Travailleurs étrangers : un débat médiatique loin des réalités sociales
Chute dans la clandestinité d’étrangers arrivés en Roumanie avec un visa de travail pourtant légal
Iulia Hau, 17.09.2025, 11:09
Les médias roumains ont fait récemment leurs choux gras de la question des travailleurs étrangers qui divise l’opinion publique. L’agression xénophobe, en pleine rue, d’un livreur népalais a mis en évidence la vulnérabilité de ces personnes qui viennent en nombre croissant occuper les emplois dont les Roumains ne veulent pas ou qu’ils préfèrent aller occuper dans les pays occidentaux. Une semaine après l’incident, la mairie de Bucarest a approuvé une manifestation anti-migrants organisée par deux formations de droite avant de retirer l’autorisation au dernier moment. Dans la foulée, la mairie a annoncé que le projet d’approbation de la stratégie d’inclusion des migrants dans la capitale était temporairement suspendu.
Un aspect essentiel de la situation des travailleurs étrangers reste toutefois totalement ignoré du grand public : leur passage d’une situation légale à une situation illégale pour des raisons indépendantes de leur volonté. En effet, selon les données officielles recueillies par le Bureau de l’immigration et le ministère du Travail, 250 000 visas de travail ont été délivrés entre 2021 et 2024. Au cours de la même période, seuls 138 000 permis de séjour temporaire à des fins professionnelles ont été délivrés, et en novembre 2024, moins de 100 000 d’entre eux étaient encore valables.
Des personnes précaires et privées de droit
Pour arriver en Roumanie, la plupart des personnes contractent des emprunts de plusieurs milliers d’euros afin de payer les commissions des agences (tant en Roumanie que dans leur pays d’origine), le billet d’avion et les frais liés au visa. Cependant, beaucoup d’entre eux perdent leur droit de séjour dans des procédures bureaucratiques sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle. Ils se retrouvent alors dans une situation de clandestinité, avec des dettes à rembourser et donc très vulnérables.
Daniela Zaharia-Mănescu, avocate spécialisée dans les questions de migration et de traite des êtres humains, explique que dans certains cas, une fois arrivés en Roumanie, les étrangers sont contraints d’accepter des emplois totalement différents de ceux pour lesquels ils ont accepté de venir ici.
Il y a des cas où le type de travail change. Lorsque le travailleur arrive sur le territoire roumain, il découvre qu’en fait, il doit faire un autre travail, dans un autre endroit, peut-être avec un salaire complètement différent, et peut-être aussi avec des conditions de travail et d’hébergement complètement différentes de celles qui lui avaient été proposées. Dans ce cas, il a deux options : soit il accepte ces conditions, soit, s’il ne les accepte pas, son contrat de travail n’est pas renouvelé. Il doit alors trouver un autre employeur afin que celui-ci puisse obtenir l’avis d’embauche dans le délai imparti.
Le délai dont parle la spécialiste correspond à la durée de validité du visa de travail avec lequel il entre dans le pays, soit 90 jours.
Et le temps manque car le système et la procédure de demande d’avis d’embauche sont longs. De nombreux travailleurs se sont retrouvés dans cette situation, en séjour illégal, sans avoir commis aucune faute. Car, s’il est difficile pour les citoyens roumains de trouver un emploi, ça l’est encore plus pour un ressortissant étranger. A cela s’ajoute la charge pour l’employeur d’effectuer des formalités supplémentaires afin d’obtenir l’autorisation d’emploi.
Mais ce n’est pas le seul risque pour les travailleurs étrangers de tomber dans la clandestinité. Le deuxième écueil le plus fréquent est lié au changement d’employeur. Les travailleurs étrangers ont le droit de changer d’employeur sans restriction après un an de travail dans la première entreprise qui les avait embauchés, mais en réalité beaucoup sont tout simplement contraints de le faire, soit que les entreprises fassent faillite, soit qu’elles perdent le droit d’embaucher des étrangers ou encore qu’elles décident simplement qu’elles n’ont plus besoin d’eux.
Mais changer d’emploi implique tout d’abord l’obtention par le nouvel employeur d’un nouveau permis de travail, une procédure complexe qui nécessite une série de conditions et de documents à délivrer et déposer dans les délais. Le ressortissant étranger dispose de nouveau de 90 jours pour obtenir le nouveau permis. Alors que ce processus ne dépend en grande partie pas de lui, il est le seul à en supporter les conséquences si le dossier est rejeté.
Un Etat négligent
L’avocate estime que le système ne met pas à la disposition des étrangers les moyens de se défendre lorsqu’il s’agit de la perte de leur statut légal. Beaucoup deviennent même victimes de la traite des êtres humains et de l’exploitation par le travail sans bénéficier d’une assistance juridique efficace et qualifiée ni de la protection de l’État roumain.
Pour répondre à ce phénomène vaste et pourtant négligé, l’experte Daniela Zaharia-Mănescu considère qu’un changement législatif s’impose.
A mon avis il faut modifier la loi en expliquant bien quels sont les problèmes actuels, pourquoi une telle modification est utile et quelles en seraient les conséquences. Ce qui est certain, c’est qu’il faut tout d’abord constater que ce phénomène existe puis avoir la volonté d’intervenir. Ce phénomène existe, nous ne pouvons clairement pas l’arrêter, mais nous devons atténuer autant que possible ses conséquences négatives. Nous devons le maitriser afin d’offrir une protection aux citoyens étrangers.
En 2024, l’Inspection générale de l’immigration a rendu 2 876 décisions de retour, un nombre nettement inférieur à celui des deux années précédentes, marquées par les efforts d’adhésion de la Roumanie à l’espace Schengen : près de 4 000 en 2023 et 4 316 en 2022. La décision de retour est l’acte administratif par lequel l’Inspection générale de l’immigration constate le séjour illégal d’un étranger sur le territoire roumain et établit son obligation de retour dans son pays d’origine, ainsi que le délai pour son départ volontaire de Roumanie.