La Turquie, le Printemps arabe et Internet
En décembre 2010, Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant tunisien s’est immolé par le feu, en pleine rue, pour protester contre les abus commis par le régime de l’époque du président Zine el-Abidine Ben Ali. Bouazizi allait mourir trois semaines plus tard, soit 10 jours avant que Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans, démissionne. Toutefois, on considère que le geste de Bouazizi a joué un rôle essentiel dans l’éclatement de la révolution en Tunisie, ayant ouvert les portes au Printemps Arabe.
Corina Cristea, 05.07.2013, 13:23
Deux ans plus tard, les protestations dans des dizaines de villes de Turquie semblent copier le modèle des mouvements populaires du Printemps arabe, ayant évincé plusieurs régimes autoritaires du Moyen Orient. En Turquie aussi, le nombre des participants aux protestations se monte à des dizaines de milliers, les mécontentements des classes moyennes et inférieures couvent depuis un certain temps, les réseaux de socialisation jouant un rôle important dans l’organisation des manifestations.
Le lecteur d’université Eugen Lungu s’attarde sur le rôle joué par ces réseaux de socialisation : « Si on prend en compte les ingrédients ayant favorisé le déroulement de ces révoltes populaires dans le monde arabe, on pourrait dire que ces dernières furent les premières à être extrêmement avantagés par les réseaux de socialisation, par Internet et la téléphonie mobile. En 1989, les citoyens d’Europe Centrale et de l’Est ne pouvaient pas recourir à Internet. Toutefois, l’histoire mentionne que, bien qu’il soit un espace traditionaliste et moins développé d’un point de vue économique par rapport aux autres régions du monde, le monde arabe a été soumis à ces forces de la globalisation, où Internet est bien développé. Internet a représenté un facteur extrêmement favorisant de ces révoltes aussi bien en Libye qu’en Egypte ou en Syrie, vu qu’il a permis de faire passer des messages par le biais des réseaux de socialisation ; c’est ainsi qu’un nombre très élevé de personnes se sont réunies place Tahrir ou dans d’autres places de la ville et qu’on est parvenu à coaguler des forces sociales importantes, des forces qui se sont avérées décisives dans le renversement des régimes autocratiques. »
Le rôle favorisant joué par les moyens modernes de communication tels Facebook et Twitter est confirmé aussi par la réaction des autorités de plusieurs pays confrontés à des protestations, qui ont bloqué l’accès à ces réseaux ou bien à Internet dans son ensemble. En outre, l’accès des médias internationaux a été sévèrement limité, les reporters de plusieurs stations étrangères en zone de protestations étant menacés, voire retenus par la police.
Par Printemps arabe on entend la série de contestations dans plusieurs pays dirigés par des régimes totalitaires du Moyen Orient et d’Afrique du Nord à compter de la fin 2010.
Eugen Lungu parle des conséquences du Printemps arabe : « Les premières conséquences, je dirais qu’elles sont au niveau intérieur, au sens où le changement de ces régimes autocratiques ouvre la voie de la modernisation des sociétés en question. Les Egyptiens, les Libyens, les Syriens rêvent de sociétés plus évoluées. A l’heure actuelle, Internet ne fait que les connecter à ce qui se passe dans le monde moderne, occidental, dans le monde civilisé. Par conséquent, une première conséquence serait le début de la modernisation de ces sociétés, leur voie vers la démocratisation, malgré les controverses autour de la capacité de ces sociétés majoritairement islamiques à parcourir toutes les étapes de la démocratisation, selon les modèles démocratiques consacrés dans l’espace occidental. Une autre conséquence, c’est le problème de la sécurité. Je dirais que ce changement spectaculaire qui a eu lieu au Proche Orient et en Afrique du Nord pose de nombreux problèmes aux spécialistes de sécurité. Il s’agit d’un repositionnement des failles géopolitiques ».
Quant aux causes qui ont généré les révoltes populaires dans le monde arabe, une série d’auteurs insistent sur la dimension économique, d’autres mettent en avant la dimension politique et d’autres invoquent des aspects géopolitiques et d’autres encore incluent dans cette équation le facteur religieux, affirme le professeur Lungu. Et pourtant, ajoute-t-il, il ne faut pas oublier non plus que les régimes autocratiques et dictatoriaux du monde arabe ont survécu pendant des décennies. D’ou le désir inévitable d’un changement, d’une modernisation. Où se trouve la Turquie dans ce paysage ? Ce qui s’est passé maintenant en Turquie reflète en quelque sorte un certain mécontentement d’une partie de la société turque et dans ce cas je pense notamment aux sympathisants des partis laïcs, le côté kémaliste de la société turque.
Bien entendu, même dans les évolutions de Turquie, les moyens de communication et les réseaux de socialisation ont eu un rôle essentiel dans le déclenchement des protestations populaires, comme dans tous les pays qui ont connu le Printemps arabe et même en Iran.
Cette caractéristique essentielle de la société moderne fait que les révolutions ne ressemblent plus à un simple changement, mais qu’elles continuent comme une évolution accélérée de l’état de la société, le tout communiqué en direct et avec la possibilité d’une réaction immédiate, transformant tout citoyen, y compris celui des sociétés autarciques ou des dictatures, de manière à ce qu’il ne soit plus seul et isolé dans son coin, et soumis à la répression. Par la communication et l’information, par Internet et la téléphonie mobile, nous devenons tous les citoyens d’un monde global…(trad.: Alexandra Pop, Alex Diaconescu)