Double célébration de l’écrivain roumain Urmuz
L’année 2023 est doublement
anniversaire pour le monde littéraire roumain: deux célébrations consacrées à Urmuz,
un des écrivains roumains les plus étranges mais aussi les plus influents – le
cent-quarantième anniversaire de sa naissance et le centenaire de sa mort.
Christine Leșcu, 09.04.2023, 10:00
L’année 2023 est doublement
anniversaire pour le monde littéraire roumain: deux célébrations consacrées à Urmuz,
un des écrivains roumains les plus étranges mais aussi les plus influents – le
cent-quarantième anniversaire de sa naissance et le centenaire de sa mort.
Né en 1883, Urmuz a produit une œuvre non-conformiste
qui annonce le dadaïsme, le surréalisme et le théâtre de l’absurde et dont
l’influence s’est étendue jusqu’au post-modernisme contemporain. Cependant, sa
notoriété posthume est bien loin de sa vie très discrète, conclue tragiquement
par un suicide. Le mathématicien Gheorghe Păun, un passionné de littérature et
de l’œuvre d’Urmuz, développe la biographie de l’écrivain dont le nom retenu
dans les registres d’État civil était Demetru
Dem. Demetrescu-Buzău: Il est né il y a 140 ans à Curtea-de-Argeș,
le jour du 17 mars, selon le calendrier julien. Ce qui explique la célébration
du 30 mars. Son père, le médecin Dimitrie Ionescu-Buzău, travaillait à
l’hôpital et enseignait aussi au Séminaire théologique de la ville. Urmuz a
seulement passé environ cinq ans à Curtea-de-Argeș, car la famille déménage à
Bucarest en 1888. Dans la capitale, il est élève au Lycée « Gh. Lazăr »,
où, chose très intéressante, étudiaient aussi les futurs écrivais Vasile
Voiculescu et George Ciprian, tous les deux nés dans la ville ou la région de
Buzău, tout comme, paraît-il, le père d’Urmuz. Voiculescu et Ciprian racontent
dans leurs mémoires les facéties prodiguées ensemble à l’époque de leur
jeunesse.
Le caractère anxieux du futur
écrivain l’a empêché de trouver sa place dans la société et la culture de son
époque. Gheorghe Păun raconte:
Il a fait une année de médecine, poussé
par son père, mais il n’a pas réussi à tenir. Il a ensuite fait des études de
droit et il a été juge dans plusieurs communes des départements d’Argeș et de Dâmbovița,
et aussi dans la région de Dobroudja. Il a fini comme greffier à la Haute Cour
de Cassation, à Bucarest. Il voulait absolument vivre dans la capitale. Il
était amoureux de la musique, il faisait du piano depuis son plus jeune âge, sa
mère chantait. Selon sa sœur, il avait commencé à écrire en 1907-1908. Ses
textes, il les envoyait à Ciprian, qui les lisait ensuite devant les clients
des cafés bucarestois. L’avant-garde roumaine et celle européenne étaient en
train de naître. Et Urmuz était indéniablement au courant de bien des choses.
Dommage qu’il mourût trop tôt. Il s’est suicidé en 1923 pour des raisons qui demeurent
obscures, mais il existe tout de même quelques explications plausibles. Selon
les informations auxquelles j’ai eu accès, il aurait été malade. Ciprian
lui-même affirmait qu’Urmuz risquait de paralyser. Pourtant, il est tout aussi vrai que le suicide était devenu
une sorte de mode dans les milieux avant-gardistes de l’époque. Ils ont été
plusieurs à le faire ou essayer d’y arriver. Urmuz était aussi, probablement,
dépressif et intimidé par l’autorité paternelle depuis son enfance.
Personnellement, je ne crois pas que cela ait été l’élément décisif, mais
plutôt la maladie dont on parle.
Dans le monde littéraire, le poète
Tudor Arghezi fut le seul à avoir reconnu le talent d’Urmuz quand il était
encore vivant, publiant en 1922 quelques textes dans la revue « Cuget
românesc », que le poète dirigeait à l’époque. Les deux textes furent « Algazy & Grummer » et « Ismaïl
et Turnavitu », que leur auteur avait constamment
ciselés jusqu’au dernier instant de sa vie, raconte Gheorghe Păun: Il se plaignait de la vie ennuyeuse
qu’il menait en tant que greffier. Il voulait à tout prix faire de la musique
et d’ailleurs il a étudié une année au Conservatoire. Ses partitions se sont
malheureusement perdues. Il vouait un respect absolu au texte, dont il
produisait plusieurs dizaines de variantes, selon l’écrivain également
avant-gardiste Sașa Pană. La personnalité d’Urmuz est difficile à cerner. Il
avait de vastes connaissances et il savait parfaitement ce qu’il valait. Il éprouvait
un respect absolu au texte, jusqu’à la moindre virgule. Arghezi, qui l’a
publié, racontait qu’Urmuz se rendait à l’imprimerie durant la nuit pour
vérifier si les virgules étaient placées aux bons endroits. Ce qu’il créait
était différent des morceaux dadaïstes de Tristan Tzara, qui ne faisait
qu’extraire les mots d’un bonnet pour les écrire sur une feuille de papier.
Urmuz fut découvert après sa mort par les
avant-gardistes de l’entre-deux-guerres, une partie de son œuvre ayant été
publiée, dans les années 1920, dans la revue Contimporanul, d’Ion Vinea et Marcel Iancu. Une décennie
plus tard, les écrivains Sașa Pană et Geo Bogza ont publié dans la revue UNU la
plupart des textes d’Urmuz, que la sœur de l’auteur leur avait donnés. Mais de
nombreux autres textes se sont perdus ; néanmoins, ceux qui restent
suffisent largement pour donner à Urmuz un statut jamais imaginé et reconfirmé
après la révolution de 1989. Pourtant, le régime communiste avait supprimé des
traces biographiques de l’écrivain, telles sa maison familiale, ajoute Gheorghe
Păun: La maison n’existe plus que sur une
seule image récupérée à partir de photos partielles et reconstruite sur
ordinateur. L’immeuble a été démoli en 1984, pour laisser la place à un autre,
à plusieurs étages. Évidemment, Urmuz n’a pas été visible avant la Révolution. Jusqu’il
y a deux ou trois années, peu de gens de Curtea de Argeș savaient quoi que ce
soit sur Urmuz. Aujourd’hui, ils en sont beaucoup plus nombreux, car une belle
plaque en bronze a été fixée sur le mur extérieur de ce nouvel immeuble, en
souvenir de la maison natale de l’écrivain. À Curtea de Argeș, on trouve
actuellement aussi un bar « La Urmuz/Chez Urmuz », où une plaquette
avec des textes d’Urmuz est étalée sur une table, pour les amateurs de lecture.
Parmi les
textes posthumes d’Urmuz, Les Chroniqueurs, L’Entonnoir et Stamate, Fuchsiada
et Le Voyage à l’étranger sont les plus connus.
« Pâlnia și Stamate/L’Entonnoir et Stamate » a été traduit
en 23 langues. (Trad. Ileana Ţăroi)