L’antisémitisme, plus sévèrement puni
Dans les années 1930, plus de 750 000 Juifs vivaient en Roumanie. Aujourd'hui, près d'un siècle plus tard, leur communauté compte moins de 2 500 personnes. Les politiques antisémites et l'Holocauste ont décimé les communautés juives.

Roxana Vasile, 10.09.2025, 12:03
Dans les années 1930, plus de 750 000 Juifs vivaient en Roumanie. Aujourd’hui, près d’un siècle plus tard, leur communauté compte moins de 2 500 personnes. Pendant l’entre-deux-guerres, la Roumanie avait, proportionnellement à sa taille, la troisième communauté juive d’Europe, après la Pologne et l’URSS, mais les événements historiques qui ont suivi, tant sur le plan extérieur qu’intérieur, ont eu un impact radical sur l’existence de cette minorité nationale. Les politiques antisémites et l’Holocauste ont décimé les communautés juives. Puis, les survivants ont massivement émigré en Israël ou dans d’autres pays, entraînant une diminution significative de la communauté en Roumanie. Ceux qui sont restés ont continué à faire partie intégrante de l’histoire et de l’identité du pays, contribuant à sa vie culturelle, sociale et économique. La plupart se trouvent actuellement à Bucarest, mais aussi à Iași, Cluj-Napoca ou Timișoara.
L’année dernière, le gouvernement de Bucarest a lancé la Stratégie nationale pour la prévention et la lutte contre l’antisémitisme, la xénophobie, la radicalisation et les discours incitant à la haine pour la période 2024-2027. Ce document s’inscrit dans la continuité de la stratégie précédente menée en 2021-2023.
Une loi plus sévère…
Le préambule du document indique, je cite, que « l’antisémitisme, la xénophobie, la radicalisation et les discours incitant à la haine sont des menaces qui peuvent affecter structurellement la société en érodant le respect des droits et libertés fondamentaux. Or, le développement de la résilience sociétale face à ces dangers nécessite une approche complexe et un partenariat solide entre l’État, la société civile et le monde universitaire ». Le document a été salué par le député Silviu Vexler, président de la Fédération des communautés juives de Roumanie qui est également à l’initiative d’un projet de loi récemment adopté par la Chambre des députés et prévoyant une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison ferme pour ceux qui créent ou soutiennent des organisations à caractère fasciste, d’extrême droite (appelé en roumain « légionnaire »), raciste ou xénophobe. Les personnes qui mettent à la disposition du public, par quelque moyen que ce soit, de tels documents risquent désormais entre 1 et 5 ans de prison ferme et la privation de certains de leurs droits, tandis que la promotion du culte de personnes coupables de génocide ou la négation de l’Holocauste seront punies d’une peine pouvant aller jusqu’à 3 ans de prison ferme.
… dans un contexte d’augmentation des actes et menaces antisémites
Pourquoi était-il nécessaire de durcir la législation dans ce domaine ? L’initiateur, le député Silviu Vexler, avance deux arguments :
« Tout d’abord, la diffusion massive dans la société, et en particulier sur Internet, de contenus antisémites, ainsi que la promotion excessive des criminels de guerre de l’époque de l’Holocauste en tant que héros nationaux et, parallèlement, l’augmentation alarmante des incidents antisémites à l’échelle nationale. En même temps, une série de dysfonctionnements ont été signalés dans la législation déjà en vigueur, qui comprenait des projets de loi vieux de plus de 20 ans et qui n’étaient tout simplement pas adaptés à la situation actuelle ».
Des députés de l’opposition nationaliste de Roumanie ont estimé que la réalité sociale n’imposait pas de nouvelles réglementations plus strictes susceptibles de restreindre la liberté d’expression. Selon certains d’entre eux, il n’existerait en Roumanie ni de courant antisémite, ni d’organisations antisémites.
Silviu Vexler rappelle le cadre légal de la liberté d’expression.
« Je ne vois absolument aucune restriction à la liberté d’expression. Dans de nombreux cas portés devant la Cour européenne des droits de l’homme, il a été clairement établi que l’antisémitisme et la promotion du culte des criminels de guerre sont des pratiques qui affectent des sociétés entières et la démocratie elle-même, et que la lutte contre ces pratiques ne constitue pas une restriction de la liberté d’expression. J’ai ensuite donné des exemples, qui sont d’ailleurs publics, d’incidents à caractère antisémite survenus sur le territoire roumain. Il est vrai qu’il n’y a pas eu d’incidents aussi graves que dans d’autres pays, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu ou qu’il n’y a pas de situations extrêmement difficiles et dangereuses. Or, les mesures doivent toujours être prises à temps, dans le cadre de la prévention, et non au moment où il faut réagir. Or on a enregistré des actes de vandalisme dans les cimetières et dans les synagogues, des menaces répétées à l’encontre des membres des communautés juives, et la liste est encore longue ».
La lutte contre l’antisémitisme pour protéger la démocratie
L’objectif du projet de loi n’est pas d’interdire tel ou tel écrivain, tel ou tel livre ou telle ou telle œuvre d’art ; précise son initiateur Silviu Vexler, sur Radio Roumanie :
« La loi établit très clairement une distinction entre le culte de certaines personnes responsables de l’Holocauste en Roumanie, par exemple, et ce que représentent l’art, la culture, la science, l’éducation, etc. Le principal danger que représentent le manque de connaissances, l’absence de sanctions, mais aussi le fait que la population en général constate que des choses extrêmement négatives se produisent sans être sanctionnées, c’est que toutes ces choses, tous ces sentiments et toutes ces idées redeviennent la norme. Or, cela n’affecte pas seulement les Juifs, cela affecte l’ensemble de la société. L’extrémisme est un danger, quel que soit son type. Qu’il s’agisse d’antisémitisme ou d’une autre forme d’extrémisme, c’est un danger pour la démocratie elle-même et pour chaque citoyen roumain ».
Selon la Chambre des Députés de Bucarest, dans sa forme récemment adoptée, cette Loi est une expression de la liberté selon le principe bien connu que la liberté d’une personne s’arrête là où commence la liberté des autres. (trad. Clémence Lheureux)