L’art et la révolution – le peintre Constantin Daniel Rosenthal
Ses œuvres figurent dans les manuels d’histoire et de nombreuses générations les ont admirées et se sont imprégnées des idéaux qu’elles expriment. Deux sont ses toiles les plus connues : « La Roumanie brisant ses chaînes sur le Champ de la Liberté », réalisée en 1848, et « La Roumanie révolutionnaire », réalisée en 1850. Elles ont eu une influence considérable sur l’idée – moderne à l’époque – de création de l’Etat unitaire et de la nation roumaine. Constantin Daniel Rosenthal a vu le jour en 1820 à Pest, en Autriche-Hongrie. Bien que né dans une famille de marchands juifs qui parlaient le hongrois et l’allemand, il a consacré sa vie aux aspirations nationales roumaines.
Steliu Lambru, 17.01.2021, 15:04
Il est mort à l’âge de 31 ans, dans une prison de Pest, après avoir été arrêté par les autorités autrichiennes pour espionnage et incitation à des activités révolutionnaires. Il a fait des études d’art à Vienne et il a adhéré aux idées révolutionnaires radicales. Selon les historiens de l’art, Rosenthal serait arrivé à Bucarest vers l’année 1842, pour des raisons demeurées obscures. A Vienne, il semble s’être lié d’amitié avec le peintre roumain Ion Negulici, qui allait participer activement à la révolution de 1848 à Bucarest. Dans la capitale de la principauté de Valachie de l’époque, Rosenthal fréquente les cercles révolutionnaires radicaux, représentés par les libéraux francophiles menés par le journaliste et homme politique C.A. Rosetti. Les deux toiles mentionnées furent la plus importante contribution de Rosenthal à la révolution roumaine. La femme qui lui a servi de modèle a été la célèbre Mary Grant, d’origine écossaise, devenue Maria Rosetti par son mariage avec C.A. Rosetti.
Personnalité remarquable, douée d’une énergie débordante, Maria Rosetti incarnait, dans les deux toiles, la beauté de la Roumanie et sa détermination à se forger un nouveau destin. Dans « La Roumanie révolutionnaire », elle porte une blouse roumaine et un collier de pièces d’or brille sur sa poitrine blanche. Un ample voile de gaze spécifique du costume traditionnel roumain couvre ses cheveux noirs luisants et elle tient entre ses mains le drapeau tricolore. Maria Rosetti comme symbole la Roumanie révolutionnaire faisait partie de l’iconographie de l’époque, où souvent une jeune femme incarnait les idéaux politiques et sociaux.
L’historien de l’art Adrian-Silvan Ionescu résume la contribution de Rosenthal à l’imaginaire politique et révolutionnaire roumain de 1848. Inspiré par ses sentiments patriotiques, dans sa toile « La Roumanie brisant ses chaînes sur le Champ de la Liberté », Rosenthal a illustré impeccablement le mouvement révolutionnaire roumain. Cette peinture de petites dimensions a été lithographiée et distribuée aux masses populaires, contribuant à perpétuer les nouvelles idées de l’époque. Il faut également noter que Rosenthal a pris pour modèle Maria Rosetti, qui était écossaise. Il est très amusant de constater que la Roumanie a été représentée par une Ecossaise – mais cette Ecossaise était mariée à C.A. Rosetti et elle avait le cœur roumain.
Comme toute ville en train de se moderniser, Bucarest était en pleine effervescence durant la première moitié du 19e siècle. Eminemment orientale jusqu’en 1800 et sans monuments publics, la ville de Bucarest était qualifiée de marginale par les voyageurs étrangers du point de vue des conditions qu’elle offrait et de la qualité de la vie de ses habitants.
Le 23 juin 1848, dans l’ancienne cour de la mairie, sur l’emplacement actuel du Musée des collections d’art, avenue de la Victoire, fut placée la statue « La Roumanie libérée », réalisée par Constantin Daniel Rosenthal. Le journal révolutionnaire « Pruncul român » (« L’enfant roumain ») en donnait la description suivante : « Le monument représente une femme enveloppée dans une toge, une couronne de lauriers dans ses cheveux longs, qui lui tombent sur les épaules. A ses poignets, on voit les restes des chaînes qui l’avaient tenue prisonnière. Dans sa main droite, elle tient un long bâton qui se termine par une croix, dans sa main gauche, elle tient une balance, symboles de la foi et de la justice. Un de ses pieds écrase les ennemis, représentés par un serpent » . Dans le même journal, C.A. Rosetti décrivait la démolition de la statue : « La statue représentant la Roumanie libérée, portant la balance et la croix, symboles de la justice et du christianisme, qui se trouvaient dans la cour de la mairie, fut démolie sur l’ordre de M. Emanoil Băleanu. Cet acte de vandalisme, il l’accompagna de mots si méchants et ignobles que notre plume refuse d’en noircir le papier. Le socle fut également démoli, sans respecter le droit de propriété » .
Adrian-Silvan Ionescu explique. Peu nombreux sont ceux qui savent que Rosenthal a été le premier sculpteur de monuments publics de Roumanie. Il a réalisé cette statue de la Liberté, installée Place de la mairie, sur l’actuelle Avenue Victoria. La statue était pourtant faite d’un matériel périssable : le plâtre. Au moment où le gouvernement provisoire s’est réfugié en Transylvanie, fuyant les Turcs, la statue a été démolie par les réactionnaires. Elle resta debout quelques semaines et ce fut tout. En 1849, une année après la révolution, cette sculpture a été reproduite dans les pages de la revue « Illustrirte Zeitung » de Leipzig, très probablement d’après un dessin de Rosenthal. Celui-ci parlait très bien l’allemand, son oncle était le rédacteur d’une revue de langue allemande de Buda. Il était donc en contact avec le monde de la culture et avec la presse européenne. Rosenthal a été à la fois un révolutionnaire et un artiste. Il a été dévoué à son art, fin connaisseur des physionomies, de la psychologie humaine et un excellent observateur du caractère roumain. Il a même souhaité être roumain, il s’est toujours considéré Roumain, en dépit du fait qu’il ne parlait pas le roumain. Et il est devenu roumain non seulement pour avoir reçu la nationalité, mais aussi et surtout par son œuvre.
Constantin Daniel Rosenthal a été le Juif, le Magyar et le Roumain qui a fait siennes les idées de son temps, leur a consacré sa vie et les a représentées à travers son art. La révolution fut, sans doute, une d’entre elles. (Trad. : Dominique)