Le pèlerinage de Saint Ménas
Le mois de novembre est marqué, tant en Roumanie que dans d’autres pays où la tradition byzantine est respectée, par plusieurs fêtes à l’occasion desquelles des pèlerinages importants sont organisés. Nous découvrons l’histoire du Saint Ménas, un des saints les plus connus non seulement en Roumanie, mais aussi en Grèce et en Egypte. Histoire et légendes.
Andra Juganaru, 11.11.2025, 16:01
Originaire du delta du Nil, près de Memphis en Egypte, Saint Ménas (ca. 285-296) fut un soldat romain. De nombreuses sources écrites en grec ancien, copte, vieux nubien, éthiopien, latin, syriaque, et arménien attestent son l’existence, le parcours de sa vie et de sa mort, même si, comme c’est souvent le cas avec les personnages assez anciens, plusieurs éléments fournis par ces écrits sont contradictoires. Les sources les plus anciennes relatives à Saint Ménas remontent au VIIe et du VIIIe siècle. Il s’agit d’un martyrologe (c’est-à-dire un recueil des vies des martyrs), d’un Synaxaire (un recueil des vies des saints célébrés chaque mois) ainsi que d’un Encomium (c’est-à-dire un texte d’éloge), tous écrits en langue copte.
Selon l’Encomium, Ménas provenait d’une riche famille originaire de Nikiou. Selon le martyrologe et l’Encomium, il était soldat, en poste à Cotyaeus en Phrygie (aujourd’hui Kütahya en Turquie). A un moment donné, il a abandonné son unité pour se retirer dans le désert, où il a confessé sa foi chrétienne. Ménas est mort en tant que martyr, décapité, en pleine époque de persécutions, lancée par l’empereur Dioclétien en l’an 300, à Alexandrie, contre les chrétiens. La date conservée par les sources coptes était le 15 Hatur dans le calendrier copte, ce qui correspond au 11 novembre dans le calendrier grégorien. Selon l’Encomium, le régiment de Ménas a été transféré de Phrygie en Egypte pour protéger la ville de Mareotis. Son corps a été emmené comme relique vers ce lieu et chargé sur un chameau. Le refus ce chameau de se lever, tout comme d’autres chameaux sur lesquels le corps avait été déposé, a été interprété par les auteurs des sources comme un signe du désir du martyr de rester à Mareotis. C’est pourquoi, selon les sources, son corps y a été enterré. Aujourd’hui cet endroit est devenu la ville d’Abou Mena, sise à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest d’Alexandrie.
Un des premiers centres de pèlerinage chrétien s’y est développé dès le Ve siècle, grâce à la popularité que Saint Ménas a très tôt développée. Et pourtant, les nombreuses versions des sources sur sa vie ne font pas l’unanimité en ce qui concerne les débuts du culte de Saint Ménas. Selon l’Encomium, premièrement, Ménas a guéri un jeune infirme depuis sa naissance, qui a dormi sur sa tombe. Selon le Synaxaire, les premières guérisons faites par Saint Ménas ont concerné des moutons atteints de gale, guéris à l’aide un mélange d’eau et de terre provenant de la tombe du Saint Ménas. Par ailleurs, l’Encomium révèle qu’un petit oratoire en forme de tétrapyle a été élevé au-dessus de la tombe de Saint Ménas, suivi par la construction d’autres églises. La popularité croissante de Saint Ménas a entrainé le développement de ce centre de pèlerinage, qui est devenu un complexe tentaculaire et un exemple unique des débuts de l’architecture monastique chrétienne.
A part les bâtiments, de nombreuses ampoules à eulogie (des récipients destinés à l’huile sainte ou l’eau bénite qui étaient offerts comme petits dons aux pèlerins dans l’Antiquité Tardive) créées à l’époque représentaient le Saint Ménas entre deux chameaux, témoignant de l’histoire selon laquelle le souhait du martyr était de rester à Mareotis.
