Un accord à enjeu stratégique
Les États-Unis ont fourni une aide militaire et sécuritaire substantielle à l’Ukraine, mais sans jamais demander de compensation en contrepartie. Cette politique changea toutefois dès l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche avec, en ligne de mire, les terres rares ukrainiennes.
Corina Cristea, 04.07.2025, 11:00
Au cours des onze dernières années, et plus précisément depuis l’annexion de la Crimée par la Russie, les États-Unis ont fourni une aide militaire et sécuritaire substantielle à l’Ukraine, mais sans jamais demander de compensation en contrepartie. Cette politique changea toutefois dès l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche avec, en ligne de mire, les terres rares ukrainiennes. Longtemps évoqué par le locataire de la Maison-Blanche, l’accord qui accorde aux États-Unis un accès préférentiel aux transactions portant sur les minéraux ukrainiens a finalement été signé fin avril, au terme de longs mois de négociations difficiles, marquées par des incertitudes jusqu’à la dernière minute. Le point central de l’accord consiste ainsi en la création d’un fonds commun États-Unis–Ukraine, alimenté à hauteur de 50 % par les profits et redevances que perçoit l’État ukrainien des nouvelles exploitations de ressources naturelles. Des fonds censés être réinvestis dans de nouveaux projets de développement. En parallèle, toute aide militaire future fournie par les États-Unis à l’Ukraine sera comptabilisée comme contribution américaine à ce fonds commun. Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de ce partenariat économique inédit nous avons approché Ștefan Popescu, docteur en histoire des relations internationales contemporaines à la Sorbonne. Ecoutons-le :
« Cela suppose comme préalable d’avoir la paix. C’est la condition essentielle pour que cet accord, réellement important, puisse se concrétiser. Cependant, l’on peut dire qu’il produit déjà des effets par sa simple signature, surtout après toutes les difficultés qui ont entravé sa conclusion, aussi bien du côté américain que du côté ukrainien. N’oublions pas que l’Europe aussi voulait sa part du gâteau en ce qui concerne les minerais critiques de l’Ukraine. La signature de cet accord offre malgré tout un nouveau souffle au pouvoir ukrainien de Kiev, aux militaires qui bataillent sur le front pour défendre l’Ukraine. On leur montre, en somme, le fait que les États-Unis ont bel et bien un intérêt en Ukraine, qu’ils n’entendent pas la laisser tomber. »
Des ressources très diverses encore non exploitées
Et cet intérêt est bien réel. Essentiels à des secteurs tels que la défense, la haute technologie, l’aéronautique ou encore l’énergie verte, les minéraux critiques incluent notamment le nickel, le lithium, ainsi que les terres rares, soit un groupe de 17 métaux indispensables à la fabrication de nombreux produits électroniques de haute technologie : téléphones mobiles, téléviseurs, ordinateurs, batteries de voitures électriques, systèmes d’énergie renouvelable, voire équipements militaires. Des métaux pour lesquels il n’existe pas véritablement de substituts viables. Aussi, les réserves mondiales de ces minéraux sont estimées à environ 99 millions de tonnes, dont 36 millions se trouvent en Chine, 19 millions en Russie et dans ses pays voisins, et 13 millions aux États-Unis. Même si l’Ukraine ne dispose actuellement d’aucune mine de terres rares opérationnelle à l’échelle commerciale, son sous-sol serait doté de 22 des 34 minéraux identifiés par l’Union européenne comme étant essentiels. D’après l’Institut de géologie ukrainien, le pays possède notamment du lanthane et du cérium (utilisés dans l’éclairage et les téléviseurs), du néodyme (utilisé dans les éoliennes et batteries électriques), mais aussi de l’erbium et de l’yttrium, qui trouvent des applications qui vont du nucléaire aux lasers. L’Ukraine pourrait également devenir un fournisseur-clé de lithium, béryllium, manganèse, gallium, zirconium, graphite, apatite, fluorine et nickel, selon le Forum économique mondial. Le lithium, vital pour les batteries, la céramique et le verre, serait d’ailleurs présent en grandes quantités dans le centre, l’est et le sud-est du pays, représentant l’une des plus importantes réserves confirmées en Europe, d’après le Service géologique national. Le pays possède environ 20 % des ressources mondiales de titane et de graphite, composant essentiel dans la fabrication des batteries des véhicules électriques et des réacteurs nucléaires. Sans oublier ses importantes réserves de charbon. Il n’en demeure pas moins qu’une large part de ces ressources se trouve cependant actuellement sous occupation russe, selon des groupes de réflexion ukrainiens.
Entre accord historique et alignement stratégique
Mais comment cet accord est-il perçu et pourquoi est-il si important ? Dans le monde occidental, le document signé entre Washington et Kiev est qualifié d’historique. À Moscou, en revanche, il est tourné en dérision, les autorités russes affirmant qu’il transforme l’Ukraine en colonie minière des États-Unis. Mais dès sa signature, les analystes ont estimé que l’accord pourrait marquer un réalignement stratégique entre les États-Unis et l’Ukraine, réduisant ainsi les chances de parvenir à un accord de paix favorable à Moscou. Par ailleurs, dans un entretien accordé à la chaîne CBS, l’ambassadrice d’Ukraine aux États-Unis, Oksana Markarova, a déclaré que l’accord constituait pour l’Ukraine une part importante des futures garanties de sécurité, vu que généralement une présence économique américaine s’accompagne d’une présence militaire. Une perspective porteuse aussi pour la Roumanie, selon l’analyste militaire Radu Tudor, qui explique :
« Si, par exemple, les gaz dont dispose l’Ukraine étaient exploités également en mer Noire, alors une présence militaire américaine à proximité de ces exploitations gazières, que ce soit en mer ou sur le territoire ukrainien à proximité de la frontière roumaine, serait une excellente nouvelle. Pourquoi ? Parce qu’une présence économique américaine est toujours doublée d’une présence militaire. Ils vont protéger leurs exploitations, leurs employés, leurs affaires. Et cela ne peut se faire qu’avec des troupes. Or, le seul pays du flanc est de l’OTAN capable d’assurer une présence militaire américaine substantielle pour protéger leurs intérêts en Ukraine c’est bien la Roumanie. Et nous avons un intérêt sécuritaire énorme à ce que les troupes américaines ne quittent pas notre territoire, voire qu’elles y soient renforcées. D’autant que les Ukrainiens nous aident avec un accord économique étendu autour des ressources énergétiques, permettant ainsi aux Américains de maintenir à proximité des troupes disponibles censées protéger leurs affaires, des affaires qui valent de milliards. »
Parce que, ajoute Radu Tudor, « La Russie restera un État menaçant. Elle ne renoncera pas à sa politique agressive. Et les Américains le savent : ils ont retenu les leçons de l’histoire. C’est pour cela qu’après la Seconde Guerre mondiale, ils ont toujours fait en sorte qu’une grande affaire soit assortie d’une protection sécuritaire et militaire. » (Trad : Ionut Jugureanu)