Prolog, une résistance silencieuse née sous le communisme
En 1985, en pleine Roumanie communiste, alors que l’espace public se fermait progressivement à toute expression artistique authentique, cinq peintres ont décidé de faire de l’art une forme subtile de résistance.

Eugen Cojocariu et Ion Puican, 18.05.2025, 10:36
L’art, une forme de résistance
En 1985, en pleine Roumanie communiste, alors que l’espace public se fermait progressivement à toute expression artistique authentique, cinq peintres ont décidé de faire de l’art une forme subtile de résistance.
Paul Gherasim, Constantin Flondor, Horea Paștina, Cristian Paraschiv et Mihai Sârbulescu ont fondé le groupe Prolog, aujourd’hui considéré comme la plus ancienne communauté artistique encore active dans les beaux-arts roumains. Leur première exposition, Floarea de măr (Fleur de pommier), inaugurée cette même année à la galerie Căminul Artei de Bucarest, n’était pas simplement un événement plastique : elle affirmait une vision de l’art comme acte méditatif, enraciné dans le silence, l’introspection et la contemplation. Le nom même du groupe – Prolog – évoque une ouverture vers la création, le commencement, le sens. Au fil des décennies, le groupe a évolué. Après le décès de Paul Gherasim en 2016, l’artiste Ion Grigorescu a rejoint le noyau fondateur. Autour d’eux, des artistes confirmés et des collaborateurs fidèles ont enrichi la dynamique du collectif, sans jamais lui imposer de programme rigide ou de manifeste. Leurs expositions, en Roumanie et à l’étranger, ont témoigné d’un engagement constant : faire de la peinture un lieu d’attente et de présence, à rebours de la production spectaculaire.
Un art de la contemplation
Prolog n’a jamais été un collectif ordinaire. À travers leurs œuvres, ses membres explorent la lumière, la nature et le temps dans une quête discrète du sens. Pour eux, peindre revient à écouter plus qu’à s’imposer, à traduire l’invisible dans des formes visibles.
Le peintre Constantin Flondor, membre fondateur du groupe, revient sur l’essence de cette démarche qui a uni le groupe tout au long de ses 40 années :
« Comment dire : structure ou caractère ? Ce qui caractérise le groupe Prolog, c’est l’hommage que nous rendons à la nature. En tout cas, c’est ce qui nous a tous unis. Je pense que la longévité est définie par le premier critère de ce groupe –l’amitié. Elle a été suivie par la nature, la peinture, et les trois dans l’esprit de la foi. Mais l’amitié ne se construit pas en un jour, ni en deux d’ailleurs. Une fois l’amitié commencée, et si elle s’approfondit, elle peut durer des années. C’est la première condition. La deuxième, c’est que ce groupe, qui n’est même pas un groupe d’ailleurs, n’a pas établi de programme. Nous devons réaliser X, Y, Z oeuvres. Nous avons un algorithme que nous devons remplir et une fois qu’il l’est, le groupe meurt. Non. C’est sur cet amour, plus ouvertement, plus mystérieux, pour la nature et les dons que Dieu nous a donnés sur terre. »
Cette année, la Galerie « Romana » de Bucarest a célébré les 40 ans du groupe par une exposition consacrée à Paul Gherasim, à l’occasion du centenaire de sa naissance. Une manière de saluer une œuvre discrète mais majeure, et une amitié hors du commun.
Sever Voinescu, rédacteur en chef du magazine culturel Dilema Veche, résume l’originalité de Prolog avec finesse :
« Le groupe Prolog est un groupe paradoxal… C’est un groupe qui vit depuis longtemps, 40 ans pour être exacte. Cela fait 40 ans qu’il existe et qu’il fonctionne, mais à sa manière, qui est très intéressante. Chacun d’entre eux a une personnalité très distincte. Ils sont très différents les uns des autres. Paul Gherasim a eu l’extraordinaire intuition de leur donner une formule il y a 40 ans : Allons tous peindre dans le jardin. Ils ont pris leur chevalet, sont sortis en plein air et se sont mis au travail. Et chacun a travaillé selon sa personnalité, selon son style, selon son âme. Ils ont fait des choses très différentes et pourtant, d’une certaine manière, ils parlent de la même chose et c’est pour cela que je crois que ce qui les maintient ensemble, ce n’est pas un programme, ce n’est pas un but, ce n’est pas, comment dire, la joie d’une solidarité qui fait que chacun se sent plus fort. Pas du tout. C’est l’esprit. Ce qui les tient ensemble, c’est l’esprit. »
Une œuvre dans la durée
Paul Gherasim, figure centrale du groupe, était reconnu pour son humilité autant que pour la rigueur lumineuse de ses œuvres. Son ami et collègue Constantin Flondor évoque sa mémoire avec émotion :
« Les mérites de Paul Gherasim ne sont pas entièrement connus, précisément parce qu’il était un homme modeste, réservé, sans esprit offensif, mais aussi parce qu’il était notre ami et conseiller le plus proche. Il était aussi le plus âgé d’entre nous. Il est intéressant de constater que dans le groupe Prolog, tous les dix ans environ, nous avons un représentant : Paul Gherasim, qui aurait eu 100 ans aujourd’hui. Je suis de dix ans son cadet, et j’aurai 90 ans l’année prochaine. Suivraient ensuite Paștina, de dix ans son aîné, Mihai Sârbulescu avec Paraschiv et ainsi de suite. Il est intéressant de constater qu’entre les générations, avec une différence de quarante, presque cinquante ans, il y a des différences, une communion très forte et une relation très étroite. C’est certainement lui qui a été à l’origine de notre rencontre à Tescani, vers 1985. »
À l’ère du numérique et de la consommation rapide de l’image, le groupe Prolog continue de proposer une autre voie : celle d’un art enraciné dans le silence, la lenteur et l’écoute. Une forme d’être au monde, plus qu’un simple geste artistique. (trad. Charlotte Fromenteaud)