One World Romania
C’est par le biais de toute une série d’événements et de projections de films documentaires que le festival One World Romania explore depuis 18 ans déjà les différentes formes de résistance communautaire. One World Romania est l’unique festival du film documentaire et des droits de l’Homme de Roumanie. Cinéma et Humanité.

Iulia Hau, 16.04.2025, 10:06
Penser les défis de notre époque
Dans une société de plus en plus polarisée, où les algorithmes encouragent et nourrissent la division des individus en bulles idéologiques qui ne se croisent pas, One World Romania invite au dialogue et à la compréhension. Le seul festival de films documentaires sur les droits de l’homme en Roumanie encourage les débats approfondis sur des sujets tels que l’inégalité sociale, les migrations et les mouvements extrémistes. Plus de 50 films documentaires sont projetés pendant 10 jours au cinéma du Musée du Paysan Roumain, au cinéma Elvire Popesco et au cinéma Union à Bucarest. Nombre d’entre eux sont suivis de débats approfondis avec des cinéastes, des membres de plateformes médiatiques et des ONG et des activistes de la société civile.
Le terme « légionnaire » ayant été l’un des mots les plus recherchés sur le dictionnaire roumain en ligne « Dex » l’hiver dernier à cause de l’émergence soudaine du candidat à la présidentielle Câlin Georgescu, le festival s’intéresse de près au fascisme, posé comme l’un des problèmes les plus urgents de notre époque. Une série de journaux de la période 1940-1950, décrivant les commémorations de la légion de l’Archange Michel et les massacres du siècle dernier, a été projetée et le public a pu participer à un dialogue avec les historiens Adrian Cioflâncă et Florin Muller. Le festival souhaite mettre en lumière ce que ce mouvement politique violent a réellement représenté et le rôle joué par la propagande cinématographique de l’époque.
L’intimidation et la réduction au silence des journalistes, des activistes et des organisations non gouvernementales (connue sous le nom de SLAPP) est un autre sujet clé débattu lors de la conférence One World Romania de cette année. SLAPP est un acronyme britannique désignant les poursuites stratégiques contre la participation publique, les menaces contre la démocratie et la liberté d’expression, auxquelles la Roumanie n’est pas étrangère. Des journalistes et des militants civiques roumains sont montés sur la scène du festival pour parler de leur expérience directe de ce phénomène.
Le cloisonnement comme risque démocratique
Andreea Lăcătuș, directrice de « One World Romania », évoque le thème de l’édition 2025 du festival, en partant de l’annulation des élections présidentielles roumaines de décembre 2024 en raison d’une ingérence électorale étrangère et de la manipulation des algorithmes TikTok en faveur d’un candidat :
« L’édition de cette année s’intitule « Tu m’entends ( ?) ». D’habitude, nous choisissons le thème de l’édition suivante à l’automne, mais après tout ce qui s’est passé pendant l’hiver avec les élections, nous avons réalisé que les choses auxquelles nous pensions ou la situation dans laquelle nous pensions que le monde se trouverait pendant cette période allaient changer radicalement. Nous voulions donc vraiment rester en phase avec notre époque et, tout en essayant de débattre – dans tout le stress, toute la panique et toute la désunion de cette période hivernale, nous nous sommes rendu compte que nous avions beaucoup de mal à nous connecter les uns aux autres. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons décidé de l’appeler « Tu m’entends ( ?) » – parce que nous avons continué à essayer de nous comprendre, de nous entendre, de nous connecter les uns aux autres. Dans toute cette agitation, nous avons réalisé qu’il ne s’agissait pas seulement de nous, mais de tout le monde. Nous avons donc décidé de mettre cela sur la table et de demander aux autres comment ils pouvaient faire face au fait qu’ils ne se sentaient pas entendus, pas écoutés et pas vus ».
Elargir le cercle des personnes concernées
Interrogée sur les défis auxquels l’équipe d’un festival indépendant comme One world Romania se heurte, Andreea Lăcătuș explique que les documentaires sur les droits de l’homme ne sont pas des produits médiatiques qui peuvent être exploités commercialement. Il est donc difficile de travailler avec des entreprises qui pourraient soutenir les efforts du festival. Il est également difficile de travailler avec les responsables politiques car, selon la directrice, très peu d’entre eux comprennent réellement ce genre cinématographique et son potentiel de changement dans la société.
Après dix ans d’expérience dans les domaines culturel et civique, Andreea Lăcătuș estime qu’il n’y a pas assez d’occasions pour les personnes intéressées par les droits de l’homme de se rencontrer et de dialoguer.
« Après quelques années de travail communautaire, en allant dans des endroits où il n’y a pas d’accès à la culture, j’ai réalisé certaines choses à propos de ce festival. En réalité, les personnes qui croient au respect et à la dignité humaine, qui sont actives dans ce sens, n’ont-elles-mêmes pas assez d’occasions de se rencontrer. On ne fait pas assez de choses pour elles non plus, et certainement pas assez de choses cohérentes. Donc, d’une part, notre festival s’adresse à ces activistes, à ces artistes engagés, et il me semble qu’en plus d’eux, nous touchons implicitement de nouveaux publics. Comme il s’agit d’un événement physique, nous avons aussi cet avantage : nous touchons des publics de cinéma, qui sont peut-être plus diversifiés ; il y a peut-être des publics plus conservateurs dans certains cinémas, différents, peut-être, de notre profil standard, pour ainsi dire. Ensuite, la façon dont nous continuons à toucher des bulles et des lieux différents est liée à nos collaborations avec les universités, les écoles, nous invitons des gens de la rue ; ici, nous sommes à la foire, au musée du Paysan roumain. Si le temps était plus clément, nous ferions des projections en plein air.
Depuis l’année dernière, les « Journées des lycéens » constituent un volet important du festival, consacré aux adolescents roumains et au dialogue intergénérationnel. Initialement conçu comme une initiative timide, le programme de l’année dernière a rassemblé 1100 jeunes, 11 ateliers gratuits, 6 projections de films et un concert. Mais l’une des initiatives les plus importantes du festival est sans doute l’organisation de rencontres entre lycéens et personnes âgées, organisées en collaboration avec des centres d’accueil de jour de Bucarest. (trad. Clémence Lhereux)