisa, et les montagnes des Carpates, la province historique du Banat apparaît dans l’histoire au Xe siècle. À la moitié du XIe siècle, le Banat entre dans la composition du royaume de Hongrie, et ce jusqu’à la moitié du XVIe siècle, lorsqu’il sera conquis par l’Empire ottoman.

En 1716, le Banat, reconquis cette fois-ci par les Autrichiens, demeure jusqu’à 1918 comme province de l’Empire des Habsbourg d’abord, puis de l’Autriche-Hongrie ensuite, lorsque cette dernière remplacera le premier. À la fin de la Première Guerre mondiale, le Banat, étendu sur près de 28.500 kilomètres carrés, est divisé entre la Roumanie (66 %), la Yougoslavie (33 %) et la Hongrie (1 %). Le Banat roumain comprendra une majorité roumaine mais aussi d’autres minorités telles que les Hongrois, Allemands, Juifs, Serbes, Croates, Tchèques, Bulgares et Roms.

Les Juifs du Banat

Aussi, les Juifs du Banat formaient une minorité remarquable qui a contribué de manière significative à forger la civilisation locale et celle de la Roumanie d’après 1918. Au sein de cette minorité juive du Banat l’on retrouve de grands scientifiques, théologiens, entrepreneurs, professeurs, artistes et sportifs qui se feront connaître à travers le monde, tels le physicien Peter Freund, le musicien Ioan Holender, le journaliste Peter Gross, le footballeur Rudolf Wetzer. Les Juifs du Banat sont attestés depuis les 2^e, 3^e siècles, mais l’entrée du Banat sous contrôle autrichien a conduit à la stabilisation de la région, à son développement et à l’accroissement numérique de la population juive.

Jusqu’au XXe siècle, lorsque l’antisémitisme a sorti ses griffes aussi dans cette région, les Juifs débattaient et adoptaient les idées et tendances de leur temps. Les persécutions antisémites ont changé les perspectives et les destins, et ce notamment après le 30 août 1940, lorsque la Transylvanie du Nord fut cédée à la Hongrie par le Diktat de Vienne.

Le Diktat de Vienne

Le jeune Ernest Neumann, né en 1917 à Bihor, dans l’ouest de la Roumanie actuelle, est nommé en 1941 rabbin à Timișoara, la capitale du Banat. En 2002, il confiait au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine qu’il attendait avec impatience la décision du deuxième arbitrage de Vienne, signé le 30 août 1940, lorsque l’Allemagne nazie et l’Italie de Mussolini décident de forcer la Roumanie de céder le nord de la Transylvanie aux Hongrois.

Ernest Neumann: « Au moment du Diktat de Vienne, je me trouvais à Ujgorod, qui avait déjà été cédée à la Hongrie. J’écoutais avec beaucoup de peur et d’espoir les émissions de la radio pour savoir comment la ligne de démarcation serait tracée entre la Transylvanie du Nord et du Sud, et si la ville de Beiuș resterait du côté roumain, ce qui fut d’ailleurs le cas, à ma grande satisfaction. Je suis rentré en Roumanie durant la période la plus triste, après la constitution du gouvernement fasciste de Ion Antonescu, allié des légionnaires. Il n’était même pas question d’occuper un poste dans la direction des communautés juives, car celles de Transylvanie était occupée avec des questions de survie. Je suis alors allé vers Bucarest, où vivait ma sœur, et  c’est là que j’ai vécu les jours terribles de 21-22 janvier 1941, les jours de la rébellion légionnaire et du pogrom de Bucarest. »

Un sort meilleur pour les Juifs du Banat

Neumann allait prendre par la suite ses fonctions de chef de sa communauté étant, entre autres, responsable de l’enseignement religieux à l’école et du service à la synagogue du quartier Fabric de Timișoara. Il rappelle dans son interview que le sort des Juifs du Banat durant ces années terribles fut pourtant meilleur que celui subi par les Juifs qui habitaient d’autres régions roumaines ou hongroises à la même époque.

Ernest Neumann : « Ceux d’ici, de cette zone, ont été privés de droits, ont vécu comme des parias. Mais il n’y a pas eu de déportation, nous n’avons pas porté l’étoile jaune et nous n’avons pas eu de victimes, en essence. Au début de la guerre, notre communauté comptait 12.000 membres. Il y en a eu autant à la fin de la guerre. A Bucarest, en Moldavie, à Dorohoi, à Iași et en Transnistrie, cela a été différent. La Grande Roumanie comptait 850.000 Juifs avant la guerre. La Roumanie d’après la guerre, rétrécie il est vrai, n’en comptait que 420.000. Pourtant, comparé à d’autres pays comme le Danemark ou la Bulgarie où il n’y a pas eu de déportations, ou à la Hongrie où sur ses 800.000 Juifs, seuls 200.000 ont survécu à cause de la déportation vers le camp d’extermination d’Auschwitz, ici, la moitié de la population juive a survécu. »

Le Banat, un modèle de coexistence ethnique

Le Banat est perçu par beaucoup comme un modèle de coexistence ethnique pacifique en Roumanie. Cette opinion est partagée par Ernest Neumann, qui souligne toutefois que l’esprit de tolérance n’avait pas totalement disparu dans l’espace roumain même pendant les années sombres de la guerre.

Ernest Neumann : « Les habitants de Transylvanie, qui autrefois faisaient partie de l’Empire d’Autriche-Hongrie, étaient plus tolérants, plus compréhensifs envers les enfants du peuple juif avec lesquels ils ont vécu en paix tout au long de l’histoire. J’ai grandi au milieu de paysans, et nous nous sommes très bien entendus, sans distinction d’ethnie, que l’on soit juif, hongrois ou roumain. Mais l’on avait à l’époque de la guerre érigé des barrières artificielles, sur n’importe quel critère : nationalité, religion ou race, toutes ces folies meurtrières. »

Les Juifs du Banat ont vécu des siècles dans la tolérance avec la majorité et les autres minorités ethniques. Même pendant les sombres années des persécutions antisémites, ils ont trouvé assez de raison chez les autres pour garder leur foi dans l’humanité et la tolérance face à l’altérité. (Trad. Ionut Jugureanu)