De la broderie traditionnelle roumaine à la Haute Couture
Victoria Darolți a réalisé des créations uniques pour de grandes maisons de couture telles que Chanel, Dior, Armani, Valentino, et possède désormais son propre atelier et élargit sa collection personnelle, car elle a l'intention d'ouvrir un petit musée.
Ana-Maria Cononovici, 14.10.2025, 12:10
Elle vit depuis 30 ans en France et c’est une figure reconnue dans le domaine de la broderie artistique et de la broderie haute couture, mais elle est originaire du département de Sălaj, où elle a appris le tissage et le tricot auprès de sa mère, comme beaucoup d’enfants élevés au village. Victoria Darolți a réalisé des créations uniques pour de grandes maisons de couture telles que Chanel, Dior, Armani, Valentino, et possède désormais son propre atelier et élargit sa collection personnelle, car elle a l’intention d’ouvrir un petit musée.
Elle a quitté la Roumanie à l’âge de 27 ans, cinq ans après la révolution anticommuniste. Bien que son parcours professionnel n’ait pas été un long fleuve tranquille, en 2019, Victoria Darolți a reçu la distinction « Meilleur Ouvrier de France » (Chevalier de l’Ordre national du Mérite), le prix le plus prestigieux décerné aux artisans, qui existe depuis un siècle, comme nous l’a raconté la créatrice.
« Je suis très fière d’avoir reçu cette distinction décernée par le gouvernement français, par le président français lui-même, je ne sais pas exactement comment je l’ai obtenue. Pour ce faire, j’ai été observée pendant longtemps, quelqu’un est resté à mes côtés pour voir comment je travaillais, comment je présentais mon travail, comment je faisais pour rester sur le marché. Cette personne a constitué un dossier sur moi, qu’elle a soumis au gouvernement, et ils ont décidé que je méritais cette distinction. »
Une histoire personnelle
Et comme son histoire commence dès son enfance, Victoria Darolți nous a fait voyager dans le temps en partageant avec nous ses souvenirs :
« Je suis fière de revenir à mon enfance ! J’ai grandi à Ineu, dans le département de Sălaj. Quand j’étais petite, j’ai beaucoup appris de ma mère : la broderie, le tissage, le tricot, la dentelle. Ma sœur a 16 ans de plus que moi, son mari est un tailleur renommé à Sighetu Marmaţiei, elle était très élégante et j’étais très jalouse d’elle. Quand elle venait chez ma mère, je découpais ses robes pour me faire de petites robes. Ma mère insistait pour que je joue, mais je restais plutôt près d’elle, près de ses amies, près de ma grand-mère, pour apprendre les travaux manuels. J’adorais ça ! Je me souviens qu’à l’âge de 12 ans, j’ai participé à la dernière récolte de lin et de chanvre du village. Je me souviens avoir ramassé le chanvre dans les champs, l’avoir transporté jusqu’à la Somes, l’avoir mis dans l’eau, être retournée deux jours plus tard retourner la gerbe de chanvre afin qu’elle ramollisse, l’avoir ramenée à la maison et l’avoir transformée jusqu’à l’obtention du produit final. Ma mère tissait des draps et des nappes, et j’ai appris tout cela avec elle. »
J’ai appris que Victoria Darolți avait toujours rêvé d’aller à Paris, la capitale de la mode. Mais là-bas, elle a dû trouver une école pour attester officiellement de son savoir-faire :
« Quand j’étais à l’école de broderie, mes professeurs m’ont demandé : « Victoria, qu’est-ce que tu fais ici à l’école, tu sais déjà tout faire. » J’avais besoin d’un diplôme pour pouvoir entrer dans les ateliers qui travaillaient pour les maisons de couture. Ça ne servait à rien de connaître le métier si je n’avais pas de diplôme. J’ai fini l’école et deux semaines plus tard, j’ai réussi à trouver un poste dans un atelier. En Roumanie, j’ai appris la broderie à l’aiguille, qui diffère de ce que j’ai appris ici, en France, et qu’on appelle « broderie crochet de Lunéville ». Cette technique utilise une aiguille qui ressemble beaucoup à l’aiguille à dentelle roumaine, mais contrairement à la technique dans mon pays d’origine, le crochet de Lunéville permet aussi d’incorporer des pierres et les paillettes à la broderie. Cela permet d’atteindre un degré de perfection et de qualité que la broderie roumaine ne permet malheureusement pas. »
Naissance de l’atelier Darolți
En 2008, Victoria Darolți a ouvert son propre atelier et, en 2011, elle a fondé sa propre école de broderie afin de perpétuer cet artisanat. Situé dans la banlieue parisienne, l’atelier Darolți est spécialisé dans les accessoires brodés (gants, chaussures, sacs à main), les robes de soirée, les costumes de théâtre et la décoration intérieure pour les hôtels de luxe, les yachts ou les avions privés. Victoria Darolți poursuit :
« Lorsque je créais, une partie de mon village était là aussi. J’ai combiné ce que j’avais appris de ma mère et ce que j’avais appris en France, ce qui me rendait différente des autres. J’ajoutais à mes créations de la laine de mouton colorée, des perles, des bijoux, certains fils que je trouvais en France ressemblaient à ceux que je trouvais en Roumanie, les couleurs que j’assortissais dans mes créations plaisaient beaucoup. J’ai aussi très souvent utilisé le macramé dans mes créations. J’ai travaillé pour la Suisse, pour certains pays d’Afrique, pour l’Italie, avec des gens célèbres, riches, pour qui j’ai personnalisé les dossiers des sièges de leurs avions privés. »
Au-delà des commandes, Victoria Darolți crée également des pièces pour sa collection personnelle, dans l’intention d’ouvrir un petit musée. L’une de ses pièces préférées s’intitule « Păpușa de pământ » (la poupée de terre) : une robe avec une jupe en macramé et un haut brodé de pierres multicolores, cueillies dans la nature, à l’aide de la technique Lunéville, apprise à l’école de Paris.