« L’Israélite roumain »
Steliu Lambru, 16.10.2022, 00:05
L’histoire des Juifs des Principautés roumaines a été marquée au XIXe
siècle par la lutte pour les droits nationaux et civils. Le nouvel État issu de l’union de la Moldavie
et de la Valachie en 1859 accordait la nationalité roumaine et les droits qui
en découlaient uniquement aux individus de confession chrétienne. La Constitution
de 1866 l’instituait sans équivoque à l’article 7, qui stipulait que: « La
qualité de roumain s’acquiert, se conserve et se perd conformément aux règles
définies dans les lois civiles. Seuls les étrangers de rites chrétiens peuvent
acquérir la naturalisation. » Mais la loi introduisait aussi des
exceptions à la règle, les personnes se mettant au service de la Roumanie
pouvant ainsi se voir récompenser par l’octroi de la nationalité. Ce fut le cas
de nombreux Juifs qui ont combattu dans la guerre d’indépendance menée par la
Roumanie en 1877-1878.
Les leaders des communautés
juives de Roumanie ont cependant mis en avant des arguments forts en faveur de
l’octroi de la nationalité roumaine aux Juifs « autochtones », nés
donc en Roumanie. Un de ces porte-drapeaux les plus actifs fut le médecin et
homme de culture Iuliu Barasch. Né en 1815 à Brody, à l’ouest de l’actuelle
Ukraine, territoire qui à l’époque faisait partie de l’Empire autrichien, et
mort à Bucarest en 1863, à l’âge de 48 ans, Iuliu Barasch avait reçu à sa
naissance le nom de Iehuda ben Mordehai. En 1843, il s’installe en Valachie, à Călărași,
ville danubienne à 120 km au sud-est de Bucarest. En 1851, il déménage dans la
capitale valaque, où il va exercer la profession de médecin et fonder des
établissements de santé publique, tels des hôpitaux, des quarantaines et des
dispensaires. Il a obtenu un doctorat en médecine à Berlin en 1841, il a
enseigné au lycée et dans des écoles supérieures de sciences militaires, de
pharmacie et d’agriculture. Comme tout intellectuel de son époque, il s’est
activement impliqué dans la vie de la communauté juive. Grand défenseur de la
science, Iuliu Barasch a été un agent important de la modernisation de la
mentalité collective juive. Son œuvre écrite inclut des textes scientifiques,
certes, mais aussi de médecine, d’histoire, de philosophie ou d’hygiène.
L’implication de Iuliu Barasch dans la presse
communautaire juive et dans celle de vulgarisation scientifique est venue tout
naturellement. Pour quelqu’un comme lui, qui avait une vocation de fondateur et
de militant, le lancement de la première publication juive en langue roumaine a
été quelque chose de parfaitement naturel. Iuliu Barasch et le Français Armand
Lévy, avec Aaron Ascher et Isaac Leib Weinberg, ont rendu possible la parution
de « L’Israélite roumain », marquée par seulement quelques numéros, faute
d’argent. L’historienne Lya Benjamin, spécialiste de l’histoire des Juifs, a
consacré une étude à cette publication, où elle a aperçu les idées qui
circulaient ces temps-là. « Le journal est particulièrement
intéressant, car il s’adresse aussi bien aux Juifs qu’aux Roumains, tout en
étant une tribune de lutte pour l’émancipation des Juifs. Les Juifs de Roumanie
n’avaient pas la nationalité du pays et Iuliu Barasch fut le premier à lancer
le combat pour l’octroi de la nationalité, dans lequel il recourt aussi au
journal. En 1856, il envoie au prince régnant valaque Barbu Știrbey les
premiers mémoires sur le sujet. C’était l’année où une délégation des Grandes
Puissances se rendait dans les Principautés roumaines pour préparer la
Conférence de Paris de 1858, consacrée aussi à l’union des Principautés. Iuliu
Barasch voulait présenter son mémoire au prince Stirbey et aux délégués
étrangers, pour qu’ils s’expriment en faveur de l’émancipation des Juifs. Ses
mémoires sont publiés pour la première fois dans « L’Israélite roumain ». »
Ce qui est remarquable aussi
bien chez Iuliu Barasch que chez les autres Juifs qui se battaient pour
l’émancipation politique et civique des membres de leur communauté c’est qu’ils
étaient parfaitement connectés aux idées de leur époque, dont celle de l’union
des Principautés, premier grand projet romantique de l’État national roumain, a été
la plus forte. Les Juifs autochtones étaient entièrement acquis à la cause et Barasch
en fut le fer de lance. La mobilisation s’est à nouveau faite grâce à l’appel à
l’histoire et avec la contribution des Juifs. Lya Benjamin raconte : « Les sujets étaient variés. Il y avait, par exemple, des articles
sur l’histoire, celle de la Roumanie et celle commune roumano-juive, des articles
soulignant l’ancienneté de la présence des Juifs dans l’espace roumain. Ou bien
des articles qui se donnaient pour tâche de faire connaître aux Juifs les
moments les plus importants de l’histoire de la Roumanie, tels le règne de
Michel le Brave. Il y avait aussi, bien-sûr, des articles sur la tradition
juive, sur la religion judaïque, pour familiariser les lecteurs roumains avec
l’histoire et culture des Juifs. D’autres articles exprimaient le soutient des
Juifs à l’union des Principautés et le respect qu’ils éprouvaient pour les
Roumains, mais aussi leur dévouement pour les Roumains et la Roumanie ainsi que
leur souhait d’avoir le respect des Roumains. »
La publication
« L’Israélite roumain » a eu une première série entre mars et
septembre 1857. La seconde génération du journal apparaît onze ans plus tard. En
1868, la Roumanie avait traversé de nombreuses et profondes transformations
institutionnelles et sociétales. Après la mort de Iuliu Barasch, l’hebdomadaire
« L’Israélite roumain »
rencontre un monde complètement changé. (Trad. Ileana Ţăroi)