Nicoale Iorga dans les souvenirs de ses contemporains
Né en 1870 à Botosani, dans le nord-est de la Roumanie au sein d’une famille aux origines grecs, il s’est formé en tant qu’historien à l’université de Iasi, à l’Ecole pratique des hautes études de France et à l’Université de Leipzig, en Allemagne. Son œuvre réunit 20 000 titres et est constituée de livres, d’études, de brochures, de discours et d’articles de presse, faisant ainsi de lui l’auteur roumain le plus prolifique.
Steliu Lambru, 09.11.2025, 10:00
Certaines personnes laissent une empreinte indélébile grâce à leur personnalité hors du commun. Ce fut le cas de l’historien Nicolae Iorga. Imposant par son physique – une grande taille et une longue barbe – il a marqué les esprits par son œuvre, son tempérament volcanique et sa fin tragique. Historien, écrivain, philosophe, enseignant, journaliste, homme politique, Nicolae Iorga ne passait pas inaperçu auprès de ceux qui le rencontraient.
Né en 1870 à Botosani, dans le nord-est de la Roumanie au sein d’une famille aux origines grecs, il s’est formé en tant qu’historien à l’université de Iasi, à l’Ecole pratique des hautes études de France et à l’Université de Leipzig, en Allemagne. Son œuvre réunit 20 000 titres et est constituée de livres, d’études, de brochures, de discours et d’articles de presse, faisant ainsi de lui l’auteur roumain le plus prolifique. Dans son œuvre, Nicolae Iorga aborde des thématiques liées à des domaines de l’histoire, de la littérature, de la philosophie et de l’actualité politique. En tant qu’homme politique, il s’est surtout illustré par sa ferveur nationaliste, puisqu’il était à la tête du Parti nationaliste démocrate, qu’il a fondé en 1910, après avoir quitté le Parti Conservateur. Il fut sénateur et député au sein du Parlement de Bucarest, mais il a également fait partie du Conseil de la Couronne de 1938 à 1940. C’est en remplissant cette dernière fonction que Nicolae Iorga s’est opposé à l’ultimatum donné à la Roumanie par l’Union Soviétique en juin 1940, pour céder la Bessarabie et la Bucovine du Nord, demandant alors à ce que la Roumanie s’oppose militairement à l’URSS. En tant que premier ministre, il a dirigé la Roumanie pendant une année et deux mois, d’avril 1931 à juin 1932. Le 27 novembre 1940, Iorga est enlevé de son domicile par une équipe de tueurs de la légion de l’Archange Michel, emmené dans une forêt au nord de Bucarest et tué par balles. Une terrible vendetta dont l’objectif affiché était de venger l’implication personnelle de Iorga dans l’arrestation et l’assassinat en 1938 de Corneliu Zelea Codreanu, leader du parti fasciste de la Garde de fer.
L’institut d’histoire de l’Académie roumaine à Bucarest porte son nom, tout comme un grand nombre de rues dans plusieurs villes roumaines. De nombreux autres bustes et statues lui ont été consacrés à travers le pays. L’historienne Eliza Campus a été l’étudiante de Nicolae Iorga au début des années 1930. En 1999, elle évoquait au micro du Centre d’histoire de la radiodiffusion roumaine le respect qu’elle portait à son ancien professeur :
« A la faculté d’histoire notre principal sujet d’étude était l’histoire universelle, coordonné par notre grand savant Nicolae Iorga. Dès le début, les relations avec lui ont été des plus cordiales. Je portais le deuil, puisque mon père était décédé et il m’a demandé dès les premiers cours si j’avais besoin d’aide, si je voulais donner des cours ou souhaitais avoir d’autres opportunités de gagner de l’argent. Or j’avais accepté un poste d’institutrice et par conséquent, j’avais quand même un revenu. Dès lors, nous avons été très poches. Il m’a toujours invitée chez lui pour étudier différents ouvrages dans sa bibliothèque. Cette proximité a duré jusqu’à mon examen de licence, que j’ai passé avec lui. Après avoir obtenu mon diplôme, en 1931 ou 1932, j’ai assisté régulièrement à ses cours comme si j’étais toujours son étudiante. Je me suis rendue chez lui à maintes reprises. Je me rappelle qu’en travaillant sur ma thèse de licence, j’étudiais certains ouvrages chez lui. Il fut appelé au téléphone et je l’ai entendu dire : « Non Sire, je ne peux pas venir tout de suite car il y a des étudiants chez moi ». C’était le roi Carol II qui l’avait convoqué au Palais et il avait refusé de le faire parce qu’il devait s’occuper de ses étudiants. C’était Iorga l’indépendant, fier et soucieux de rester proche des jeunes et de faire de ses étudiants de véritables historiens. »
Une figure emblématique qui n’a pas toujours fait l’unanimité
L’ingénieur Paul Știubei travaillait à la Radio-Télévision roumaine depuis sa création dans les années 1930. En 1994, il se souvenait que Nicolae Iorga s’était également retrouvé devant le micro de la radiodiffusion roumaine. Il racontait :
« Il lisait un texte et parlait librement. Mais je l’écoutais toujours lors de ses conférences publiques, et il s’écartait souvent du texte pour divaguer. Pas directement, mais de façon détournée, avec des sous-entendus. Je sais qu’un jour, le directeur général, Nicolae Sărățeanu, est venu me demander de le laisser poser sa main sur le bouton de coupure du micro. Il avait la main sur le bouton, craignant que Nicolae Iorga ne dise quelque chose contre les Allemands. C’était l’époque pendant laquelle les Allemands étaient arrivés dans le pays et où nous étions censée être germanophiles.»
Au fil des années de dégradation de la démocratie roumaine, un processus qui a commencé en 1938, Iorga était membre du Front de la renaissance, le seul parti totalitaire du roi Carol II. L’historien littéraire Gabriel Țepelea, membre du Parti national paysan, ne garde pas un bon souvenir du Iorga de cette époque. Il avouait au micro du centre d’histoire orale de la radiodiffusion roumaine :
« Je revois encore Iorga aujourd’hui, avec sa barbe patriarcale, vêtu d’un uniforme bleu de conseiller royal, membre du Front de la Renaissance ! Autrement dit, toute une série de personnalités, d’une immense envergure culturelle, ont prouvé que, politiquement, elles étaient incapables de s’opposer aux ambitions, en l’occurrence celles du roi, et aux ambitions personnelles.»
Les souvenirs laissés par un homme varient. Et Iorga ne fait pas exception. Difficile de faire l’unanimité. Mais reconnaissons tout de même que le charisme et la finesse des uns suffisent parfois à marquer à les rendre inoubliables. L’héritage laissé par Nicolae Iorga reste très riche et mérite tout de même d’être connu et reconnu. Un héritage dont la Roumanie, pays au passé encore douloureux, continue de s’enorgueillir.