« Triton », un film documentaire internationalement apprécié
« Triton » est un film de montage, rassemblant exclusivement du matériel d’archives, des images rares filmées par des amateurs entre la deuxième guerre mondiale et la Révolution de décembre 1989.
Corina Sabău, 22.11.2025, 11:04
Le film documentaire « Triton », de la réalisatrice roumaine Ana Lungu, vient de sortir dans les salles de cinéma de Roumanie, mais sa première projection mondiale avait eu lieu dans le cadre de la Compétition internationale, au FID Marseille. Les récompenses internationales n’ont pas tardé, le film s’étant vu attribuer le Prix du jury pour la mise en valeur de matériels d’archives audiovisuelles privées au festival « Archivio Aperto » de Bologne et le Prix FIPRESCI au Festival international du film Transilvania TIFF; il a également été nommé dans la Semaine de la critique à Montréal, au Canada, ainsi qu’à Astra Film Festival de Sibiu.
Trois récits, trois styles de réalisation
« Triton » est un film de montage, rassemblant exclusivement du matériel d’archives, des images rares filmées par des amateurs entre la deuxième guerre mondiale et la Révolution de décembre 1989. Il est composé de trois récits stylistiquement différents, liés entre eux par une voix narrative féminine: d’abord un père qui filme l’enfance de sa fille dans la Roumanie des années 1980 ; ensuite un professeur de musique documente le quotidien des membres de sa famille et de ses amis dans les années 1960-70 ; enfin, un aristocrate qui enregistre des images de l’été 1942, lorsque notre pays est l’allié de l’Allemagne nazie. La collaboration avec le réalisateur d’origine bosniaque installé à Berlin, Dane Komljen, également monteur/ en charge du montage du film, a été essentielle pour la réussite de ce projet, explique la cinéaste Ana Lungu.
« La décision de structurer le film en trois parties réalisées dans des styles différents, je l’ai prise quand je travaillais seule. Durant environ un an, je m’étais occupée seule du montage du film et je m’étais rendu compte que ça aurait été mieux de séparer les trois récits, sans forcer une connexion à travers une éventuelle fiction. Au tout début, j’avais contacté Dane Komljen parce que je voulais lui demander conseil pour la voix hors champ, puisque c’était quelque chose de nouveau pour moi, tandis que lui, il l’emploie dans tous ces films. Je savais déjà que Dane Komljen avait du talent littéraire, puisqu’il avait écrit et publié de la poésie avant de se lancer dans la réalisation de film ; cet élément a également beaucoup joué pour mon choix. Et son acceptation de la collaboration proposée a été un honneur pour moi. Dane a eu cette idée de faire différemment la voix hors champ, puisque les trois parties étaient stylistiquement différentes. Dans la première partie, la narration est à la première personne, la deuxième partie est racontée à la troisième personne, enfin la troisième partie est racontée à la deuxième personne, comme dans une lettre. Dans le deuxième récit, il y a une petite référence au roman « Feu pâle » de Vladimir Nabokov. Or c’est justement ça ainsi que d’autres références littéraires qui se trouvent d’une certaine manière à la base de ma collaboration avec Dane. »
« Triton », une nouvelle étape professionnelle pour sa réalisatrice
Andrei Tănăsescu, chargé de la sélection et commissaire de festival, a identifié une nouvelle étape ouverte par le documentaire « Triton » dans la filmographie d’Ana Lungu.
« En découvrant ce matériel d’archives utilisé dans « Triton », Ana Lungu a inauguré du point de vue stylistique et formel un langage cinématographique différent de celui abordé dans ses films de fiction. A noter que même dans les productions de fiction réalisées jusqu’à présent, Ana Lungu recourait à des éléments biographiques des acteurs et actrices de la distribution. Cette fois-ci, Ana travaille avec du matériel trouvé, des « found objects », autrement dit des archives personnelles, qui possèdent une certaine autonomie en tant qu’objets cinématographiques ou visuels. Ana leur offre un espace pour s’exprimer, tout en les réinterprétant dans une approche éthique, très importante quand on travaille avec des archives. Dans le cas d’un film de montage, le rôle de l’auteur/autrice se trouve dans le montage-même. « Triton » est, de toute évidence, un acte créatif très bien réfléchi, je pense à la narration et à sa tonalité. C’est un film riche de sens, qui vaut d’être vu et revu, car le public y découvrira quelque chose de nouveau à chaque fois. Ou, pourquoi pas, une confirmation ou un message ou bien une certaine perception de la narration du film ou même des archives en tant que telles. Je remarque et je suis très admiratif des films roumains, de montage ou des documentaires hybrides, qui se penchent de plus en plus sur le contenu des archives. « Triton » nous ouvre les portes d’archives personnelles rarement vues au cinéma ou dans d’autres productions médiatiques. »
La réalisatrice Ana Lungu est née en 1978. Jusqu’à présent, elle a réalisé des films indépendants, des longs-métrages de fiction sélectionnés à des festivals internationaux tels que Locarno (« Ventre de baleine », 2010), Rotterdam (« Autoportrait d’une fille dévouée », 2015), Sarajevo (« Un prince et demi », 2018). Elle a remporté le Prix du meilleur film au Festival Crossing Europe, de Linz, et le Prix du public au Festival du film européen 2015. Elle est membre de l’Académie européenne du film depuis 2019. Le documentaire « Triton » est produit par Adrian Sitaru et Ana Lungu. (Trad. Ileana Ţăroi)