Le mathématicien Grigore Moisil
Il est connu pour son intérêt pour la logique mathématique, la logique algébrique et les équations différentielles. Il est aussi réputé pour son activité pionnière en matière de science des ordinateurs en Roumanie.
Steliu Lambru, 28.09.2025, 10:30
Au XXème siècle, l’école roumaine de mathématiques a eu plusieurs représentants importants, dont Grigore Moisil. Né en 1906 dans la ville de Tulcea, en Dobroudja, au sud-est de la Roumanie Moisil est mort à 67 ans, en 1973, dans la capitale canadienne Ottawa. Il est connu pour son intérêt pour la logique mathématique, la logique algébrique et les équations différentielles. Il est aussi réputé pour son activité pionnière en matière de science des ordinateurs en Roumanie.
Formation académique et début de carrière
Grigore Moisil est né dans une famille d’intellectuels, d’un père professeur d’histoire, archéologue et numismate et d’une mère elle aussi enseignante et directrice de l’établissement scolaire (école et collège) « Ienăchiță Văcărescu », du centre-ville de Bucarest. Moisil a eu son doctorat en mathématiques en 1929 avec une thèse sur la mécanique analytique des systèmes continus, sous la coordination de deux mathématiciens roumains légendaires : Gheorghe Țițeica (1873-1939) et Dimitrie Pompeiu (1873-1954). Après une année d’études en France, où il publie sa thèse, il est nommé professeur de mathématiques à l’Université d’Iași, où il enseigne l’algèbre et la théorie de la logique des évidences. Une nouvelle bourse lui permettra de continuer ses études à Rome pendant une année. En 1941, Grigore Moisil occupe par concours un poste de professeur à l’Université de Bucarest, où il travaillera aux côtés d’autres mathématiciens importants de sa génération, tels que Gheorghe Vrânceanu, Dan Barbilian et Miron Nicolescu. Après l’installation du nouveau régime communiste en Roumanie en 1945, il est nommé ambassadeur plénipotentiaire à Ankara, en Turquie, de 1946 à 1948 ; il en profite pour donner des conférences de mathématiques dans des universités d’Istanbul. En 1948, il rentre à Bucarest, où il retrouve son poste à l’Université, étant aussi élu membre de la nouvelle Académie de la République populaire roumaine et de l’Institut des mathématiques de celle-ci.
Souvenirs d’un ancien disciple
Le mathématicien et informaticien Cristian Calude est professeur à l’Université d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. Il est aussi auteur d’études et de livres, ainsi que professeur invité à plusieurs universités du monde. Il était élève au lycée quand il avait commencé à travailler avec Grigore Moisil, qui a été un de ses mentors.
« Moi, je ne peux pas faire de mathématiques contre la montre, c’est pour ça que je suis mauvais dans les concours internationaux. Dans une conjoncture que je n’arrive pas à expliquer, j’étais en seconde quand j’avais réussi à me hisser dans la phase finale de l’Olympiade de mathématiques et j’étais donc venu à Bucarest. Je n’ai pas eu de succès, mais j’ai trouvé la solution d’un problème d’algèbre en employant une méthode de logique mathématique que j’avais rencontrée dans le livre de Moisil. Il avait écrit un petit livre sur la théorie des ensembles et la logique mathématique. Par chance, le professeur chargé de corriger mon épreuve avait tout compris et montré mon épreuve au professeur Moisil, qui lui a dit sans attendre : « Ramène-le ici ». C’est comme ça que j’ai fait la connaissance du professeur. »
C’était le début d’une belle amitié pour le jeune Cristian Calude et d’un sentiment de satisfaction pour Grigore Moisil, le professeur qui découvrait des talents. Cristian Calude en ajoute d’autres détails.
« Nous avons passé du temps à parler, il voulait savoir quel livre de logique j’avais lu. Nous avons eu une conversation d’une trentaine ou quarantaine de minutes, qui ne ressemblait pas du tout à un échange entre un professeur et un très jeune élève. Le professeur Moisil coordonnait des thèses de doctorat, alors que moi je n’étais qu’un garçon en seconde. Nous étions comme deux amis et à la fin il m’a demandé si j’étais d’accord de venir travailler avec lui. Je lui répondu que oui et que j’étais honoré de le faire. Alors, il m’a invité chez lui, à la maison, et c’est comme ça que tout a commencé ; il m’a donné plusieurs articles à lire et un problème à résoudre et, une année plus tard, quand j’étais en terminale, j’ai fait quatre ou cinq aller-retour Galați – București. En 1971, j’ai été admis à l’Université et je me souviens que je me rendais chez le professeur Moisil, qui habitait tout près, et j’entendais Mme Moisil crier « Gri-Gri, Monsieur Calude est là ». Je crois que deux années et demi plus tard j’ai publié mon premier article de mathématiques dans le « Bulletin Mathématique de la Société des Sciences Mathématiques de Roumanie ». »
L’œuvre à l’épreuve du temps
L’œuvre de Grigore Moisil comprend des articles et des études sur la mécanique, l’analyse mathématique, la géométrie, l’algèbre et la logique mathématique. Il a repris et continué des recherches de ses prédécesseurs, tels que Dimitrie Pompeiu et le logicien polonais Jan Łukasiewicz (1878-1956). Un chapitre très important de son œuvre, très pertinent pour notre époque, a été consacré au domaine des ordinateurs. En plus d’avoir enseigné, à l’Université et à l’Université polytechnique de Bucarest, la logique mathématique, vitale pour la programmation des ordinateurs, Moisil a participé à l’assemblage du premier ordinateur roumain, en 1957, à l’Institut de physique atomique de la capitale. En 1996, Grigore Moisil et dix-huit autres pionniers du domaine ont été distingués par la Société des Ordinateurs de l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens de Washington D.C., aux Etats-Unis, qui leur a attribué un prix post-mortem, reconnaissant ainsi leurs mérites.
Grigore Moisil a poursuivi sa vocation de mathématicien, laissant derrière lui un héritage très apprécié par ses collègues, ses élèves et ses étudiants. Il a été l’homme de son époque, qui a su négocié ses qualités personnelles en échange de la consolidation des avantages obtenus. (Trad. Ileana Ţăroi)