Diaspora : radiographie de la migration roumaine
Dans les années 1990, ce sont principalement les travailleurs qualifiés qui sont partis travailler à l’étranger, attirés par de meilleurs salaires dans la construction, l’agriculture ou les services. Aujourd'hui, près de 5,7 millions de Roumains vivent en dehors du pays.
Corina Cristea, 05.12.2025, 11:00
La migration roumaine représente aujourd’hui l’un des phénomènes sociaux les plus marquants des dernières décennies, et les chiffres ne font que confirmer son ampleur. En effet, près de 5,7 millions de Roumains vivent actuellement en dehors du pays, selon le « World Migration Report 2024 » des Nations unies, ce qui représente près d’un quart de la population de la Roumanie. Ce mouvement humain massif a profondément remodelé non seulement l’économie, mais également la structure sociale, démographique et culturelle du pays. Aussi, si dans les années 1970-1980, la migration avait surtout des raisons politiques, la chute du régime communiste a déclenché un vaste exode économique. Dans les années 1990, ce sont principalement les travailleurs qualifiés qui sont partis travailler à l’étranger, attirés par de meilleurs salaires dans la construction, l’agriculture ou les services. Au cours des deux dernières décennies, le profil migrant s’est encore diversifié : médecins, enseignants, ingénieurs, informaticiens, étudiants, chercheurs. La Roumanie est ainsi devenue un pays exportateur de main-d’œuvre et de compétences. Les motifs du départ sont variés : salaires faibles, manque d’opportunités, corruption, biocratie, besoin de stabilité et de prédictibilité. La dépopulation du pays, la baisse de la natalité et l’exode des compétences constituent aujourd’hui des motifs majeurs d’inquiétude, avertit Cristian David, fondateur et président de l’Institut des politiques migratoires. Il souligne toutefois qu’il ne s’agit pas d’un phénomène propre à la Roumanie :
« Le phénomène d’exode des compétences existe bel et bien, et il ne touche pas uniquement la Roumanie. C’est un phénomène régional, extrêmement difficile à contrer. Au-delà des particularités nationales, l’exode des compétences traduit surtout les écarts économiques entre États. Avec l’essor de la recherche, du développement et de l’innovation, les pays développés, qui ont beaucoup investi dans ces domaines, attirent les talents, pas seulement les Roumains. La Silicon Valley attire du monde entier. Les meilleurs s’en vont, et ils continueront malheureusement de le faire. »
Un phénomène aux conséquences multiples
Cette émigration massive ne manque pourtant pas d’entraîner des conséquences économiques et démographiques majeures. Dans de nombreuses régions, et notamment en Moldavie (est), en Oltenie (sud) et dans le sud de la Transylvanie (centre), la population active a chuté drastiquement. Certaines entreprises ne parviennent plus à trouver de travailleurs, et l’État fait de plus en plus appel à une main-d’œuvre venue d’Asie pour compenser le déficit interne. En termes simples, la Roumanie vieillit, et la pénurie de main-d’œuvre – y compris celle hautement qualifiée – devient l’un des problèmes les plus pressants de l’économie.
Pour réduire l’exode des compétences, la Roumanie doit investir massivement dans la recherche, le développement et l’innovation, valoriser son potentiel créatif et assurer une rémunération adéquate, affirme Cristian David. Il rappelle que la décision de revenir au pays est personnelle, mais qu’elle dépend fortement d’autres facteurs essentiels : le marché du travail, la santé, la justice, l’éducation ou encore les infrastructures. L’Institut des politiques migratoires propose plusieurs axes d’action, parmi lesquels un programme d’entrepreneuriat destiné aux Roumains de la diaspora, leur permettant d’ouvrir une entreprise en Roumanie. Cristian David souligne, à cet égard, l’implication de la plateforme ROUNIT dans ce projet :
« L’État roumain doit apporter un soutien concret, en facilitant l’accès au financement pour ceux qui souhaitent créer de petites entreprises. Je pense que les Roumains qui ont réussi en Italie et qui y ont acquis une solide expérience peuvent devenir des entrepreneurs performants en Roumanie. Ils ne doivent pas revenir pour être employés, mais pour devenir employeurs. Nous souhaitons former une catégorie d’entrepreneurs issus de la diaspora, capables de valoriser leur expérience et de la transmettre. »
De plus en plus de Roumains rentrent déjà au pays, après des années de travail à l’étranger, apportant avec eux des idées nouvelles, des méthodes de travail occidentales et une autre mentalité. Une autre piste avancée par l’Institut est l’implication des autorités locales dans des programmes de retour en milieu rural, notamment grâce à des mesures incitatives comme l’attribution de terrains pour la construction de logements. Car il devient crucial d’enrayer le déséquilibre de plus en plus prononcé entre les jeunes générations et les générations âgées – une problématique encore sans solution –, d’autant plus que la diaspora n’est depuis longtemps plus un groupe isolé d’émigrés. Des communautés solides existent en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, en France, aux États-Unis ou au Canada. Autour d’elles se sont formées des associations civiques, des écoles roumaines, des églises, des publications et des organisations culturelles. Une chose demeure toutefois certaine : du point de vue de la Roumanie, la dépopulation reste une blessure ouverte, un phénomène que même les sommes importantes envoyées chaque année par les Roumains de l’étranger ne peuvent compenser.
(Trad. Ionut Jugureanu)