Nadia Russo-Bossie a été l'une des héroïnes de l'air méconnues de la Deuxième guerre mondiale, de la trempe de celles qui, pour sauver des vies, ont mis tout en jeu : leur savoir, leur détermination et leur courage. Comme beaucoup en temps de guerre, elle avait tout fait pour défendre son nouveau pays, la Roumanie. Car Nadia Russo-Bossie était, en effet, née citoyenne russe, près de Moscou, dans une vieille famille aristocratique, fille d'un général de la cavalerie du Tsar. Devenue orpheline à 14 ans, Nadia, aidée par l'ancien aide-de-camp de son père, parvient à fuir avec sa sœur la dictature bolchévique, et se réfugie au royaume de Roumanie, en 1918. Mariée en 1925 à Alexandru Russo, héritier d'une vieille lignée de boyards de Bessarabie, Nadia Russo-Bossie devient au fil des annnées à la fois acteur et témoin précieux de ce que sera le 20e siècle roumain, avec ses joies, ses espoirs et ses tragédies successives.
Le Musée national d'histoire de la Roumanie avait récemment mis à l'honneur la présence des femmes héroïnes dans les rangs de l'armée roumaine pendant la Deuxième guerre mondiale. Nadejda Evgenievna Brjozovskaia, le nom à la naissance de celle qui sera connue par ses contemporains roumains sous le nom de Nadia Russo-Bossie, a occupé une place à part dans l'exposition temporaire du musée, aux côtés de deux autres as féminins du ciel : Smaranda Brăescu et Mariana Drăgescu, figures centrales de la fameuse « escadrille blanche » de l'aviation roumaine, pendant la Deuxième guerre mondiale.
L'historienne Cristina Păiușan-Nuică, commissaire de l'exposition du musée national d'Histoire de la Roumanie : « Nadia Russo-Bossie était d'origine russe. Elle était née en 1901 dans l'Empire des tsars, qu'elle a fui en 1918, lors de la Révolution bolchevique. Ses parents étaient morts entre temps, elle a donc fui juste avec sa sœur, à Chișinău, où elle avait de la famille. Mais elle désirait plus que tout devenir aviatrice. Cette envie lui était venue juste après avoir fini ses études à l'Ecole des beaux-arts de Paris. Elle ne commencera donc à prendre des leçons de pilotage qu'en 1936, ce genre de cours était plutôt cher. Elle a eu son brevet féminin, puis le brevet général de pilotage. Nadia sera par la suite l'une des fondatrices de l'escadrille sanitaire de l'aviation roumaine. »
Le destin avait, en effet, rudement malmené la jeune Nadia. Sa mère meurt en 1912, lorsque Nadia n'avait que 11 ans. Quant à son père, il perdra la vie sur le front de la Grande guerre, en 1915, lorsque sa fille avait 14 ans. Son arrivée en Roumanie, à 17 ans seulement, signe le début de sa nouvelle vie.
Cristina Păiușan-Nuică : « Nadia Russo n'a pas eu la vie facile. A son arrivée en Roumanie, elle a dû gagner sa vie, comme maîtresse d'école, mais elle a pratiqué d'autres métiers encore. Elle a épousé un type assez riche, Alexandru Russo, ce qui lui a permis de se dédier enfin à sa passion, le vol. Mais elle achète son avion grâce à des souscriptions publiques et à l'aide consentie par l'Etat roumain. Elle est naturalisée après son mariage. Et entre 1940 et 1943 elle fait partie de l'escadrille blanche, l'escadrille médicale. En 1943 elle subit une dépression nerveuse, à la suite de laquelle elle ne volera plus que de façon occasionnelle. »
Mais la passion de Nadia Russo-Bossie demeure à jamais et malgré tout l'aviation. Pilote passionnée, comptant de nombreuses participations à des concours nationaux et internationaux avant la guerre, héroïne de guerre ensuite, elle avait pris part au conflit par conviction, décidée de se venger des bolcheviques qui l'avaient chassée et qui avaient mis à sac son pays natal, la Russie. Mais Nadia n'échappera pas à ces derniers ni à son destin. L'armée rouge occupe la Roumanie en 1945, et le régime communiste impose sa chape de plomb dans son pays d'adoption quelques années plus tard. Nadia Russo-Bossie en payera un lourd tribut.
Cristina Păiușan-Nuică : « Sa tragédie - nouvelle mouture commence en 1950, lorsqu'elle sera arrêtée par les sbires du régime communiste, accusée d'avoir facilité la rencontre entre des pilotes roumains et anglais, ces derniers membres de la Commission interallié de contrôle de l'armistice. Condamnée dans le « lot des aviateurs » en 1951, à 8 ans d'emprisonnement, elle sera libérée 5 années plus tard, mais cela juste pour être déportée pour 5 années encore, dans la région de Bărăgan, à Lățești, où elle rencontre son second mari, Gheorghe Bossie. En 1969, arrivée à l'âge de la retraite, elle compte sur une pension sociale de 325 lei. Le montant de cette dernière sera augmenté de 79 lei, après des démarches pour que les 5 années de travaux forcées effectués pendant la déportation lui soient reconnues et comptabilisées à son ancienneté au travail. Enfin, elle survivra pour le reste de sa vie avec cette retraite minable de 400 lei. »
La postérité allait découvrir la personnalité de l'as de l'aviation sanitaire que fut Nadia Russo-Bossie seulement après la chute du régime communiste, fin 1989.
Cristina Păiușan-Nuică nous parle de l'exposition accueillie par le Musée national d'Histoire : « Nous avons pu présenter un album de photos de Nadia Russo, riche de plusieurs centaines de clichés d'époque. Ce fut une chance que d'avoir pu obtenir cet album et le préserver dans les collections de notre musée. Nous avons réussi à présenter aussi une sorte de journal, des écrits qu'elle avait consignés au mois de mai 1981, lors de l'anniversaire de ses 80 ans et des 45 ans depuis qu'elle avait décroché son brevet de pilote. Les autorités de l'époque l'avaient tout de même invitée pour qu'elle tienne une sorte de discours sur ce que c'était que d'être femme pilote dans sa jeunesse. Malheureusement, elle n'a pas survécu jusqu'en 1989, pour être témoin de la chute de ce régime qu'elle avait tant honni, le communisme. »
Nadia Russo-Bossie est morte en 1988, à 87 ans. Son rôle dans l'histoire de l'aviation féminine nationale ne fut pleinement reconnu que post mortem, comme cela arrive trop souvent. (Trad. Ionuţ Jugureanu)