La désinformation à l’ère de l’Intelligence artificielle
Les réseaux sociaux diffusent et répètent des idées à un rythme difficile à imaginer jusqu’il y a peu, et, avec cela, la désinformation ne fait que s’amplifier. Ceux qui étudient le phénomène le décrivent comme une guerre de l’esprit et de la perception, une guerre invisible.
Corina Cristea, 12.12.2025, 09:30
Un phénomène mondial aux multiples facettes
L’information circule aujourd’hui à des vitesses vertigineuses et n’importe qui peut transmettre un message qui atteint instantanément un public très large. Les réseaux sociaux diffusent et répètent des idées à un rythme difficile à imaginer jusqu’il y a peu, et, avec cela, la désinformation ne fait que s’amplifier. Une désinformation qui a acquis de nouvelles valences, et nous parlons désormais d’un phénomène mondial, le plus souvent financé et coordonné, qui a le potentiel d’influencer le résultat des élections, de polariser des sociétés ou de tendre les relations internationales. Ceux qui étudient le phénomène le décrivent comme une guerre de l’esprit et de la perception, une guerre invisible.
Professeure d’université, Alina Bârgăoanu, membre du Conseil consultatif de l’Observatoire européen des médias numériques et experte en lutte contre la désinformation, explique :
« Ce que je soulignerais d’emblée, c’est l’idée que les instruments utilisés pour mener cette guerre informationnelle sont de plus en plus divers : la désinformation, la propagande, les campagnes hostiles d’influence, les attaques cybernétiques, la guerre algorithmique, la collecte de données en vue du micro-ciblage, voire de l’hyper-personnalisation. Il ne s’agit pas seulement de la désinformation classique, mais d’un arsenal beaucoup plus complexe. Deuxième élément : ce que l’on appelle communément la guerre invisible, une appellation plutôt correcte je dirais. Car il s’agit une forme d’affrontement relativement sournoise, dotée d’un caractère invisible, alors qu’elle est en même temps très visible. Cela concerne souvent ces narrations hostiles à l’Occident, devenues monnaie courante. Dès qu’une conversation démarre, il est presque impossible que quelqu’un, dans son cercle d’amis ou de collègues, ne se fasse la porte-parole de ce type de discours. Et j’estime que la cible principale de cette guerre informationnelle est devenu cet ensemble formé par l’UE et l’OTAN, et surtout certains des membres de l’UE. Une guerre à la fois très visible et invisible, une guerre insidieuse, difficile déceler et à mettre au jour. Mais dès que l’on commence à creuser un peu, l’on est impressionné par le degré de sophistication des techniques, par le niveau d’entraînement des algorithmes, par l’usage croissant de l’intelligence artificielle. »
Une dynamique nouvelle
Si, par le passé, la manipulation de masse nécessitait d’immenses ressources, la dynamique de la guerre informationnelle a été profondément modifiée par l’intelligence artificielle, grâce à laquelle une seule personne peut générer des milliers de messages persuasifs en quelques heures seulement. Et avec l’apparition des grands modèles de langage, le monde a de nouveau changé. Alina Bârgăoanu :
« Tous les problèmes structurels peuvent être amplifiés, poussés au maximum avec ces nouvelles technologies d’intelligence artificielle. Tout d’abord, cette dernière permet de générer du contenu à une vitesse bien plus élevée, avec bien plus de flexibilité et une grande capacité d’adaptation aux audiences locales. Les récits, les conspirations n’ont plus besoin d’être générés par des personnes : ils peuvent l’être en utilisant ces méthodes. Et je ne parle pas seulement de l’écrit, mais de l’écrit, de l’audio, de la vidéo et surtout de la combinaison des trois. Voilà un premier élément. Le deuxième élément, beaucoup plus spectaculaire à mon avis, est ce qui a commencé à être signalé dans certains articles sous le nom de « pollution des grands modèles de langage ». Qu’est-ce que cela signifie ? L’espace en ligne est inondé de contrevérités, de points de vue extrêmement enflammés, qui vise à infecter les grands modèles de langage, à les polluer, afin de les forcer, lorsque nous demandons à ChatGPT, par exemple, quelles sont les causes de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, à donner une réponse qui tienne compte de ces narrations infectées. Quand nous effectuions une recherche sur Google, il était possible de tomber sur des liens reproduisant la rhétorique officielle, par exemple du Kremlin, mais nous pouvions choisir. Nous consultions un lien, puis un troisième. Maintenant, la réponse fournie par ChatGPT devient LA vérité, et votre possibilité de vérifier est beaucoup plus réduite. »
Une étude de l’Institut pour le dialogue stratégique, portant sur le conflit en Ukraine et réalisé avec les plus grands modèles linguistiques, soit ChatGPT, Groq, Gemini et DeepSeek, a montré que, dans le cas des quatre modèles, 18 % des réponses étaient alignées sur la rhétorique officielle de la Fédération de Russie, des réponses assimilées par ces modèles, explique l’experte en lutte contre la désinformation Alina Bârgăoanu. (Trad. Ionut Jugureanu)