« Les couleurs du « dégel » »
Le Musée national du paysan roumain et l’Association pour la culture et l’art « Arbor » invite le public à l’exposition-événement intitulée « Les couleurs du « dégel ». Le village de Bessarabie dans la peinture des années 1960 ».
Eugen Cojocariu et Ion Puican, 15.05.2024, 13:11
Le Musée national du paysan roumain et l’Association pour la culture et l’art « Arbor » invite le public à l’exposition-événement intitulée « Les couleurs du « dégel ». Le village de Bessarabie dans la peinture des années 1960 ». Il s’agit d’une exposition qui présente des œuvres moins connues, de petites dimensions, appartenant aux collections privées de 14 artistes importants de République de Moldova. Nous avons parlé de l’exposition ainsi que du contexte historique et culturel des œuvres exposées à Bucarest avec l’historien de l’art de République de Moldova, Constantin I. Ciobanu :
« Il s’agit d’une exposition intéressante, liée à une période passionnante, car le mot « dégel », qui est utilisé par les historiens de l’’art de l’ex-Union soviétique, désigne une période au cours de laquelle de nombreux artistes se sont lancés, y compris en Bessarabie. Car on ne peut nier l’influence non négligeable des grands centres de l’ex-Union soviétique, tels Moscou ou Leningrad, (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), sur Chisinau. N’oublions pas qu’à l’époque de Staline, toute relation avec la Roumanie était interdite. En effet, pendant les années de « dégel », au milieu des années 1950, une exposition de quelques artistes visuels roumains a eu lieu à Chisinau, y compris des artistes importants tels que Nicolae Grigorescu, ou Teodor Aman. Cette période de « dégel » était également intéressante car de nouveaux courants sont apparus au sein du « réalisme socialiste », courants radicalement différents de l’académisme dit « stalinien », qui existait jusque-là. Le style « sévère » ou « austère », comme le désignent les critiques d’art, est aussi apparu. Bien sûr, ce style affectait davantage les républiques qui avaient une industrie développée, car il s’agissait d’un style majoritairement urbain, orienté vers l’environnement urbain, mais il y avait également certaines répercussions sur la Bessarabie. Pour la Bessarabie, la fin des années 1950 et le début des années 1960 était en réalité une période de libération, permettant de relâcher d’abord les moyens d’expression. »
Quels sont les sujets vers lesquels les artistes moldaves ont orienté les concepts et les styles pendant les années 1960, lors du « dégel » ? Constantin I. Ciobanu nous répond :
« Ils se sont surtout concentrés vers un reflet assez fidèle de l’esthétique de la terre mère, comme le révèle l’exposition. Les motifs ruraux dominent principalement. Je dirais que le leitmotiv de cette exposition était la démonstration du poème « Terre de Bessarabie », qui se distinguait toujours, même au sein des expositions d’Union (note de la rédaction : soviétique) : lorsqu’une œuvre réalisée en République de Moldova arrivait, on se rendait immédiatement compte qu’il s’agissait de quelque chose d’hétérogène par rapport à la typologie soviétique. »
La conceptualité artistique des années 1960 a été définie par la réinterprétation d’un slogan soviétique, une réinterprétation qui a apporté de nouveaux langages d’expression artistique. L’historien d’art Constantin I. Ciobanu nous en dit plus :
« N’oublions pas qu’à la fin des années 1950 et surtout pendant les années 1960, l’on a réévalué le slogan « socialiste par rapport au contenu et national par rapport à la forme ». Il s’agissait d’un slogan à première vue prolétarien et communiste qui existait depuis 1925. C’est Stalin qui l’a prononcé pour la première fois. Ce slogan existait aussi dans les années 1930, 1940 et 1950. Personne ne lui accordait d’attention. Plus tard, certains esthéticiens et critiques d’art ont compris qu’en fait, beaucoup de variétés picturales des œuvres pouvaient être défendues grâce à la deuxième partie de ce slogan, « national par rapport à la forme ». Ils pensaient surtout aux pièces de l’artisanat populaire. Et pourtant, dans ces pièces d’artisanat populair,e on retrouve des motifs abstraits et de couleurs locales. On y retrouve de nombreux éléments, même de l’art abstrait. Ces esthéticiens et critiques d’art ont utilisé ce slogan pour défendre les artistes qui proposaient une palette plus riche que le clair-obscur de l’époque stalinienne, ou bien qui proposaient des éléments abstraits dans leurs créations. »
Quel est le contexte dans lequel on peut regarder l’exposition du Musée National du paysan roumain ?
« L’important est que cette exposition est en fait une section, une fraction d’un événement tout aussi important qui se déroule ces jours-ci au Musée National d’Art de Roumanie. Il s’agit d’une exposition sur l’art de la Bessarabie. Ici, il s’agit d’une sorte de développement, d’amplification et détail de cette impression générale. Au Musée National d’Art on regarde l’art des cents dernières années, en commençant avec les premières associations d’artistes de Bessarabie, tandis qu’au Musée National du paysan roumain on voit uniquement une section, mais une section très importante. »
L’exposition fait partie du projet culturel intitulé « Grecu Rosu Ciobanu et les autres. La redéfinition de l’esthétique en Bessarabie pendant les années 1960 ». Il s’agit d’un effort pour faire connaître au public roumain la création artistique des noms les plus importants de l’art contemporain de Bessarabie. Le projet vise l’activité artistique des peintres de Chisinau et met en lumière leurs efforts d’innovation sur toile de fond du « dégel » de l’époque de Nikita Khrouchtchev (1953-1964), lorsqu’une nouvelle vision est née, proposant un rafraîchissement du langage plastique. Parmi les peintres qui l’ont adopté, on retrouve Mihail Grecu, Valentina Rusu Ciobanu, Ada Zevin, Glebus Sainciuc et Igor Vieru. L’exposition est ouverte du mercredi au dimanche, de 10h à 18h jusqu’au 19 mai.