Une autre représentation de Saint Ménas le montre en prière entre deux dromadaires. Cette image est fixée aussi très tôt, car la scène se retrouve fréquemment sur les ampoules à eulogie. D’ailleurs, c’est au musée du Louvre que fut conservée une peinture murale exceptionnelle, datant des années 600 ou 800, provenant de l’ermitage des Kellia, où Saint Ménas este représenté en position orant, sans chameaux.
De nombreuses églises sont consacrées à Saint Ménas partout dans le monde chrétien. Parmi elles, mentionnons l’église Saint-Ménas de Štava en Serbie ou bien l’église Saint-Ménas de Dryopída, dans les Cyclades. Qui plus est, Saint Ménas est le saint patron de la ville d’Héraklion, en Crète. Durant l’occupation ottomane de l’île, les tensions religieuses entre Crétois et Turcs ont souvent conduit à des affrontements entre les musulmans et les chrétiens. Selon la tradition crétoise, le dimanche de Pâques 1826, lorsque les chrétiens assistaient dans l’église à la liturgique de la Résurrection, des musulmans sont venus les massacrer. Un officier âgé, à cheval, est intervenu, réussissant à calmer et à disperser la foule. Les chrétiens ont interprété l’apparition du cavalier comme un miracle du Saint Ménas et ont cru en fait que c’était lui qui était apparu aux Turcs. Depuis ce moment-là, Saint Ménas a été représenté dans l’iconographie crétoise comme un général romain à cheval. C’est aussi l’origine de son patronage de la ville de Heraklion. Une cathédrale érigée de 1862 à 1895 lui est dédiée.
A Bucarest aussi, une église bâtie au 18e siècle porte le nom Saint Ménas-Vergu. Elle est en fait située Rue C. F. Robescu ancien maire de Bucarest (1841-1919) et paroissien de cette église Saint-Mina-Vergu, qui l’a restaurée en 1900. Selon plusieurs sources, le nom Vergu (qui désignait le quartier pauvre où se situait l’église) provient de Vergo, grand portier en 1693 et grand échanson de 1695 à 1697. Selon d’autres sources, l’église Saint-Mina-Vergu a été construite par le boyard Vergu et Ancuța Doamna (1691-1730), la cinquième fille du Prince de Valachie Constantin. Envoyé par le prince Constantin Branconvan dans des missions diplomatiques des plus dangereuses à Constantinople, le boyard Vergu a fait don du terrain pour la construction de l’église et a contribué avec de l’argent à son édification. Résidant lui aussi dans ce quartier de Bucarest, l’archiprêtre Michel Cantacuzène (1640-1716) l’appelait « l’école de Vergu » en raison de sa proximité d’une école. Les inscriptions, l’une au-dessus de la porte d’entrée et l’autre de part et d’autre du porche, fournissent des informations sur sa construction. Selon elles, l’église a été fondée vers 1724-1725 par Daniil, métropolite de Hongrie-Valachie, Vergu Vartolomei et Ancuța.
L’église était initialement dédiée au Saint Démètre et aux saints archanges Michel et Gabriel. Endommagée lors des tremblements de terre de 1838, 1853 et 1940, et par l’incendie de 1874, elle fut reconstruite en 1874. C’est à l’occasion de cette reconstruction qu’elle a été également dédiée au Saint Ménas et qu’une partie des reliques et l’icône miraculeuse de ce saint y ont été transférées. Selon les différentes sources, vers les années 1850 les boyards Vergu de la deuxième génération des fondateurs de l’église, ont décidé d’envoyer un émissaire au monastère de Prodromu, sur le mont Athos, afin d’acquérir, avec deux mille pièces d’or, des reliques de saint Ménas, qu’ils ont placées dans un reliquaire, au sein de l’église qu’ils venaient de rénover.
Voilà pour ce martyr important pour le monde orthodoxe dans son ensemble que les Roumains commémorent le 11 novembre.