Marianna Prysiazhniuk : une voix ukrainienne engagée en Roumanie
"Depuis le déclenchement de la guerre à grande échelle, la Roumanie a commencé à découvrir l’Ukraine, et l’Ukraine à découvrir la Roumanie."
Hildegard Ignătescu, 13.08.2025, 10:16
Originaire de Kyiv, Marianna Prysiazhniuk est journaliste, analyste politique, chercheuse et spécialiste en communication. Parlant couramment le roumain, elle a commencé par des études en sciences de l’éducation en Ukraine :
« Merci d’abord pour l’invitation. J’ai plusieurs diplômes : le premier en éducation, puis j’ai étudié à la faculté de psychologie. Ensuite, j’ai décidé de partir à l’étranger, et j’ai choisi la Roumanie. C’était une décision inhabituelle, car la plupart des Ukrainiens optent pour la Pologne pour une première expérience d’études à l’étranger. J’ai voulu éviter les chemins trop empruntés, pour vraiment apprendre. J’avais 26 ans à l’époque et j’étais très sérieuse dans mon projet d’acquérir de nouvelles compétences. Aujourd’hui, nous sommes nombreux ici et nous vous remercions pour tout ce que vous faites, pour l’aide humanitaire comme pour l’ouverture des universités roumaines aux étudiants ukrainiens. Pour moi, la Roumanie était déjà, avant la guerre, mon second pays. Elle l’est devenue aujourd’hui pour beaucoup d’Ukrainiens, et j’en suis heureuse. C’est un des effets positifs de cette tragédie, pour ainsi dire. »
Marianna Prysiazhniuk a poursuivi ses études à la SNSPA (École nationale d’études politiques et administratives de Bucarest), où elle a obtenu un master. Elle y est aujourd’hui doctorante en sciences politiques et relations internationales. Professionnellement, elle travaille depuis plusieurs années dans ces domaines : analyste pour le projet Atena en cybersécurité, coordinatrice du projet Delta, axé sur la coopération régionale entre l’Ukraine, la Moldavie et la Roumanie, elle active également au sein d’un think tank ukrainien, spécialisé dans la lutte contre les fake news, tant en Ukraine qu’en Roumanie. Elle collabore avec de nombreuses publications en Ukraine, en Roumanie et en République de Moldavie, et a reçu plusieurs prix de journalisme.
Lorsqu’on lui pose la question pour savoir comment et pourquoi elle est arrivée en Roumanie et la raison pour laquelle elle considère ce pays comme sa deuxième maison, elle nous répond :
« En vérité, je suis installée dans les trois pays : Ukraine, Moldavie, Roumanie. Tous mes projets tournent autour de ce qui se passe dans notre région, de nos intérêts communs ou divergents : développement régional, sécurité, résilience informationnelle. Je voyage beaucoup, mais je suis basée ici, en Roumanie, et aussi à Kyiv. Je ne m’attendais pas, en 2018, à devenir aussi attachée à ce pays. Il fait désormais partie de mon identité professionnelle. Je ne peux plus imaginer travailler sans la langue roumaine ou sans m’impliquer dans cette région. J’observe attentivement ce qui s’y passe en politique, et je suis honorée d’être la journaliste ukrainienne qui comprend – un peu – ce qui se passe ici, même si parfois, la complexité des évolutions dépasse parfois le savoir des journalistes roumains eux-mêmes. L’année écoulée, avec ses quatre campagnes électorales, en est un bon exemple. C’est mon quotidien. J’écris beaucoup, je travaille énormément, et je crois être la seule journaliste basée à Kyiv qui parle roumain et qui écrit sur la Roumanie. Je veux continuer dans ce domaine. J’aime ce pays. Pour moi, la Roumanie et cette région sont un terrain de bon voisinage, propice au développement des valeurs européennes, dont l’on parle beaucoup, mais que l’on applique trop peu. J’ai envie d’y investir mes efforts. »
Qu’est-ce qu’elle aime particulièrement en Roumanie ?
« J’aime énormément la langue roumaine. J’ai commencé à l’apprendre en 2018 à l’Université de Pitești, où j’ai suivi une année préparatoire très intense. J’ai étudié la langue pendant une année, et je poursuis aujourd’hui mon apprentissage avec une professeure en cours particulier. J’aime cet espace culturel, j’apprécie aussi l’attitude sociale face à certains phénomènes. La société roumaine n’est pas du tout conflictuelle, et cela me plaît. J’ai travaillé dans de nombreux pays, et lorsque les sociétés sont trop polarisées, émotionnelles, cela devient difficile sur le plan psychologique. Ici, c’est plus paisible. Je sais que je peux venir en Roumanie non seulement pour travailler, mais aussi pour me détendre, et ça me plaît beaucoup. C’est ma deuxième maison. »
Et qu’est-ce qui lui manque de l’Ukraine, sa « première maison » ?
« J’aime profondément mon peuple, son courage, sa force. Ce soutien mutuel, cette solidarité entre Ukrainiens me manque parfois. C’est quelque chose de très particulier dans notre mentalité. »
Y a-t-il quelque chose qui a changé depuis le début de la guerre ?
« Depuis le déclenchement de la guerre à grande échelle, la Roumanie a commencé à découvrir l’Ukraine, et l’Ukraine à découvrir la Roumanie. Quand je suis arrivée ici, personne ne pouvait citer cinq villes ukrainiennes. Aujourd’hui, les gens savent ce qui se passe à l’est, à l’ouest. Du côté ukrainien aussi, on connaît les zones d’accueil des réfugiés, les routes alternatives pour transporter le blé. Tous ces éléments techniques ont favorisé un rapprochement mutuel, et c’est une bonne chose. Nous devons profiter de cette dynamique pour approfondir davantage encore nos relations non seulement sur le plan politique ou économique, mais aussi culturel, humain, historique. » (Trad Ionut jugureanu)