Quel intérêt pour la culture dans la Roumanie post-pandémique?
C'est mieux qu'en 2021, nous sommes sur une pente ascendante mais nous n'avons pas encore retrouvé les niveaux de consommation de 2019.
Christine Leșcu, 04.12.2023, 13:48
En 2023, le Baromètre de la consommation culturelle fête ses 18 ans.
Cette
enquête importante est réalisée chaque année par l’Institut pour la recherche
et la formation culturelle, exception faite de la période pandémique pendant
laquelle la fermeture des institutions culturelles a rendu toute donnée
inexploitable. L’édition 2023 sur l’année 2022 montre justement que la réduction
des activités culturelles en 2020-2021 a produit des effets toujours visibles
aujourd’hui, les niveaux actuels en terme de consommation culturelle demeurant
en dessous des niveaux pré-pandémiques.
Ainsi, en 2019, 29 % des personnes
interrogées dans le cadre de l’enquête déclaraient aller au théâtre – contre 20
% en 2022, pour le cinéma on passe de 35 % en 2019 à 26 % en 2022 et de 38 % à 30 % en ce qui concerne les visites de musées, d’expositions
ou de galeries d’art. La seule augmentation enregistrée concerne la visite de
monuments historiques ou de sites archéologiques, plus 14 %.
Carmen Croitoru: C’est mieux qu’en 2021, nous sommes sur une pente ascendante mais nous n’avons pas encore retrouvé les niveaux de consommation de 2019.
Carmen Croitoru, directrice générale de l’Institut pour
la recherche et la formation culturelle détaille ces tendances.
« Nous avons néanmoins observé
que les tendances sont constantes. C’est mieux qu’en 2021, nous sommes sur une pente
ascendante mais nous n’avons pas encore retrouvé les niveaux de consommation de
2019. Il y a de toute évidence une orientation prépondérante vers le milieu
online et les espaces non-publics. Ceux qui ont découvert la consommation
culturelle individuelle dans les espaces privés renoncent difficilement à cette
habitude, parce que cela supposerait de se déplacer. Nous sommes toutefois
heureux de constater que les jeunes, c’est-à-dire les 18-25 ans sont plus
actifs et fréquentent beaucoup l’espace public parce qu’ils ont besoin de ce
type de socialisation, par le biais de la culture. Sinon, beaucoup de chiffres
de la consommation ont malheureusement fortement chuté. Mais, nous constatons
avec joie que les visites de sites patrimoniaux sont en augmentation constante.
Cela signifie que le patrimoine a enfin trouvé dans la conscience du public
roumain sa place, son importance, son image ».
Une préférence toujours croissante pour les produits culturels sur Internet et un grand manque d’intérêt pour la lecture
Entre 2019 et 2022, la croissance de la
consommation de produits culturels sur Internet est manifeste et il ne s’agit
pas uniquement des sites de films en streaming ou des plateformes de musique.
La lecture et l’achat de livres en ligne sont également à la hausse même si de
manière générale les Roumains continuent à très peu lire. Une autre donnée,
produite par l’Institut national de la statistique nous apprend que plus de la
moitié des Roumains n’ont lu aucun livre au cours des 12 derniers mois. Pour
expliquer ce chiffre, 35 % des répondants invoquent le manque de temps et 32 %
le manque d’intérêt pour la lecture. Le Baromètre de la consommation culturelle
confirme ce manque d’appétit et précise que la lecture de livres imprimés a
diminué de 9 % entre 2019 et 2022 tandis que celle de livres ou d’articles en
format numérique a augmenté de 11 %.
Des barrières sociales et financières
L’étude réalisée par l’Institut pour la recherche et la formation
culturelle identifie certaines barrières socio-financières dans l’accès à la
culture. Parmi celles-ci, on trouve la barrière très concrète de l’accès aux
lieux de culture : si pour aller au théâtre, au cinéma ou à la librairie, les
gens doivent marcher plusieurs kilomètres ou dépendent de transports publics
médiocres, alors ils renoncent tout simplement à s’y rendre. Or ces obstacles
peuvent être levés par des politiques publiques adéquates.
