Une nouvelle architecture de défense au sein de l’Union européenne
Pendant des décennies, le continent s’est reposé sur le parapluie américain et sur la protection offerte notamment par l’OTAN. Aujourd’hui cependant, cette forte dépendance aux ressources et à la technologie des États-Unis apparaît de plus en plus comme une vulnérabilité. D’où l’idée, de plus en plus évoquée, d’une autonomie stratégique européenne, non pas contre l’Amérique, mais pour un meilleur équilibre au sein de l’alliance occidentale.
Corina Cristea, 21.11.2025, 11:00
L’effort de l’Union européenne de repenser sa défense et son rôle stratégique survient dans un contexte mondial marqué par des tensions et des mutations géopolitiques, après plus de sept décennies de paix et de prospérité avant que la guerre n’atteigne ses frontières. L’imprévisibilité est sans doute le mot qui décrit le mieux la situation actuelle du conflit en Ukraine. D’anciennes certitudes semblent se fissurer. Pendant des décennies, le continent s’est reposé sur le parapluie américain et sur la protection offerte notamment par l’OTAN. Aujourd’hui cependant, cette forte dépendance aux ressources et à la technologie des États-Unis apparaît de plus en plus comme une vulnérabilité. D’où l’idée, de plus en plus évoquée, d’une autonomie stratégique européenne, non pas contre l’Amérique, mais pour un meilleur équilibre au sein de l’alliance occidentale. Et cela a plus forte raison que le conflit en Ukraine ne montre aucun signe de dénouement rapide. La grande question reste de savoir quand et comment cette guerre prendra fin. L’historien et professeur Armand Goșu, expert de l’espace post-soviétique et analyste de politique étrangère, évoque plusieurs pistes :
« Il existe plusieurs scénarios. Certains, les plus négatifs, souhaités par Poutine, impliquent l’effondrement de l’Ukraine et son passage sous contrôle russe, directement ou à travers une forme de vassalisation. D’autres scénarios, moins pessimistes et plus probables, envisagent la poursuite d’un conflit de basse intensité pendant des années, ce qui obligerait l’Europe et l’Occident à prendre des décisions sur l’avenir de l’Ukraine. Cette prolongation ne profite ni à l’Occident ni à l’Ukraine. Et puis, il y a les scénarios optimistes, qui supposent un retour de la Russie sur une voie démocratique, une réorientation vers l’Europe, vers un modèle de développement européen et, bien sûr, un retrait d’Ukraine et la reconnaissance de sa souveraineté. »
Dans ce contexte, l’Union européenne avance vers une nouvelle architecture de défense. Les programmes déjà existants – de la PESCO au Fonds européen de défense – sont complétés par de nouvelles initiatives, dont le projet SAFE (Strategic Armament and Forces for Europe), qui vise à créer une base commune de production et d’acquisition d’armements, à mieux coordonner les capacités militaires et à réduire la fragmentation actuelle, qui fait que les États européens disposent de dizaines de modèles différents de chars, d’avions ou de systèmes d’artillerie. L’objectif de l’exercice : construire une industrie militaire européenne plus unifiée et plus efficace. Armand Goșu :
« Sous la pression russe, l’on assiste à des évolutions qui, autrement, n’auraient sans doute jamais eu lieu. La guerre en Ukraine oblige l’Occident à redéfinir ses priorités et à remettre la défense au centre de ses préoccupations. Cela n’avance peut-être pas aussi vite qu’on l’aurait souhaité, mais n’oubliez pas que l’Europe est une machine complexe et bureaucratique. Mais aussi qu’une fois lancée, il sera très difficile de l’arrêter. Ses ressources dépassent largement celles de la Russie, même si elle n’a pas la même ardeur guerrière. Et, en réalité, l’armée russe repose elle-même sur l’argent plutôt que sur l’enthousiasme. »
Cela dit, personne ne peut prévoir la manière dont s’achèvera la guerre en Ukraine. Peut-être par un accord négocié, peut-être par un conflit gelé qui durera des années. Une chose est certaine : l’Europe a compris qu’elle doit apprendre à vivre dans un voisinage dangereux et se préparer à assurer sa propre défense, en coopération étroite avec l’OTAN. C’est le grand test qui l’attend, estime Armand Goșu :
« L’Europe doit décider ce qu’elle veut devenir. Une fédération ? Une Europe à plusieurs vitesses ? Une armée commune ? Ou tout simplement réaliser une interopérabilité renforcée entre les armées françaises, allemandes, italiennes, espagnoles, roumaines, polonaises, baltes et scandinaves ? Construire une armée européenne unifiée demanderait trop de temps. En revanche, nous pouvons transférer l’expérience de coopération acquise au sein de l’OTAN vers des partenariats bilatéraux ou multinationaux plus agiles. Nous devons être réalistes, aller plus vite et renforcer l’interopérabilité. »
Parce que la paix ne se maintient finalement pas seulement grâce aux traités et au commerce, mais aussi par une force commune de défense. (Trad Ionut Jugureanu)