Les Roumains de la diaspora, leurs enfants et le besoin profond de comprendre qui nous sommes
Parmi les Roumains des pays participant à une récente étude (Espagne, Italie, Allemagne, États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Israël, France, Autriche et Belgique), ceux du Royaume-Uni ont le plus souvent fait état de difficultés d'intégration dans leur pays d'accueil.

Iulia Hau, 21.05.2025, 11:00
La migration est un choc culturel que de nombreux Roumains de la diaspora ressentent de manière aiguë. Une étude sociologique publiée par le Département des Politiques pour la Relation avec les Roumains de l’étranger en 2023 a montré que les épisodes de discrimination fondée sur l’appartenance ethnique, ainsi que la peur de perdre l’identité nationale, figuraient parmi les risques et vulnérabilités les plus importants mentionnés par les Roumains de la diaspora. Parmi les Roumains des pays participant à l’étude (Espagne, Italie, Allemagne, États-Unis, Royaume-Uni, Canada, Israël, France, Autriche et Belgique), ceux du Royaume-Uni ont le plus souvent fait état de difficultés d’intégration dans leur pays d’accueil.
Un choc culturel aux répercussions profondes
Alina Dolea, maître de conférences à l’université de Bournemouth au Royaume-Uni, étudie les perceptions et les émotions des Roumains au Royaume-Uni depuis 2019. À la suite de nombreux entretiens et groupes de discussion, elle a conclu que les programmes dédiés aux Roumains des diasporas devraient être dotés de compétences et d’aptitudes en matière de navigation interculturelle, comme elle l’explique au micro de RRI :
« Les programmes de la diaspora visent à élargir notre compréhension de la culture roumaine, qui est très variée. Nous avons aussi de la diversité. Et mettre l’accent sur les compétences en matière de négociation interculturelle, car il existe un choc culturel. La migration est un choc culturel ; même si nous sommes allés en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre – ce sont d’autres cultures, d’autres pays, une autre histoire. Comment ne pas subir ce décalage lorsque l’on s’installe en Grande-Bretagne et que l’on constate une telle diversité ? La Grande-Bretagne est un ancien empire, avec une histoire coloniale. Il est donc évident que dans n’importe quelle école, dès le premier jour, vous observerez la présence d’enfants issus de différentes ethnies, parlant différentes langues, etc. Et si vous n’avez pas été préparé et par conséquent ne comprenez pas cela dès le départ… c’est donc ce que nous devons nous employer à faire. Nous devons mieux expliquer, mieux éduquer sur les droits et les responsabilités et sur le pays d’accueil – grâce à l’éducation culturelle, aux ressources culturelles. Chacun doit apprendre ce qu’est la culture roumaine, mais aussi la culture britannique. Comment s’est-elle formée ? Nous devons comprendre tout cela. »
Repenser l’éducation culturelle
L’étude souligne le potentiel d’amélioration que permettent les cours du week-end dans le programme scolaire britannique, qui pourraient diversifier leurs activités pour inclure, par exemple, des sujets tels que la contribution des Roumains (ou d’autres nationalités) à la culture britannique. En outre, elle insiste sur la nécessité de mettre en place des programmes culturels actualisés, plus pertinents pour les jeunes d’aujourd’hui et qui serviraient à renforcer une fierté nationale plus saine et fondée sur la compréhension de la diversité.
« Toutes les écoles britanniques organisent une fête de la culture nationale ou des festivals culturels et religieux, comme Divali et autres. Mes enfants ont aussi été invités à participer à une telle journée pour y représenter la Roumanie. Alors mon fils est venu me dire : j’ai fait des recherches sur Google et la première chose que j’ai trouvée c’est que les Roumains comptent parmi les plus grands consommateurs d’alcool en Europe. Mais ce n’est pas ça du tout ! Pour un exposé sur la Roumanie on peut parler du prince Etienne le Grand, du poète Mihai Eminescu, des symboles de la culture moderne, pas seulement du patrimoine … On peut parler de l’architecture roumaine, des monastères qui font partie du patrimoine de l’UNESCO, de ses forteresses ou bien du delta du Danube, il y tant de choses à dire…. »
Quant à l’identité nationale, Alina Dolea estime qu’il est important d’expliquer aux jeunes roumains nés au-delà des frontières nationales que les coutumes et les traditions roumaines sont très diverses, puisque la Roumanie s’est trouvé au carrefour de 3 empires qui ont laissé leur empreinte sur chacune de ses trois régions historiques. Plus encore, il faut accompagner les jeunes de la diaspora à cet âge où la recherche de sa propre identité est tout à fait naturelle. Alina Dolea :
« Notre diaspora est formée principalement des premières générations et ce n’est que maintenant qu’apparait la deuxième. Il s’agit bien des enfants qui font déjà leurs études à l’étranger, d’adolescents qui sont à la recherche de leur propre identité. C’est une période normale, en fin de compte, le moment de se poser des questions telles : qui suis-je ? Sans doute, lorsque l’on fait partie de la diaspora, cette question est plus complexe : suis-je Roumain ? Suis-je Britannique, Italien, Espagnol, Allemand ? La réponse à cette question acquiert une dimension nationale. En fin de compte, cette négociation autour de son identité nationale et de l’appartenance à un groupe est tout à fait normale. Mais on ne fait rien pour les aider dans cette démarche. Que pourrait-on faire ? Créer des ressources culturelles qui expliquent aux enfants leur propre histoire. Une ressource qui leur dise comment est la Roumanie : un pays qui abonde en richesses naturelles, qui a toutes les formes de relief… Mais au-delà de tout cela, il faut expliquer aux jeunes que ce pays s’est formé suite au croisement de trois empires dont les influences se voient de nos jours encore. Il faut leur dire aussi qu’il existe de la diversité ethnique en Roumanie et que le pays a traversé 45 années de communisme pendant lesquelles une forte politique de « roumanisation » a été menée, lorsque tous ceux qui étaient différents ont dû se « roumaniser » de manière accélérée. »
Autant de choses à expliquer aux jeunes nés au sein de familles roumaines parties à l’étranger après la chute du communisme. Disons pour terminer que la plupart des personnes ayant participé à cette enquête affirment ne pas vouloir rentrer en Roumanie. Parmi les raisons invoquées ils ont nommé la difficulté de se réadapter à la vie en Roumanie et l’absence de la perspective d’un avenir meilleur pour leurs enfants. (trad. Charlotte Fromenteaud, Valentina Beleavski)