Le Bucarest d’hier sur les cartes postales
« Périple dans le Bucarest d’hier » est une invitation à contempler un certain passé. C’est aussi un voyage à travers de changements, de ce qui s’est perdu à ce qui continue d’exister.
Steliu Lambru, 21.12.2025, 09:47
L’image actuelle de la capitale roumaine est le résultat de l’action du régime communiste, des bulldozers et des grues, appelés à légitimer un pouvoir illégitime et criminel. « Périple dans le Bucarest d’hier » est le titre d’un album dans lequel l’historien Cezar-Petre Buiumaci recourt à sa propre collection de cartes postales.
Un portrait de Bucarest fait de cartes postales
Ainsi, il propose un portrait de la ville, « dessiné » à l’aide de ces petits objets fragiles que les gens envoient en signe d’affection : « J’ai démarré cette démarche en pensant à cette phrase qui dit qu’une photo vaut mille mots. Moi, j’ai essayé de faire exactement l’inverse et prononcer un seul mot, <București> (Bucarest), en m’appuyant sur mille images. Bien-sûr que j’ai dû tenir compte de l’économie de l’album et diviser ce chiffre par deux. Mais cette collection s’assoit sur quelques piliers, ceux de la mémoire urbaine sous le régime communiste, vus à travers le regard de gens qui y avaient vécu, travaillé, assisté à la démolition de leurs maisons, qui ont donc subi ce drame. Il y a aussi le regard des architectes qui avaient travaillé dans le Bucarest souterrain, pour construire le métro de la ville, et plusieurs immeubles d’habitations et bâtiments administratifs pendant la dernière décennie communiste. »
La carte postale en tant qu’objet de propagande
Cependant, la carte postale, aussi jolie et innocente qu’elle puisse paraître à première vue, peut aussi être un objet de propagande, mis au service d’un régime politique tyrannique: « Ce type d’objet, la carte postale illustrée, avait été un véhicule de la propagande du régime communiste. Elles montraient principalement les nouveaux édifices du pouvoir, des bâtiments culturels, politiques et administratifs, ainsi que de nouveaux immeubles d’habitation, que la carte postale transformait en véhicules de correspondance. C’était une correspondance autocensurée, puisque les mots écrits sur le verso d’une carte postale peuvent être lus par tout un chacun. Il s’agissait donc du principe de censure, mais sous sa forme la plus sévère, c’est-à-dire l’autocensure. »
Édifices sujets de cartes postales
Les édifices bucarestois érigés à l’époque du pouvoir communiste ont également été privilégiés sur les cartes postales : « Nous y découvrons une série entière d’objectifs tels que Casa Scânteii (la Maison de l’étincelle), qui est la véritable Maison du Peuple. Elle est le résultat de l’implication de tous les citoyens de la Roumanie, car ils ont tous fait un don, d’argent ou de journées de travail, certains ont pratiquement travaillé sur le chantier ou bien ils ont participé à travers différentes activités à la construction de cet objectif particulièrement important. Il prouve pratiquement le niveau d’extrême subordination du régime communiste roumain envers Moscou, puisque le bâtiment est une copie des édifices emblématiques de la capitale soviétique, érigés sur ordre de Staline. »
La ville et la carte postale, évolutions parallèles
Ce ne sont pas que les images des cartes postales qui montrent une évolution, celle de la ville ; les cartes elles-mêmes ont connu leur propre évolution : « Les premières cartes postales illustrées sont de très mauvaise qualité, parce que tous les équipements d’imprimerie étaient partis en Russie comme butin de guerre. Après la construction de la Maison de l’étincelle (Casa Scânteii), de nouveaux outillages arrivés de Moscou permettent une meilleure multiplication de tout le matériel de propagande. Les premières images sont celles d’objectifs culturels, administratifs et politiques, tels que Casa Scânteii (la Maison de l’étincelle), le Cirque (d’hiver), ensuite les locaux de la Télévision, Casa Radio (la Maison de la Radio) et ainsi de suite. La carte postale de type « photographie » fait son apparition plus tard et, là, l’image est très claire. Il existe deux catégories de photos: celle statique, mettant en avant un édifice sans aucun autre élément supplémentaire, et celle animée, avec des personnages qui s’activent autour d’e la construction choisie comme sujet. »
Avant la fin des années 1970, lorsque débute la tragédie bucarestoise des démolitions massives, les autorités réalisent peu d’interventions d’urbanisme, mais leur impact est bien fort. Cezar-Petre Buiumaci : « Il existe une évolution de la ville, et c’est ce que les cartes postales essaient de mettre en lumière. Nous avons la ville communiste qui entoure la ville ancienne, le Bucarest communiste s’étale tout autour la ville ancienne et ce sont précisément ces objectifs-là que l’on voit sur les cartes postales: les quartiers, les théâtres, comme c’est le cas des quartiers de Bucureștii Noi ou de Drumul Taberei, des centres commerciaux, comme par exemple Complexul Favorit, et aussi quelques objectifs du centre-ville, appelés <plombages> durant la première partie du régime communiste. Ce sont des bâtiments érigés sur les terrains devenus libres de constructions suite au tremblement de terre de 1940 ou des bombardements de 1944. Très peu de zones sont démolies durant cette première partie du régime communiste pour faire de la place à de nouvelles constructions. Le meilleur exemple en est la Place du Palais des Congrès, en réalité connue sous le nom de Piața Sălii Palatului (la Place de la Salle du Palais). Il existe là une agression contre l’espace urbain, une tentative des communistes de transférer le centre de la ville depuis la Place du Palais royal à l’arrière de l’édifice, où se trouve le nouveau palais du pouvoir, la Palais des Congrès. La Salle du Palais est pratiquement collée au Palais royal, devenu le Palais de la République. »
« Périple dans le Bucarest d’hier » est une invitation à contempler un certain passé. C’est aussi un voyage à travers de changements, de ce qui s’est perdu à ce qui continue d’exister.
(Trad. Ileana Ţăroi)