Si pour aller au théâtre, au cinéma ou à la librairie, les gens doivent marcher plusieurs kilomètres ou dépendent de transports publics médiocres, alors ils renoncent tout simplement à s’y rendre
C’est ce que nous
explique Anda Becuț-Marinescu, cheffe de service de recherche à l’Institut pour
la recherche et la formation culturelle.
« Les barrières
géographiques font référence au manque d’infrastructures dans certaines zones
géographiques. On parle de distinction ou de dichotomie rural-urbain, un
phénomène analysé par le Baromètre. Ces barrières ne s’arrêtent pas à la
dichotomie rural-urbain, il y a aussi les villes : petites villes versus
grandes villes qui sont des centres universitaires. Il y a des départements qui
ne disposent pas de certaines infrastructures, ce sont des barrières
géographiques. Il y a aussi des barrières financières bien entendu. Pour
certaines catégories sociales aux revenus modestes, l’acquisition d’un livre
représente une dépense prohibitive, nous considérons ces catégories sociales
comme vulnérables et les jeunes des familles défavorisés constituent un exemple
de groupe vulnérable. Il existe aussi des barrières liées à l’éducation
culturelles, qui relèvent de l’attitude et de la perception. A savoir de la
possibilité de décoder un message artistique d’une part et d’autre part de
l’attitude des gens qui n’ont pas été exposé à la culture étant petits et qui
ne réussissent pas à y accéder sans une intervention directe des institutions
culturelles ».
Carmen Croitoru: Nous voyons la génération actuelle qui est le résultat de l’ignorance du fait culturel qui a prévalu pendant 20-25 ans
Si le lien entre le niveau d’éducation et la proximité avec la culture est
évident, cette édition du Baromètre de la consommation culturelle met aussi en
évidence la relation entre la participation à des activités culturelles,
l’engagement civique et la compréhension des mécanismes démocratiques.
Consommation culturelle, confiance pour les réseaux sociaux, compréhension pour les mécanismes démocratiques
Carmen
Croitoru, directrice générale de l’Institut pour
la recherche et la formation culturelles décrypte cette relation.
« Plus leur consommation
culturelle est importante, plus les gens sont aptes à participer à une société
libre, à comprendre leurs droits mais aussi leurs obligations face à la
société. L’appartenance, l’identité, la tolérance, la confiance, l’inclusion,
les préoccupations civiques et la liberté sont autant de sujets sur lesquels
notre équipe de recherche à formuler des questions et les réponses sont assez
intéressantes, mais dans leur majorité paradoxales et inquiétantes. Par
exemple, pour parler de la confiance, il y a une confiance très faible envers
les informations circulant sur les réseaux sociaux et pourtant le pourcentage
de gens qui suivent les réseaux sociaux est plus élevé que pour les autres
canaux médiatiques. Les gens n’ont plus confiance en ce qui se dit à la
télévision, à la radio, dans la presse écrite, mais c’est une conséquence d’un
certain type d’approche de l’information. Je reviens à cette idée : la culture
vient avec l’idée de respect du citoyen, de sa liberté et de ses droits
culturels. Quelle confiance, quel horizon nous sommes en train de construire
pour les citoyens ?… cette question se reflète bien dans le Baromètre.
Nous voyons la génération actuelle qui est le résultat de l’ignorance du fait
culturel qui a prévalu pendant 20-25 ans. Et maintenant il faudrait au moins
qu’on fasse quelque chose pour les générations suivantes, pour ceux qui sont
jeunes aujourd’hui, au moins pour une partie d’entre eux, pour qu’ils
deviennent un peu plus actifs du point de vue culturel ».
Pendant la pandémie, le Baromètre de la consommation culturelle a été
remplacé par des études sur la participation à des initiatives ou des
évènements organisés online afin de garder le contact avec les autres à une
époque où toutes les habitudes ont été chamboulées. (trad. Clémence Lheureux)