Le danger de l’exceptionnalisme et l’importance des contextes d’apprentissage.
a Vizurești, un village du département de Dâmbovița, dans le sud de la Roumanie, Ionela Pădure et son mari créent des conditions d'apprentissage et de développement pour les enfants roms et pas seulement, directement dans le jardin de leur maison

Iulia Hau, 23.04.2025, 11:00
Depuis 1971, le 8 avril marque la Journée internationale des Roms. Bien que les Roms représentent la deuxième plus grande minorité ethnique de Roumanie, les sociologues s’accordent unanimement à dire que les chiffres officiels ne reflètent même pas approximativement le nombre total de citoyens Roms dans le pays.
La plupart des articles et reportages sur les Roms illustrent soit les niveaux de discrimination et de ségrégation auxquels les membres de cette communauté continuent d’être soumis, soit le nombre croissant de personnalités roms de premier plan.
Entre temps, à Vizurești, un village du département de Dâmbovița, dans le sud de la Roumanie, Ionela Pădure et son mari créent des conditions d’apprentissage et de développement pour les enfants roms et pas seulement, directement dans le jardin de leur maison. Selon Ionela Pădure, jusqu’à récemment, la plupart des études sur les Roms étaient réalisées par des personnes extérieures à la communauté. Cependant, ces dernières années, de plus en plus de personnes issues de la communauté rejoignent les rangs de l’élite intellectuelle, en tant que sociologues, historiens ou artistes, et s’assoient à la table des discussions. Ils apportent cette perspective personnelle sans laquelle les changements politiques ne peuvent avoir d’échos pratiques dans la vie quotidienne.
Avant de rentrer définitivement en Roumanie et de fonder le Centre de recherche et de documentation populaire Vizurești, Ionela Pădure a effectué ses études à l’étranger et a enseigné le français dans un collège en France. Elle estime néanmoins que le discours sur certains Roms jugés « exceptionnels » est tout aussi nuisible pour la communauté que le discours discriminatoire. Ionela Padure nous explique :
« De mon point de vue, quand on parle des Roms, on ne devrait pas dire : « il a dépassé sa condition », « il est une exception de la communauté rom »… Car je pense que cela nous fait plus de mal que de bien. Ces intellectuels que j’évoquais tout à l’heure, issus de ces communautés vulnérables, avaient un contexte. Je parle toujours de moi, comme le résultat de mes interactions avec les Roms et les non-Roms. Je veux dire, Ionela Pădure a eu la chance d’étudier à la Sorbonne parce qu’elle a rencontré des professeurs qui croyaient en elle plus qu’elle ne le faisait elle-même. Regardez (Nicolae) Furtună, sociologue, Rowena Marin, Cristian (Pădure), les professeurs de langue romani de premier rang, titulaires d’un doctorat. Regardez le professeur Negoi… Ces gens ont bénéficié d’un contexte, ils avaient d’autres personnes dans leur entourage qui les ont aidé à grandir. Ce qui se passe dans les communautés, c’est qu’en plus des problèmes socio-économiques, il y a toute une panoplie d’actes de racisme, qui se matérialisent par la discrimination. Et, pour surmonter ces difficultés, un effort supplémentaire est nécessaire, que certains font, d’autres pas. Mais s’ils ne le font pas, c’est-à-dire si vous n’avez pas la chance d’étudier à la Sorbonne, cela ne signifie pas que vous êtes moins bien, moins bon, que vous avez moins de valeur. Le succès est relatif. Et il me semble que lorsque nous parlons des communautés roms, nous devons souligner cette idée de diversité. Nous n’avons pas besoin d’atteindre un certain niveau de performance pour parler de nous-mêmes ».
Il est tout aussi important de faire circuler les récits des Roms « plus modestes », estime notre invitée. Par exemple, le cas de sa mère, qui sans avoir eu de performances académiques, était une femme très bien organisée, qui a élevé 6 enfants dans des conditions beaucoup moins favorables que celles d’aujourd’hui. Une raison de plus pour Ionela de célébrer le 8 avril 2025 aux côtés des membres de l’organisation féministe rom E-romnja, aux côtés des femmes de cette ethnie issues d’autres communautés, d’âges différents, en discutant de leur vie quotidienne. A son avis, les expériences vécues pars ces femmes valent vraiment la peine d’être partagées pour qu’elles soient connues de tous.
Et ce n’est pas tout. Les enfants sont un autre centre d’intérêt de notre invitée. D’ailleurs, en rentrant de France, elle a passé deux ans à observer et à faire la connaissance des enfants du village de Vizurești, pour savoir ce qu’ils aimaient faire et ce dont ils avaient besoin. Ionela Padure raconte :
« Vizurești n’est pas mon village d’origine. Nous avons choisi de nous y établir une fois rentrés de France. Alors, nous avons pris le temps d’observer les enfants… Que font les enfants de Vizurești ? J’ai voulu connaître leurs compétences, dont certaines ne sont pas forcément validées par la société. Alors, tout simplement : que savent-ils faire ? Les filles dansent, alors que les garçons se battent. D’accord. Alors, on a besoin de développer leurs « soft skills » (leurs compétences émotionnelles). Pour ce faire, on va travailler avec ce qu’ils savent faire. Nous avons donc mis sur pied des cours de danse et des cours de boxe, en partant de cette idée : il faut développer les relations entre ces enfants, la manière dont ils gèrent leurs émotions, leur identité etc. Cela fait 5 ans que nous tentons de le faire et chaque cours que nous ajoutons à notre activité est inspiré de leurs besoins. Ces 5 dernières années, je ne leur ai jamais imposé quoi que ce soit. Bien au contraire. Je leur ai toujours demandé : de quoi avez-vous envie ? De faire du théâtre ? D’accord. On fait du théâtre. Pourquoi ? Parce qu’ils ont plein de choses à dire. (…) Par conséquent, on veut construire en partant des compétences qu’ils possèdent déjà, car notre mission est de construire des contextes pour les enfants et pas l’inverse. Voilà ce que nous sommes en train de faire ici, à Vizurești, sur le moyen et le long terme : on est en train de préparer de nouvelles générations de facilitateurs et de formateurs. Parce que si jamais je dois rentrer à Paris dans 5 ans, ces activités doivent se poursuivre, même après mon départ. »
Précisons aussi que les formateurs de Vizurești sont exclusivement des gens que les enfants du village connaissent. Déjà, les grands, qui ont plus d’expérience, commencent à s’occuper des petits. Et lorsqu’un enfant se sent valorisé pour ses compétences, son estime de soi est renforcée, explique Ionela Padure, la relation avec soi-même se développent de manière saine et naturelle et cela lui donne le courage d’élargir ses horizons.