35 ans depuis les premières élections post communistes
Les premières élections parlementaires et présidentielles qui ont eu lieu en Roumanie après la chute du régime communiste ont été organisées le 20 mai 1990. Ces élections, remportées haut la main par le Front de Salut National (FSN) et par son candidat, Ion Iliescu, avaient donné à l’époque la mesure de la soif de démocratie et de l’implication de gens. Retour.
Steliu Lambru, 21.07.2025, 10:31
Les premières élections de la Roumanie post-communiste : le 20 mai 1990
Les premières élections parlementaires et présidentielles qui ont eu lieu en Roumanie après la chute du régime communiste ont été organisées le 20 mai 1990. Ces élections, remportées haut la main par le Front de Salut National (FSN) et par son candidat, Ion Iliescu, avaient donné à l’époque la mesure de la soif de démocratie et de l’implication de gens.
Près de 86 % des électeurs se sont alors rendus aux urnes pour exprimer leur volonté. Aussi, lors des élections pour élire ce premier parlement, le FSN a remporté 67 % des sièges, l’Union Démocratique Magyare de Roumanie a obtenu 7,2 %, le Parti National Libéral 7 %, le Mouvement Écologiste de Roumanie et le Parti National Paysan Chrétien-Démocrate 2,5 % chacun. Ion Iliescu, candidat du FSN, est devenu président de la Roumanie pour une période de transition de deux ans, plébiscité à 85 % des voix, suivi de Radu Câmpeanu, le candidat libéral, qui a remporté 10,5 %, et de Ion Rațiu, candidat du Parti Paysan Chrétien-Démocrate, avec 4 % des voix.
Un nouveau pouvoir, composé en grande partie de communistes réformistes
Ces élections ont légitimé le nouveau pouvoir, composé en grande partie de communistes réformistes. Un pouvoir qui allait entamer un programme bien trop timide de réformes censées sortir le pays du marasme des années Ceausescu. Mais l’énorme déséquilibre de voix entre le pouvoir néocommuniste incarné par le FSN et les partis d’opposition, les partis historiques, actifs dans l’entre-deux-guerres et dissous par le régime communiste entre 1947 et 1989, s’explique par l’absence d’exercice politique de la société roumaine dans son ensemble pendant les 45 années de dictature communiste. Les Roumains réapprendront pas à pas la démocratie, après un demi-siècle de régime totalitaire, marqué par l’intolérance, la haine, la manipulation et la violence.
Souvenirs
Le Centre d’Histoire Orale de la Radiodiffusion roumaine a gardé des enregistrements des témoins de ces premières élections de la Roumanie postcommuniste.
Le professeur d’anglais Sorin Bottez, jeune militant libéral en 1945, devenu prisonnier politique sous le régime communiste, se souvenait en 2003 des espoirs qu’il nourrissait, lui et ceux qui avaient refondé le PNL en 1989, de ces élections du 20 mai 1990 :
« Nous espérions, d’abord et avant tout, que le président de notre parti, M. Câmpeanu, allait gagner la présidentielle. L’on était d’une grande naïveté, il faut le dire. Penser que le KGB, toujours actif et influent en Roumanie, allait permettre l’élection d’un mec comme Câmpeanu, c’était idiot. C’était sans tenir compte des infox, des fausses rumeurs répandues sur son compte. L’on pouvait apprendre les choses les plus invraisemblables, qu’il aurait tué sa sœur à Timișoara, ou qu’il possédait une maison d’aisance à Paris. C’était inouï, d’autant que ces âneries étaient colportées par la télévision publique, aux mains du pouvoir forcément. Une télévision dirigée par le camarade Răzvan Theodorescu, puis par Emanuel Valeriu, des instruments aux mains des intérêts russes. »
Dans une interview de 2003, Ion Diaconescu, président du Parti National Paysan, d’opposition, se souvenait des violences survenues durant cette première campagne électorale soldée par la victoire des néocommunistes :
« Des journalistes étrangers sont venus ici, des Français, chez nous, au siège du parti. Ils voulaient nous suivre en campagne électorale dans les zones rurales. Où pouvais-je les emmener, sachant que là où nous allions, ils nous attendaient avec des bâtons, des groupes prêts à en découdre. Aussi j’aperçois dans le hall un professeur, originaire de Dobrești, le village de Ion Mihalache, le cofondateur de notre parti dans la période de l’entre-deux-guerres. Je le désigne alors comme délégué, pour organiser la campagne du parti à Dobrești. Il nous invite chez lui, à Dobrești, où il allait justement célébrer une messe à la mémoire de Mihalache, mort dans les geôles communistes. Nous partons de Bucarest avec les journalistes français en deux voitures, je téléphone à Pitești et d’autres collègue du parti originaires du département nous rejoignent avec leurs voitures, et on part au cimetière de Dobrești où la messe devait avoir lieu. Là-bas, dans le village, il y avait une dizaine de personnes, nous étions une vingtaine d’invités. La cérémonie s’est déroulée sans incidents, nous avons prononcé quelques discours dans une petite église. En partant de l’église, nous avions laissé les voitures plus bas, à 100 mètres, car il était impossible de monter en voiture, le cimetière était perché sur une colline. À droite, un peu plus loin, il y avait le jardin et la maison de Mihalache. Et là, d’un coup, quatre femmes et un homme sont sortis de la cour de Mihalache, et ont commencé à nous jeter des pierres et à nous huer. Nous avons évité les pierres, les Français étaient restés bouche bée. Nous sommes montés dans les voitures et avons démarré. Le professeur nous a invité chez lui, il nous avait préparé un repas. Nous nous y sommes arrêtés et, pendant que nous étions chez lui, ceux qui nous avaient attaqués nous ont rejoint et ont commencer à jeter des pierres de l’extérieur, cassant les vitres de notre hôte. Et vous savez, en face, il y avait le poste de police. Mais les policiers s’en foutaient comme de l’an quarante. Nous y avons échappé de justesse. Une fois rentré, je raconte ça à Bucarest, et Corneliu Coposu, le président de notre parti me dit que, chez lui à Bobota, en Transylvanie, c’était pareil. Ion Puiu m’a dit que, chez lui, en Bucovine, c’était la même chose. Ion Rațiu a failli être battu à Buzău. Voilà comment s’est déroulée cette campagne électorale. »
En dépit des violences, de la désinformation et des exactions qui ont émaillé la campagne électorale, en dépit même des fraudes massives, les élections du 20 mai 1990 ont marqué un tournant dans la transition de la Roumanie d’un régime totalitaire vers la démocratie et l’Etat de droit. (Trad Ionut Jugureanu)