La Bibliothèque de l’Académie Roumaine entre 1948 et 1989
L’histoire de la Bibliothèque de l’Académie Roumaine épouse celle de l’institution-mère, et plus largement, celle du pays lui-même. Les périodes de prospérité ont alterné avec les temps sombres, affectant à la fois sa mission et le destin de ceux qui y travaillaient.
Steliu Lambru, 20.10.2025, 11:00
Détentrice de plus de 14 millions de pièces, la Bibliothèque de l’Académie Roumaine possède le plus précieux fonds documentaire du pays. Fondée en 1867, un an après la création de l’Académie Roumaine, elle a traversé, en près de 160 années d’existence, des périodes marquées tour à tour par les vicissitudes et les moments fastes de l’histoire.
Jusqu’en 1918, la Bibliothèque de l’Académie Roumaine fut le dépositaire des dons offerts par tous les amoureux du livre et du document, contribuant ainsi à la naissance de la plus importante institution culturelle de la Roumanie d’alors. Après 1918, avec la formation de la Grande Roumanie, la Bibliothèque de l’Académie prit une importance proportionnelle à celle du nouvel État, intégrant les archives, collections et fonds documentaires provenant des territoires récemment unis au pays. L’histoire de la Bibliothèque de l’Académie Roumaine épouse celle de l’institution-mère, et plus largement, celle du pays lui-même. Les périodes de prospérité ont alterné avec les temps sombres, affectant à la fois sa mission et le destin de ceux qui y travaillaient. Les historiens distinguent ainsi plusieurs étapes : tout d’abord celle des débuts, entre 1867 et 1918 ; Suivra la période de l’entre-deux-guerres 1918–1940 ; La période de la guerre et de l’instauration du régime communiste, de 1940 à 1948 ; Le régime communiste, période qui s’étend entre 1948 et 1989 ; Enfin, la période contemporaine, après la chute du régime communiste et l’avènement de la démocratie.
Récemment, l’institution a publié l’histoire de la Bibliothèque de l’Académie Roumaine, entre 1945 et 1989. L’historien médiéviste Ioan-Aurel Pop, président de l’Académie Roumaine, s’est exprimé à l’occasion de la parution du livre :
« L’Académie Roumaine fêtera l’an prochain ses 160 ans. Beaucoup ? Peu ? Qui peut le dire ? Face à l’éternité, c’est bien peu, mais dans la perspective de l’histoire de notre Etat moderne, c’est beaucoup et c’est fécond. Beaucoup pensent que la Bibliothèque de l’Académie est une institution distincte. Pour moi, la Bibliothèque est l’Académie elle-même, et l’Académie, c’est la Bibliothèque. En l’absence de cette richesse, qui représente le véritable trésor culturel de la Roumanie, nous serions plus pauvres. La Bibliothèque a vu le jour en 1867, un an seulement après la fondation de la Société Littéraire, ancêtre de l’Académie, reconnue par la loi de 1879 comme institution indépendante, censée célébrer les valeurs de la nation. »
Une institution récupérée et instrumentalisée par le régime communiste
La période couverte sur 1 868 pages par l’actuel ouvrage, de 1948 à 1989, fut sans doute la plus difficile des cent soixante années d’existence de la prestigieuse institution. Elle a marqué la suppression de l’ancienne Académie « bourgeoise » et son remplacement par l’Académie de la République populaire roumaine (à partir de 1948), puis par l’Académie de la République Socialiste de Roumanie (à partir de 1965 et jusqu’à fin 1989). Mais ce changement de régime marque surtout un changement de paradigme. Nombre de savants, membres de l’Académie roumaine d’avant 1948 seront exclus de la composition de la nouvelle Académie. Leurs livres disparaitront des rayons des libraires et des bibliothèques, et certains finiront même dans les prisons politique du régime communiste. Le successeur de l’Académie de la République populaire roumaine, l’Académie de la République socialiste roumaine, a suivi fidèlement les directives du Parti et de l’État socialiste, dans un climat de conformisme institutionnel généralisé. Ioan-Aurel Pop :
« Ces livres montrent qu’en dépit de la censure imposée par le pouvoir, certaines valeurs ont continué à être défendues. L’on se souvient des « livres interdits », devenus aujourd’hui accessibles à tous. Dans une société démocratique, nous ne combattons pas les livres, nous ne faisons pas d’index d’ouvrages interdits, bien que certains essaient encore, ici ou là, de le faire. C’est la marque de fabrique des régimes totalitaires. Oui, des livres furent tenus secrets, mais les bibliothécaires ont continué leur mission, fidèles à la tradition héritée de Ion Bianu. »
Le premier volume de cet ouvrage monumental aborde la transition entre l’ancienne et la nouvelle Académie, l’évolution des collections, la presse de l’époque, le fonds secret et l’activité bibliographique. Le deuxième volume traite de la formation des collections de manuscrits, documents historiques et ouvrages rares entre 1948 et 1989. Sur ses 656 pages, 637 sont consacrées à des fac-similés de documents entrés dans les fonds durant cette période, concernant à la fois l’histoire de la Roumanie et celle du monde. Le troisième volume réunit cinq autres thèmes : le cabinet des estampes, l’histoire de la photographie, le cabinet des cartes, celui de la musique, et enfin celui de la numismatique et de la médaille. Le dernier volet rend hommage à Constantin Orghidan, collectionneur et donateur majeur de la Bibliothèque de l’Académie. Des volumes sont richement illustrés.
Mais la pièce maîtresse du troisième tome est la reproduction d’une photographie panoramique de 1865, signée Carol Popp de Szathmári, intitulée « Panorama depuis la Tour Colțea », qui montre Bucarest tel qu’il était cette année-là : une image rare, de 3 mètres de long pour 30 centimètres de haut, conservée précieusement dans le Cabinet de photographie.
(Trad. Ionut Jugureanu)