Isolés en Roumanie
(Une paysanne) : « Après plus de 20 ans de mariage, mon mari est mort. Je suis seule, je n’ai pas d’enfants, je n’ai plus personne. Je pleure tout le temps, je n’ai personne à qui parler, personne avec qui travailler, je suis restée toute seule dans ma maison… Souvent, quand je m’assois à table, je mets une chaise à côté, je m’imagine que quelqu’un viendra me rejoindre. Puis, quand je vois qu’il n’y a personne, je me mets à pleurer et je ne mange plus. Je me lève et je vais faire mes tâches ménagères. Ici, c’est le bout du monde. La vie dans cette forêt est la plus difficile de toutes. C’est une véritable torture pour nous, c’est une Roumanie malheureuse. »
Roxana Vasile, 18.11.2020, 11:32
Il y a tant de chagrin et de résignation dans les paroles de cette femme qui a vécu toute sa vie quelque part dans les monts de Rodna. Elle n’en est pas la seule, il y a plein d’autres gens comme elle, oubliés de tous, de leurs proches et malheureusement des autorités aussi. C’est de ces gens-là que nous parlons aujourd’hui, une communauté nommée d’après le titre d’une série de reportages réalisés à ce sujet par la télévision publique roumaine : « Isolés en Roumanie ». Qui mieux que la journaliste Dite Dinesz peut décrire cette communauté, elle qui depuis 2006 déjà parcourt les sentiers des montagnes roumaines à la découverte de ses interlocuteurs : « Effectivement, je pensais que j’allais épuiser le sujet à un moment donné. Malheureusement, j’en trouve toujours des personnages. Il y a encore des sentiers qui mènent à des gens que personne ne connaît plus, qui n’ont personne d’autre à leurs côtés. Ce sont des femmes et des hommes en égale mesures. Âgés pour la plupart. Ceux qui ont des enfants, réussissent, parfois, à partir. Il existe toujours deux ou trois écoles ouvertes en haut de la montagne, mais elles fermeront bientôt, car les jeunes n’y resteront pas…. Cette communauté, qui est un personnage collectif en fait, forme une culture en soi, qui devrait perdurer, mais elle disparaîtra un jour : c’est la force de l’être humain de vivre dans une maisonnette en bois, de profiter de chaque jour, de ne rien demander et de savoir que ce qu’il reçoit lui suffit. Si l’on voulait un jour ouvrir un musée de la Roumanie, il faudrait commencer par les villages isolés. »
Les reportages intitulés « Isolés en Roumanie » sont des messages venus d’un autre monde, une sorte de prière si vous voulez, mais aussi une bénédiction, raconte Dite Dinesz. Dans un monde moderne et parfois trop superficiel, ces villages témoignent toujours de la condition humaine ancestrale. En voici un écho: « Le paysan, le pauv’ paysan, a eu une vie difficile. Pourquoi dit-on « un paysan bête » ? Parce qu’il ne gagne de l’argent que de ce qu’il vend. S’il ne peut pas vendre, il meurt de faim. Hier, je suis allé au marché pour vendre quelque chose. Je n’ai rien vendu. J’ai failli ne pas avoir des sous même pour m’acheter un peu de pain. De la nourriture, il y en a, mais ce n’est pas gratuit. On te dit : Va travailler ! Qui ne peut pas travailler, meurt ! »
Les isolés de Roumanie, comme le vieillard que vous venez d’entendre, habitent dans de petits villages cachés dans les montagnes et les forêts, sans routes asphaltées, ni magasins ou hôpitaux. Parfois, un curé leur rend visite pour les bénir. Serions-nous capables de vivre ainsi, pas pour une journée ou deux, mais toute la vie ? Quiconque aurait pu être un des isolés de Roumanie, à défaut de confort et de privilèges, affirme Dite Dinesz, qui ajoute : « Les vieux, les pauvres, élèvent toujours des animaux, mais ils n’ont plus de force pour travailler la terre, donc ils ne reçoivent plus de subventions. Les plus jeunes sont partis. Ceux qui restent, ne paient pas l’eau qu’ils consomment et ils paient très peu pour l’électricité, car les télés sont peu nombreuses. Récemment, j’ai trouvé une vieille femme qui touchait une retraite de 15 lei – l’équivalent de 3 euros. Une autre perçoit 6 lei, une autre encore – 8 lei. C’est leur pension de retraite pour un mois ! Et quand je leur ai demandé si le facteur venait toujours chez elles, elles m’ont répondu : « À quoi bon ? » Comme quoi elles avaient même oublié qu’elles étaient des personnes, qui avaient le droit de recevoir cet argent. ».
Comme quasiment personne ne monte plus au sommet des montagnes chez les isolés de Roumanie, la journaliste Dite Dinesz, accompagnée de ses techniciens – Marius Danci et Constantin Buță – les fait descendre, via la télévision, dans les foyers de tous les Roumains. Ils nous apprennent une leçon émouvante : ils ne se plaignent de rien et ne blâment personne. Ils acceptent leur vie telle qu’elle est, avec ses privations et ses peurs. En fait, ce qu’ils craignent le plus c’est que cette vie en communion avec la nature prendra fin au moment où ils disparaîtront. En attendant, ils ont appris à se contenter de ce qu’ils ont, sans trop penser au bonheur, qu’ils ne sauraient même pas définir. Quant aux espoirs, c’est hors de question ! Une petite lumière dans l’obscurité leur apporte, quand-même, Dite Dinesz, qui, lorsqu’elle ne fait pas de reportages, passe son temps au téléphone pour aider ces gens malheureux : « Je passe ma journée de coup de fil en coup de fil. Par exemple, ce matin, j’ai trouvé du bois à feu dans le département de Mehedinţi et un poêle dans le département d’Alba. Des gens merveilleux ont accepté de m’aider. L’un achète le bois, l’autre apporte le poêle. Il y a même une assistante sociale de Mehedinţi qui se rend chaque semaine chez un vieillard pour lui apporter de la nourriture. »
Et ce n’est pas tout. Une belle histoire de bénévolat est née suite à cette série de reportages sur les isolés de Roumanie. Grâce à une association, les personnes interviewées reçoivent toujours des paquets de nourriture, d’autres vieux qui n’ont pas de pension de retraite, bien qu’ils aient travaillé toute leur vie, reçoivent une aide mensuelle, les familles avec des enfants en bénéficient aussi, on a installé des panneaux solaires sur leurs maisons ou bien on leur achète des médicaments. « Vous n’imaginez même pas combien de personnes ont besoin de cette communauté isolée. », s’étonne Dite Dinesz. « Parce que cela les aide à sortir de la routine et à faire du bien ! », conclut-elle. (Trad. Valentina Beleavski)